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Prescription en matière de filiation

Le délai de prescription de l’action en contestation de filiation en l’absence de possession d’état est validé dans une affaire où le requérant s’était abstenu d’agir pendant de longues années alors qu’il avait des liens affectifs avec son père présumé depuis l’enfance.

Cass. 1e civ 7-11-2018 n° 17-25.938 F-PBI


Une enfant est déclarée à l’état-civil comme étant né d’un couple marié. Près de 50 ans plus tard, un homme la reconnaît par testament authentique. Au décès de ce dernier, l'enfant assigne en contestation de paternité de son père déclaré et en établissement de celle du testateur. La cour d’appel déclare irrecevable sa demande car prescrite (C. civ. art. 321). La requérante conteste. Elle soutient notamment que l’action qui tend à faire établir sa filiation biologique est une action d’état devant demeurer imprescriptible au regard du droit au respect de sa vie privée et familiale (Conv. EDH art.8).

La Cour de cassation confirme la prescription de l’action en contestation de paternité. Elle rappelle d’abord que la requérante devait faire annuler le lien de filiation existant avant d’en établir un autre (C. civ. art. 320). Le délai pour agir qui était de 30 ans, a été, depuis la réforme de 2005, ramené à 10 ans en l’absence de possession d’état conforme au titre (C. civ. art. 321 et art. 334 issus de l’ord. 2005-759 du 4-7-2005). Lorsque la prescription est raccourcie, le nouveau délai court à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (C. civ. art. 2222, al. 2). En l’espèce, le délai de 10 ans a donc couru à compter du 1er juillet 2006 mais il ne pouvait reporter le terme de la prescription au-delà de 30 ans à compter de la majorité de la requérante, soit décembre 2011. L’action en contestation de paternité ayant été déposée en décembre 2014, elle est tardive.

Les Hauts Magistrats vérifient alors que cette prescription ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante (Conv. EDH art.8). Le droit à l’identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée. L’impossibilité de faire reconnaître son lien de filiation constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit. Mais cette ingérence est prévue par la loi et donc accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets. Elle poursuit un but légitime en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique. Les délais de prescription des actions en contestation de paternité, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité, constituent par ailleurs des mesures nécessaires et adéquates pour parvenir au but poursuivi.
Cependant, les juges du fond doivent apprécier concrètement si la mise en œuvre des délais légaux de prescription porte une atteinte disproportionnée à la vie privée de l’intéressé, au regard du but légitime poursuivi. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce puisque la requérante :
- n’a jamais été empêchée d’exercer une action tendant à faire établir sa filiation biologique, mais s’est abstenue de le faire dans le délai légal ;    
- avait des liens affectifs avec le testateur depuis sa petite enfance mais a attendu son décès et l’ouverture de sa succession pour exercer l’action ;
- a disposé de délais très importants pour agir ; et en particulier, après avoir été informée en février 2010 qu’un test de paternité établissait, selon elle, de façon certaine son lien de filiation, elle n’a pas agi alors qu’elle disposait encore d’un délai jusqu’en décembre 2011.

A noter : Depuis déjà plusieurs années, la Cour de cassation évalue les règles en matière de filiation au regard du droit au respect de la vie privée garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. Ont ainsi été validés :

- la prescription de 5 ans de l’action en contestation de filiation lorsque la possession d’état est conforme au titre (Cass. 1e civ. 6-7-2016 n° 15-19.853 FS-PBI : BPAT 5/16 inf. 186) ;  

- l’impossibilité, en vertu du principe de la chronologie des filiations, de revendiquer une seconde filiation lorsqu’une première a été établie (Cass. 1e civ. 5-10-2016 n° 15-25.507 FS-PBI : BPAT 6/16 inf. 215) ;

- la prescription de 10 ans applicable aux actions en matière de filiation, sauf autre délai spécifiquement prévu (Cass. 1e civ. 9-11-2016 n° 15-25.068 FS-PBI : BPAT 6/16 inf. 215).

Dans l’espèce commentée, suivant la même méthode désormais rodée, les Hauts Magistrats s’assurent d’abord « in abstracto » de la validité de l’ingérence en vérifiant qu’elle est prévue par la loi et qu’elle poursuit un but légitime. En outre, pour répondre à l’imprescriptibilité de l’action revendiquée par la requérante, ils prennent soin d’ajouter, dans une formulation générale, que les prescriptions qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l’enfant d’agir après sa majorité, constituent des  mesures nécessaire et adéquate pour parvenir au but poursuivi.  Ils signifient ainsi clairement qu’il n’est pas question de remettre en question le principe même des prescriptions en matière d’état des personnes.

Seules les circonstances particulières d’une situation personnelle pourraient les conduire à l’écarter.

Au cas d’espèce, pour justifier l’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée de la requérante, on retrouve, même si ce n’est pas expressément formulé, la suspicion d’une action à but successoral (sur ce critère, voir aussi Cass. 1e civ. 6-7-2016 n° 15-19.853 précité). En effet, celle-ci n’a été engagée qu’après le décès du père revendiqué alors que la requérante avait depuis toujours entretenu des liens avec son père revendiqué et connu, 4 ans plus tôt, la réalité de son lien biologique.

Par ailleurs, si la stabilité de la filiation existante a été prise en compte, dans des affaires précédentes,  pour justifier le jeu de la prescription, l’absence de possession d’état, comme ici, ne suffit pas pour s’en affranchir. Au contraire, cette circonstance aurait dû conduire la requérante à agir plus tôt.

Enfin, on notera que la requérante a disposé d’un délai de 30 ans pour agir, et près de deux après avoir eu la certitude que le lien de filiation avec son père présumé était avéré.

Olivier DESUMEUR

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Famille n° 28260

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne