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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Fiscal/ Impôt sur les sociétés

Contrariété de la contribution de 3% à la directive mère-filiales : quelles conséquences ?

La CJUE vient de juger que la contribution de 3 % sur les distributions est contraire à l’article 4, 1-a de la directive mère-fille. Ce faisant, la Cour porte à cette taxe un coup qui pourrait bien lui être fatal. Les explications de Gauthier Blanluet (Avocat associé Sullivan & Cromwell LLP) et Stéphane Austry (Avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre).

CJUE 17-5-2017 aff. 365/16


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1. On se souvient qu’il y a un an de cela, un groupe constitué de près d’une vingtaine d’entreprises agissant sous la houlette de l’Afep a saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir ainsi que d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en vue de faire juger :

– que l’article 235 ter ZCA du CGI instituant la contribution de 3 % au titre des revenus distribués est contraire à l’exonération sur les dividendes reçus par des sociétés mères édictée par l’article 4,1-a de la directive mère-fille (Dir. 2011/96/UE du 30-11-2011), et subsidiairement à l’article 5 de la directive prévoyant l’exonération de retenue à la source sur les dividendes distribués à des sociétés mères européennes ;

– que, par voie de conséquence, la contrariété à la directive devait entraîner la censure du texte sur le terrain constitutionnel en raison d’une rupture d’égalité devant la loi et les charges publiques respectivement énoncés aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ;

– et qu’enfin la disposition était critiquable au regard du principe de non-discrimination énoncé par les stipulations combinées des articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) et de l’article 1er de son Premier protocole additionnel.

2. Dans cette affaire, les requérantes ont soutenu, pour l’essentiel, qu’il n’est pas possible de prélever une contribution additionnelle à l’IS sur les redistributions de dividendes de source européenne éligibles au régime de la directive, car ces dividendes doivent être exonérés de toute imposition en vertu du régime des sociétés mères institué par la directive. Et qu’il doit en aller de même pour les redistributions de dividendes de source française ou provenant d’Etats tiers, faute de quoi il en résulterait une discrimination contraire à la Constitution et à la CESDH.

3. Par une décision du 27 juin dernier, le Conseil d’Etat a considéré qu’il ne pouvait se prononcer sur la QPC sans renvoyer deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, qui sont en substance les suivantes (CE 27-6-2016 n° 399024, Assoc. française des entreprises privées (Afep) et autres : RJF 10/16 n° 866, concl. N. Escaut (C 866) ; S. Austry et D. Milsztajn : FR 33/16 [1] p. 3 ; G. Blanluet, Dr. fisc. 46/16 c. 592). Premièrement, la contribution additionnelle est-elle contraire à l’article 4, 1-a imposant aux Etats membres de s’abstenir d’imposer les bénéfices distribués qu’une société mère reçoit de sa filiale ? Deuxièmement, la contribution additionnelle constituet- elle une retenue à la source prohibée en application de l’article 5 de la directive lorsque les bénéfices ont été distribués par une filiale à sa société mère ?

4. A la première question, la Cour a répondu que l’article 4,1-a de la directive s’oppose à ce qu’une imposition telle que celle en cause soit prélevée sur les redistributions de dividendes de filiales non résidentes. Compte tenu de la réponse à la première question, la Cour n’a pas estimé nécessaire de répondre à la deuxième question.

Cette décision a été rendue dans la foulée d’un autre arrêt du même jour au sujet de la fairness tax belge, qui présente une assez grande parenté avec la contribution additionnelle française. En ce qui concerne la fairness tax, la Cour de justice juge qu’elle est également contraire à l’article 4, pour des motifs identiques à ceux retenus pour la contribution additionnelle (CJUE 17-5- 2017 aff. 68/15).

La contribution contrevient au principe d’exonération des bénéfices distribués issu de la directive

5. Les requérantes ont développé devant le Conseil d’Etat puis devant la Cour de justice deux arguments essentiels.

D’une part, la contribution « additionnelle à l’IS » entretient une forte parenté avec l’IS et pourrait donc être assimilée à une imposition sur les bénéfices prohibée au sens de l’article 4,1 de la directive mère-fille. Il est un fait que, sur le plan technique, la contribution a été conçue comme « une charge supplémentaire d’impôt sur les sociétés » (Rapp. AN n° 79) assise sur des bénéfices distribués qui entrent dans le champ de l’IS (BOI-IS-AUT-30 n° 70) et dont les modalités de recouvrement et de réclamation sont identiques à celles applicables en matière d’IS. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la contribution a toutes les apparences d’une imposition complémentaire à l’IS, mais d’un IS qui serait différé et conditionné à la redistribution des bénéfices. Lorsqu’elle frappe les redistributions de dividendes de filiales, elle agit comme un prélèvement à retardement venant remettre en cause l’exonération dont bénéficient ces dividendes en vertu du régime mère-fille.

D’autre part, plus fondamentalement, les requérantes faisaient observer que la contribution additionnelle est contraire à l’objectif poursuivi par la directive, qui est d’éviter l’imposition en chaîne des bénéfices distribués au sein des groupes de sociétés. En effet, dans le système issu de la directive, le bénéfice de la filiale, lorsqu’il est distribué, ne doit pas être imposé une nouvelle fois au niveau de la société mère. Celle-ci doit donc s’abstenir d’imposer des bénéfices qui ont déjà été imposés au niveau de la filiale, quelle que soit la nature et la modalité de cette imposition.

6. L’opinion contraire défendue par le gouvernement français faisait valoir que la contribution n’a pas la nature d’un impôt sur les bénéfices, car, à la différence de l’IS, elle ne frappe pas la réalisation du bénéfice, mais sa distribution. A ce titre, comme l’avait en son temps jugé le Conseil d’Etat au sujet du précompte (CE 3-7-2009 n° 317075, min. c/ Sté Accor : RJF 10/09 n° 834 et CE 3-7-2009 n° 317074 min. c/ Sté Rhodia : RJF 10/09 n° 835, concl. L. Olléon BDCF 10/09 n° 114), l’administration prétendait que la contribution additionnelle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 4, 1 de la directive, car celui-ci commande d’exonérer les bénéfices réalisés, non les bénéfices distribués.

Cette analyse fut partiellement accueillie par le Conseil d’Etat, qui reconnut volontiers que la contribution « ne constitue pas, au sens du droit interne, un impôt sur les bénéfices ou revenus réalisés par les sociétés » (CE 27-6-2016 n° 399757, Sté Soparfi : RJF 10/16 n° 866).

7. Mais le débat n’était pas clos pour autant, car une question essentielle demeurait à résoudre : l’article 4, 1 ne s’applique-t-il qu’aux impôts dont le fait générateur est la réalisation d’un bénéfice – celui de la société mère lorsqu’elle reçoit le dividende de sa filiale – ou s’étend-il aussi à une imposition subséquente, fût-elle de nature différente, déclenchée par la redistribution de ce bénéfice ?

8. Pour répondre à cette question, la Cour de justice s’écarte délibérément d’une analyse technique pour s’en tenir à une approche exclusivement économique des effets produits par la contribution additionnelle.

D’abord, elle relève qu’il est indifférent que l’imposition en cause soit ou non qualifiée d’impôt sur les sociétés (point 33). Ce n’est pas une surprise. Le champ d’application de la directive n’est pas restreint à des impositions nationales prédéfinies. Si l’article 2 de la directive fournit une liste des impôts nationaux auxquels les sociétés des Etats membres doivent être assujetties pour prétendre au bénéfice de la directive, cette liste ne sert qu’à déterminer l’éligibilité des sociétés mères à la directive. Elle n’a pas vocation à définir les impositions prohibées par la directive. Ensuite, la Cour fait pièce de l’argument principal développé par l’administration en affirmant que l’interdiction d’imposer édictée par la directive n’opère aucune distinction selon que l’imposition de la société mère a pour fait générateur la réception des bénéfices ou leur distribution (point 31 et aff. 68/15, points 79 et 80). Pour le juge, rien dans le libellé de la directive ne permet d’en exclure les impositions frappant les redistributions de dividendes de filiales. Ainsi, une imposition prélevée au moment de la redistribution d’un dividende est bien une imposition sur les bénéfices au sens de la directive.

