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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Affaires/ Propriété industrielle et intellectuelle

Bientôt, le secret des affaires sera protégé

Une directive européenne prévoit des mesures qui permettront aux entreprises d’agir efficacement en cas d’atteinte à leurs secrets d’affaires. Mais elles devront prouver qu’elles ont mis en place des dispositions raisonnables destinées à garder leurs informations secrètes. Elles doivent donc anticiper, indique Me Vichnievsky.

Dir UE 2016/943 du 8-6-2016 : JOUE 2016 L 157


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1. C’est finalement à une initiative européenne que l’on devra la future adoption, en France, d’un texte visant à protéger le secret des affaires. La directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 (JOUE L 157 du 15 juin) sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites a été adoptée le 8 juin 2016 (ci-après la « directive ») et devra être transposée d’ici au 9 juin 2018.

L’état actuel du droit

2. De nombreuses propositions de loi sur ce thème avaient été déposées en 2009, 2011 puis 2014. Plus récemment, la commission spéciale de l’Assemblée nationale, chargée d’examiner avant sa discussion en séance publique le projet de loi n° 2447 pour la croissance et l’activité, dite « loi Macron », avait inséré, le 19 janvier 2015, un volet sur la protection du secret des affaires. Aucune de ces tentatives n’a abouti.

Ces initiatives étaient soutenues par les entreprises qui estimaient ne pas bénéficier d’une protection suffisante. Il faut concéder que des moyens de protéger les secrets d’affaires existent, mais qu’ils sont imparfaits.

3. Le Code de la propriété intellectuelle propose des outils : une information formalisée et originale peut être protégée par le droit d’auteur ; le producteur d’une base de données a notamment le droit d’interdire l’extraction ou la réutilisation d’une partie substantielle du contenu de cette base, si la matérialisation des informations de l’entreprise prend la forme d’une innovation technique ; le recours à la protection du brevet est envisageable. S’agissant des secrets de fabrication, l’article L 621-1 du Code de la propriété industrielle, qui renvoie à l’article L 1227-1 du Code du travail, punit sévèrement le fait pour un directeur ou un salarié de révéler ou de tenter de révéler un secret de fabrication. L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’« accord sur les Adpic ») contient des dispositions relatives à la protection des secrets d’affaires contre leur obtention, leur utilisation ou leur divulgation illicite par les tiers.

Le Code pénal offre également à la victime un certain nombre de fondements pour se plaindre d’une atteinte à ses intérêts, en incriminant notamment l’atteinte au secret professionnel, l’atteinte au secret des correspondances, le vol, l’abus de confiance, l’accès ou le maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données. Ces dispositions ne sont pas toujours d’application aisée. Rappelons que, s’agissant de l’abus de confiance, la chambre criminelle de la Cour de cassation a retenu que « les informations relatives à la clientèle constituent un bien susceptible d’être détourné » (Cass. crim. 16-11-2011 n° 10-87.866 : RJDA 1/12 n° 97).

L’action en concurrence déloyale est également une option, lorsque les conditions de sa mise en œuvre sont réunies.

Les informations peuvent aussi être protégées du fait des précautions contractuelles qui accompagnent leur divulgation. L’on pense notamment au contrat de révélation de savoir-faire, clause ou contrat de confidentialité souscrit par les partenaires ou salariés, dont la limite se trouve cependant dans le principe de l’effet relatif des contrats.

La définition du secret des affaires

4. L’article 2 de la directive définit les secret d’affaires comme les informations secrètes, ayant une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes et ayant fait l’objet, de la part de leurs détenteurs, de dispositions raisonnables destinées à les garder secrètes.

5. Par le recours au terme générique d’« information », cette définition ne pose aucune restriction quant à l’objet à protéger. Les informations de toutes natures entrent dans le champ de la protection : savoir-faire, informations commerciales, informations technologiques.

6. La définition retenue par la directive reprend à l’identique les trois conditions prévues à l’article 39 de l’accord sur les Adpic.

Le caractère secret des informations s’induit du fait qu’elles ne sont pas « généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles ».

La valeur commerciale de l’information doit s’entendre largement et doit être réputée acquise dès lors qu’une atteinte à son secret est susceptible de nuire, non seulement aux intérêts économiques de son détenteur, mais également à ses intérêts scientifiques et techniques, à ses positions stratégiques, ou à sa capacité concurrentielle. Précision importante apportée par le 14e considérant de la directive, la valeur commerciale peut être simplement « potentielle », et n’a donc pas nécessairement à être avérée au jour de la demande de mise en œuvre de la protection.

La condition tenant à la mise en œuvre de dispositions raisonnables destinées à garder secrètes les informations est sans aucun doute celle ayant le plus d’implications pratiques pour les entreprises. Etonnamment, la directive n’apporte pas de précisions sur ce point dans ses considérants et il serait souhaitable qu’une clarification intervienne à l’occasion de la transposition du texte. L’on peut penser dès à présent à un certain nombre de mesures. La première d’entre elles consiste à recenser, matérialiser puis consigner l’information confidentielle. Une autre mesure réside dans la négociation systématique d’obligations de confidentialité, d’accords de non-divulgation avec ses employés et partenaires commerciaux. Il convient également de contrôler l’accès à l’information : contrôle d’accès physique aux informations, procédé d’authentification des personnes habilitées à accéder aux informations, cryptage des informations. Des mesures organisationnelles participant à garder secrètes les informations peuvent être envisagées : mettre en place des procédures internes, limiter le nombre de personnes ayant accès à l’information, s’assurer qu’aucune personne n’ait accès à l’exhaustivité de l’information. Des mesures de formation seront également utiles, visant notamment à démontrer que le caractère confidentiel de l’information est connu des employés, de même que les précautions devant entourer l’utilisation desdites informations. Un dispositif de suivi régulier du management des secrets d’affaires au sein de l’entreprise doit également être prévu, consignant notamment les dysfonctionnements apparus et les mesures correctives prises. Ces dispositions devant être « raisonnables, compte tenu des circonstances », les entreprises pourront les adapter en fonction de la sensibilité des informations à protéger.

Le caractère licite ou illicite de l’obtention, utilisation et divulgation de secrets d’affaires

Les actes licites

7. L’article 3 de la directive prévoit certaines hypothèses dans lesquelles l’obtention, l’utilisation et la divulgation de secrets d’affaires sont licites.

Il s’agit notamment du cas dans lequel l’obtention du secret d’affaires procède d’une découverte ou d’une création indépendante. La directive ne crée donc aucun droit exclusif au bénéfice du détenteur d’un secret d’affaires, qui ne pourra jamais se plaindre de l’obtention par un tiers d’un secret d’affaires en tous points identiques au sien, dès lors qu’il résulte d’un développement indépendant.

L’obtention d’un secret d’affaires est également licite lorsqu’elle résulte de l’exercice d’une ingénierie inverse à partir d’un produit ou d’un objet licitement en la possession de la personne. La directive précise cependant que ladite personne ne doit pas être liée « par une obligation juridiquement valide de limiter l’obtention du secret d’affaires ». Des précautions contractuelles pourront par conséquent être prises à cet effet, dans le respect de la loi.

Parmi les obtentions licites envisagées, la directive mentionne également le cas dans lequel l’obtention résulte de toute autre pratique qui, eu égard aux circonstances, est « conforme aux usages honnêtes en matière commerciale ». Compte tenu de la généralité de la formule, l’on peut anticiper que l’application de ce texte donnera lieu à des difficultés.

Les actes illicites

8. La directive (art. 4) définit l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites des secrets d’affaires. Dans tous les cas, il est postulé que ces actes sont accomplis sans le consentement du détenteur du secret d’affaires.

L’obtention d’un secret d’affaires est considérée comme illicite lorsqu’elle est réalisée par le biais d’un accès, d’une appropriation ou d’une copie non autorisés d’un objet, matériau, substance ou fichier électronique contenant ledit secret d’affaires ou dont le secret d’affaires peut être déduit. Elle est également considérée comme illicite lorsqu’elle résulte de tout autre comportement qui, eu égard aux circonstances est considéré comme « contraire aux usages honnêtes en matière commerciale ».

L’utilisation ou la divulgation d’un secret d’affaires sont considérées comme illicites lorsque ces actes sont commis par une personne qui a obtenu ce secret d’affaires de façon illicite, qui agit en violation d’un accord de confidentialité ou d’une autre obligation de ne pas divulguer le secret ou encore qui agit en violation d’une obligation contractuelle ou de toute autre obligation de limiter l’utilisation du secret d’affaires.

L’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret d’affaires est aussi illicite lorsque, au moment de ces actes, une personne « savait ou, eu égard aux circonstances, aurait dû savoir » que ledit secret d’affaires avait été obtenu directement ou indirectement d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite. L’emploi des termes « directement ou indirectement » permet d’appréhender un grand nombre de situations.

Enfin, la production, l’offre ou la mise sur le marché, ou l’importation, l’exportation ou le stockage à ces fins de « biens en infraction » (à savoir les biens incorporant de manière significative un secret d’affaires auquel il a été porté atteinte) sont aussi considérés comme une utilisation illicite d’un secret d’affaires lorsque la personne qui exerce ces activités « savait ou, eu égard aux circonstances, aurait dû savoir » que le secret d’affaires était utilisé de façon illicite. A nouveau, la finalité de cette disposition est de pouvoir poursuivre un tiers qui, sans avoir accompli directement l’acte illicite, ne pouvait pas ne pas savoir que le produit en sa possession en résultait.

Les dérogations

9. L’opposition des journalistes et « lanceurs d’alerte » avait eu raison de plusieurs propositions de loi sur la protection du secret des affaires. La discussion de la proposition de directive européenne a également suscité de vives réactions de leur part, ainsi que des critiques au sujet de l’articulation de la réglementation envisagée avec certains aspects du droit du travail. Aussi, ont été introduites dans la directive plusieurs dispositions dérogatoires ou limitant l’effet de la protection (art. 1.2, 1.3 et 5).

10. Parmi ces dérogations, il est prévu que la protection du secret des affaires ne peut porter atteinte à l’exercice du « droit à la liberté d’expression et d’information ». Cette limitation est affirmée à deux reprises à l’article 1.2 et à l’article 5, sans pour autant avoir totalement dissipé les inquiétudes des journalistes par rapport à ce texte.

La protection du secret des affaires ne doit pas non plus s’opposer à la révélation d’« une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agi dans le but de protéger l’intérêt public général ». Sont ainsi visés les lanceurs d’alerte. A cet égard, il est intéressant de relever que le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique actuellement en discussion (dit « projet Sapin 2 ») a été complété de plusieurs dispositions visant à la protection des lanceurs d’alerte. Il les définit comme « une personne physique qui signale, dans l'intérêt général, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime, un délit ou une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement dont il a eu personnellement connaissance ». Aux termes de ce projet, n'est pas pénalement responsable le lanceur d’alerte qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors qu’un certain nombre de conditions sont réunies.

La directive tente également de ménager la protection des secrets d’affaires avec la liberté du travail. Les travailleurs doivent être libres d’utiliser l’expérience et les compétences acquises dans l’exercice normal de leurs fonctions et, de façon générale, la directive ne doit pas être interprétée comme permettant de « restreindre la mobilité des travailleurs » (article 1.3 de la directive). Elle ne doit pas non plus empêcher la divulgation de secrets d’affaires par des travailleurs à leurs représentants, lorsque cette divulgation est nécessaire à l’exercice légitime de leurs fonctions.

La directive prévoit enfin une dérogation lorsque l’atteinte au secret d’affaires intervient aux fins de la protection d’un « intérêt légitime » reconnu par le droit de l’Union ou le droit national, expression dont la généralité ne manquera pas de générer des difficultés d’appréciation.

La confidentialité des secrets d’affaires au cours des procédures

11. L’article 9 de la directive fixe un certain nombre de règles visant à protéger la confidentialité des secrets d’affaires au cours des procédures dont ils sont l’objet.

12. Les Etats membres doivent tout d’abord veiller à ce que tous les acteurs (les parties et leurs représentants, le personnel judiciaire, les témoins, les experts, etc.) d’une procédure relative à une atteinte à un secret d’affaires ou ayant accès à des documents faisant partie d’une telle procédure soient astreints à une obligation de confidentialité.

Cette obligation de confidentialité ne portera que sur les secrets d’affaires que le juge aura qualifiés de confidentiels, à la demande dûment motivée de toute partie intéressée. Une telle obligation s’impose pendant le cours de la procédure et perdure à son issue, mais cesse dès lors que les informations en cause ne réunissent plus les conditions requises pour constituer un secret d’affaires au sens de la directive.

13. Les juridictions compétentes doivent par ailleurs pouvoir prendre, à la demande motivée de l’une des parties, des mesures destinées à protéger le caractère confidentiel d’un secret d’affaires qui serait utilisé ou mentionné au cours d’une procédure ayant pour objet l’atteinte à un secret d’affaires.

Parmi les mesures envisagées, les juridictions compétentes doivent pouvoir restreindre à un nombre limité de personnes, tant l’accès à tout ou partie d’un document contenant un secret d’affaires produit par une partie ou un tiers, que l’accès aux audiences, procès-verbaux ou notes d’audiences, lorsque des secrets d’affaires sont susceptibles d’y être divulgués. Il s’agit d’organiser un « cercle de confidentialité » restreint, mais dans le respect du droit des parties à un recours effectif. Au nombre de ces personnes, doivent au moins figurer une personne physique pour chaque partie et l’avocat de chaque partie ou d’autres représentants de ces parties à la procédure judiciaire.

Le mode opératoire envisagé doit être mis en perspective avec un arrêt récent (Cass. 1e civ. 25-2-2016 n° 14-25.729). L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait les conditions dans lesquelles des pièces ayant été saisies et placées sous séquestre par un huissier à la suite d’une requête fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile devaient être « triées » (et en présence de qui) avant d’être communiquées le cas échéant au demandeur. La cour d’appel avait estimé que l’avocat du demandeur pouvait prendre connaissance des documents séquestrés pour débattre équitablement de leur communication au cours d'une audience, la conciliation du principe du contradictoire et de la protection due au secret des affaires étant assurée en réservant la consultation des documents litigieux aux seuls avocats, tenus au secret professionnel. Saisis d’un pourvoi du défendeur, les juges suprêmes ont cassé l’arrêt au motif que « le secret professionnel des avocats ne s'étend pas aux documents détenus par l'adversaire de leur client, susceptibles de relever du secret des affaires, dont le refus de communication constitue l'objet même du litige ». Cette solution se concilie mal avec le principe du « cercle de confidentialité » envisagé par la directive qui devra comprendre a minima une personne physique pour chaque partie et son avocat. Elle devrait donc évoluer.

Autre mesure envisagée ne soulevant, elle, pas de difficulté : les autorités judiciaires pourront également décider de mettre à la disposition de toute personne une version non confidentielle de toute décision judiciaire dans laquelle les passages contenant des secrets d’affaires ont été supprimés ou biffés.

Les mesures judiciaires en cas d’atteinte présumée ou avérée des secrets d’affaires

14. Il sera tout d’abord relevé que la directive impose aux Etats de fixer un délai de prescription aux demandes et actions ayant pour fondement un secret d’affaires, qui ne pourra excéder 6 ans (art. 8). La directive renvoie au droit national s’agissant de la fixation de ce délai, de son point de départ et des causes d’interruption et de suspension. L’on peut supposer que le texte de transposition renverra sur ce point aux règles de droit commun en la matière.

Les mesures provisoires et conservatoires

15. Le détenteur d’un secret d’affaires, s’il prouve que le secret d’affaires existe, qu’il en est le détenteur et qu’une atteinte à celui-ci est en cours ou imminente, pourra demander aux juridictions compétentes d’ordonner des mesures provisoires et conservatoires visant à prévenir ou faire cesser une atteinte audit secret (art. 10 et 11 de la directive).

Les autorités judiciaires pourront notamment ordonner la cessation ou l’interdiction de l’utilisation ou de la divulgation du secret d’affaires à titre provisoire, l’interdiction de produire, mettre sur le marché ou utiliser le secret ou la saisie des biens soupçonnés d’être en infraction. A la place de ces mesures, les juridictions pourront subordonner la poursuite de l’atteinte alléguée au secret d’affaires à la constitution par le contrevenant allégué de garanties destinées à assurer l’indemnisation du détenteur du secret si l’atteinte est avérée.

16. Afin de prendre leur décision faisant droit ou rejetant la demande et d’évaluer le caractère proportionné des mesures à ordonner, les juges devront prendre en considération un certain nombre de critères, notamment la valeur du secret d’affaires, les mesures prises pour le protéger, le comportement du contrevenant lors de l’atteinte à celui-ci et l’incidence de l’utilisation ou de la divulgation illicite dudit secret.

17. Les mesures provisoires ordonnées devront cesser de produire leurs effets si le détenteur du secret d’affaires n’engage pas de procédure au fond dans un certain délai (la directive évoquant notamment un délai, identique à celui applicable en matière de saisie-contrefaçon, de 20 jours ouvrables ou 31 jours civils si ce délai est plus long). La directive prévoit également que ces mesures cesseront de produire leurs effets si les informations en cause ne réunissent plus les conditions visées dans la définition du secret d’affaires (bien évidemment, sans que le contrevenant en soit directement ou indirectement la cause).

Les injonctions et mesures correctives

18. En cas d’atteinte avérée au secret d’affaires, les autorités judiciaires devront pouvoir ordonner un certain nombre d’injonctions et de mesures correctives à l’encontre du contrevenant (art. 12 et 13 de la directive).

Classiquement, les juridictions compétentes pourront ordonner la cessation ou l’interdiction de l’utilisation ou de la divulgation du secret d’affaires, ainsi que la destruction ou la remise au détenteur de tous les supports qui contiennent ou matérialisent ledit secret d’affaires.

S’agissant des « biens en infraction » (biens incorporant de manière significative un secret d’affaires auquel il a été porté atteinte), les autorités judiciaires pourront notamment en interdire la production, la mise sur le marché ou l’utilisation ainsi que prononcer leur rappel ou leur destruction ou imposer de prendre toute disposition pour en supprimer le caractère infractionnel.

Afin d’évaluer le caractère proportionné des mesures à ordonner, les juges devront prendre en considération un certain nombre de critères, identiques à ceux pris en compte par les juridictions en matière de mesures provisoires et conservatoires (n° 16).

19. Les autorités judiciaires pourront limiter dans le temps les mesures de cessation et d’interdiction, mais la durée devra être suffisante pour éliminer tout avantage concurrentiel ou économique que le contrevenant aura pu tirer de l’atteinte au secret d’affaires. Dans des conditions identiques à celles prévues pour les mesures provisoires et conservatoires (n° 16), la directive prévoit que ces mesures devront cesser de produire leurs effets lorsque les informations en cause ne réunissent plus les conditions du secret d’affaires.