Enfin et surtout, aux yeux de la Cour, on ne saurait s’en tenir à un examen aussi formel de l’imposition en cause. Le contexte et la finalité de la directive commandent de s’assurer que son principal objectif, qui est d’éliminer la double imposition, est bien respecté (point 32).

9. Cet exercice suppose de revenir aux principes simples qui sous-tendent la directive. C’est l’Etat membre de la filiale qui dispose du droit d’imposer les bénéfices réalisés par la filiale (voir concl. J. Kokott sous aff. 68/15, point 52). L’Etat membre de la société mère n’a pas vocation à réimposer ces bénéfices, sous réserve de la faculté qui lui est offerte par l’article 4, 3 de la directive de rejeter la déduction des charges se rapportant à la gestion de la participation, soit un montant d’au plus 5% des bénéfices distribués lorsque les frais de gestion sont fixés forfaitairement.

Certes, cette réintégration de charges n’est pas équivalente, techniquement, à une imposition sur les bénéfices distribués. Mais, d’un point de vue économique, l’impôt prélevé à raison de cette réintégration vient bien grever ces bénéfices. Tout se passe comme si ces bénéfices n’étaient pas exonérés à 100 %. C’est ainsi que la Cour présente le régime français, en soulignant que la France pratique un système d’exonération à hauteur de 95% (points 7 et 25).

10. Partant de cette hypothèse que les dividendes de filiales sont exonérés à hauteur de 95 %, et considérant que la contribution additionnelle est bien une imposition sur les bénéfices au sens de la directive, la Cour constate qu’en cas de redistribution de ces dividendes cette imposition a pour effet de soumettre ces bénéfices à un prélèvement dépassant le plafond de 5 % autorisé par la directive (points 26 et 32). Il n’en fallait pas davantage pour caractériser une double imposition non permise par la directive.

Fort logiquement, la Cour en tire la conséquence que l’article 4, 1 de la directive s’oppose à une mesure fiscale, telle que la contribution additionnelle, par laquelle un impôt est prélevé à l’occasion de la redistribution de dividendes bénéficiant du régime des sociétés mères.

La Cour ne dit pas si la contribution est une retenue à la source prohibée par la directive

11. Ayant conclu à la non-conformité de la contribution sur le terrain de l’article 4 de la directive, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question préjudicielle, qui portait sur l’article 5.

Sur cette question, en revanche, des éléments utiles à la réflexion résultent de la décision rendue le même jour sur la fairness tax.

12. Dans cette décision, la Cour relève que la fairness tax répond à deux des trois critères essentiels d’une retenue à la source : le fait générateur (distribution) et l’assiette de la contribution (les montants distribués). En revanche, le troisième critère, qui touche à la personne du contribuable, fait défaut. L’assujetti de la contribution additionnelle est en effet la société distributrice, et non le bénéficiaire de la distribution, comme c’est la règle en matière de retenue à la source.

La Cour retient donc que, s’agissant d’une imposition dont le contribuable est la société distributrice, la troisième condition nécessaire à la qualification de retenue à la source fait défaut (aff. 68/15, point 65). Dès lors, la fairness tax n’est pas une retenue à la source au sens de la directive. Sa conformité à l’article 5 n’est donc pas en cause (aff. 68/15, point 68). Il y a tout lieu de penser que cette conclusion est transposable à la contribution de 3%, même si la question n’a pas été formellement tranchée par la Cour.

Quelles sont les implications de l’arrêt de la Cour de justice ?

13. La décision de la CJUE constitue une nouvelle étape dans la contestation de la contribution de 3%. Mais elle ne permet pas par elle-même de considérer que, dans tous les cas de figure, l’obligation d’acquitter cette contribution aurait disparu. En effet, si la décision permet de soustraire les distributions de l’assiette de la contribution à concurrence de la fraction correspondant à des redistributions de dividendes reçus de filiales situées dans d’autres Etats membres de l’Union européenne, les distributions prélevées sur des dividendes de filiales françaises ou de filiales établies dans un Etat tiers à l’Union européenne restent soumises, même après l’intervention de cette décision, à la contribution de 3%. Ces distributions ne sont en effet pas visées par la décision de la Cour de justice, puisqu’elles demeurent en dehors du champ d’application de la directive.

14. Il en résulte une différence de traitement entre les sociétés mères françaises selon la localisation géographique de leurs filiales et la source des distributions qu’elles reçoivent. Cette discrimination est similaire à celle qui a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel dans sa désormais célèbre décision Metro Holding (Cons. const. 3-2-2016 n° 2015-520 QPC : RJF 4/16 n° 366 avec obs. S. Austry et D. Gutmann p. 418 ; E. Raingeard de la Blétière et Ph. Durand, FR 8/16 [2] p. 3 ; O. Fouquet, Dr. fisc. 6/16 act. 74 ; G. Blanluet, Dr. fisc. 12/16, c. 233).

15. Les conditions sont donc maintenant réunies pour que le Conseil d’Etat se prononce sur la question du caractère sérieux de l’atteinte au principe d’égalité qui résulte de la différence de traitement découlant de la non-conformité de la contribution de 3%à la directive (sur la question de l’office du juge de la QPC en cas d’invocation d’une discrimination par ricochet : CE ass. 31-5-2016 no 393881 : RJF 8-9/16 n° 761, concl. E. Cortot- Boucher (C 761) ; étude D. Gutmann et S. Austry, Dr. fisc. 16/37 n° 476 ; N. Jacquot et P. Mispelon, Dr. fisc. 23/16 act. 354).

C’est pourquoi, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir formé par l’Afep et autres, qui avait donné lieu à une première QPC que le Conseil d’Etat avait refusé de transmettre dans l’attente de la réponse aux questions préjudicielles posées à la Cour de justice, une nouvelle QPC a d’ores et déjà été déposée par les requérantes devant le Conseil d’Etat afin de faire juger par le Conseil constitutionnel que ladite différence de traitement est contraire à la Constitution. Le Conseil d’Etat dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer sur la transmission de cette QPC au Conseil constitutionnel.

16. A cet égard, afin de préserver leurs droits, les sociétés qui, dans cette situation, ont acquitté la contribution de 3%prendront soin, lorsqu’elles ne l’ont pas déjà fait, d’en réclamer la restitution avant la publication de la décision du Conseil constitutionnel, qui devrait intervenir dans les trois mois de sa saisine par le Conseil d’Etat.
Pour bénéficier de la décision de la Cour de justice et, le cas échéant, de la décision à venir du Conseil constitutionnel, on peut s’attendre à ce que les sociétés concernées soient conduites à devoir démontrer que les distributions ayant été assujetties à la contribution de 3% ont été effectivement prélevées sur des dividendes éligibles au régime des sociétés mères. Cette question de la traçabilité des dividendes reçus et redistribués pourrait donner lieu à des contentieux au fond devant le juge de l’impôt, sauf à ce que la contribution de 3% soit déclarée contraire à la Constitution dans son ensemble, auquel cas la source des distributions importera peu.

17. Compte tenu des incertitudes liées à l’aboutissement de ce contentieux, les sociétés qui restent redevables de la contribution pour les distributions à venir pourront donc préférer continuer de s’en acquitter dans les conditions prévues par l’article 235 ter ZCA du CGI, puis d’en réclamer la restitution a posteriori, plutôt que de s’affranchir spontanément de cette obligation.

18. Etape essentielle dans la contestation au regard des normes supérieures de la contribution de 3%, l’arrêt ici commenté n’en constitue donc pas le point final. Même si l’article 235 ter ZCA du CGI est désormais extrêmement fragilisé, l’étendue exacte des conséquences de sa non-conformité à la directive reste à préciser. Les nouveaux développements à intervenir d’ici à la fin de l’année 2017 devraient permettre d’y voir plus clair.



Gauthier BLANLUET Avocat associé Sullivan & Cromwell LLP, Professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)



Stéphane AUSTRY Avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre, Professeur associé à l’école de droit de la Sorbonne (Paris I)

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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