20. La directive prévoit enfin une disposition innovante, consistant à permettre au contrevenant passible des mesures évoquées ci-dessus de demander à la juridiction compétente d’ordonner le versement d’une compensation financière en lieu et place de l’application desdites mesures. Ce dispositif est strictement encadré et subordonné à trois conditions cumulatives. L’on relèvera que la directive prévoit que le montant de cette compensation ne devra pas dépasser le montant des redevances qui auraient été dues si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser ledit secret d’affaires à son détenteur, qui est un des modes de fixation des dommages et intérêts (voir ci-dessous). On peut s’interroger sur l’articulation de cette dernière disposition avec l’article 12.4 de la directive qui prévoit que les mesures de l’article 12 sont sans préjudice des éventuels dommages et intérêts dus au détenteur du fait de l’atteinte à son secret d’affaires.

Les dommages-intérêts et la publication de la décision

21. Indépendamment des injonctions et mesures correctives évoquées ci-dessus, le contrevenant pourra être condamné à des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi par le détenteur du secret d’affaires (art. 14 de la directive).

Deux modes de calcul sont envisagés. Lorsqu’elles fixent le montant des dommages et intérêts, les juridictions doivent prendre en compte les facteurs économiques (notamment le manque à gagner subi par le détenteur du secret d’affaires, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant), mais également tous autres chefs de préjudices, tels que le préjudice moral qui pourrait être subi par le détenteur du secret d’affaires du fait de l’atteinte à celui-ci. Alternativement, les juridictions pourront fixer un montant forfaitaire de dommages et intérêts, en le calculant notamment sur la base des redevances qui auraient été dues si un accord d’exploitation avait été conclu entre le détenteur du secret d’affaires et le contrevenant. Ces modes de calcul sont la marque d’une certaine convergence entre la protection du secret des affaires et le droit de la propriété intellectuelle puisqu’ils sont repris à l’identique de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

22. La directive prévoit enfin (art. 15) que les juridictions nationales devront pouvoir ordonner la diffusion de l’information relative à la décision qui aura été rendue, notamment au moyen de la publication de celle-ci. Ces mesures de publicité, ordonnées à la demande du détenteur de secrets d’affaires, doivent bien évidemment ménager le caractère confidentiel du secret en cause. L’adoption d’une telle mesure devra toutefois être proportionnée, la directive précisant un certain nombre de critères que les juridictions devront prendre en considération pour en apprécier le bien-fondé.

23. Les sanctions ne concernent pas uniquement le défendeur, éventuel contrevenant. La directive envisage expressément la sanction du détenteur d’un secret d’affaires à l’initiative d’une demande « manifestement non fondée » et dont il est constaté qu’il a engagé une procédure judiciaire « abusivement ou de mauvaise foi ». Des mesures devront pouvoir être prises à son encontre, notamment la condamnation à des dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice subi par le défendeur (article 7.2 de la directive).

24. En conclusion, la directive prévoit un arsenal de mesures sur le plan civil devant permettre aux entreprises d’agir plus efficacement en cas d’atteinte à leurs secrets d’affaires. La protection reste cependant subordonnée à des conditions dont le détenteur du secret d’affaires devra rapporter la preuve le moment venu, principalement la valeur commerciale des informations et la mise en œuvre de dispositions raisonnables destinées à les garder secrètes. Un effort d’anticipation est donc indispensable.

Reste enfin à savoir si, à l’occasion de la transposition de la directive, le législateur français complétera le dispositif par un volet pénal. L’article 1er de la directive l’y autorise et les précédentes propositions de loi sur la protection du secret des affaires en comportaient systématiquement un.

Par Alexis Vichnievsky

Auteur de plusieurs publications en droit des nouvelles technologies, Alexis Vichnievsky est avocat associé au sein du Cabinet Osmose et chargé d’enseignement à HEC.



© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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