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Le droit à la déconnexion

Mesure emblématique de la loi du 8 août 2016, dite « Loi Travail », le droit à la déconnexion a fait son entrée dans le Code du travail. Olivier Bach, avocat associé du cabinet éole Avocats, fait le point sur cette innovation.


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C’est prioritairement par la négociation collective que l’entreprise définira le droit à la déconnexion afin d’établir des règles de bonne conduite correspondant aux besoins des salariés, au plus près du terrain.

Définition

La notion de droit à la déconnexion n’est pas définie par la loi. On peut décrire ce droit comme celui pour le salarié de ne pas être connecté à un outil numérique professionnel (smartphone, internet, email, etc.) pendant les temps de repos et de congé. La plupart des accords en la matière ne définissent pas le principe mais en rappellent la finalité et le champ d’application.

Inscrire ce type de droit dans un texte, traduit également une carence relative à l’effectivité du droit à un repos minimal continu, quotidien et hebdomadaire (C. trav. art. L 3131-1 et L 3132-2).

Reprenant l’une des préconisations du rapport Mettling sur la transformation numérique, la loi Travail consacre le droit à la déconnexion des salariés.

Depuis le 1er janvier 2017, la négociation annuelle « égalité professionnelle et qualité de vie au travail » devra aborder les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés, ainsi que la vie personnelle et familiale (C. trav. art. L 2242-8, 7° nouveau).

À défaut d’accord, l’employeur devra élaborer, après avis du CE ou, à défaut, des DP, une charte définissant les modalités d’exercice du droit à la déconnexion et prévoyant la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques (C. trav. art. L 2242-8, 7° nouveau).

La négociation « Egalité et qualité de vie au travail » porte sur l’exercice du droit d’expression directe et collective des salariés, notamment « au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise », précise désormais l’article L 2242-8, 6° modifié.

Selon la loi Travail, le droit à la déconnexion vise à assurer le respect des temps de repos et de congés, ainsi que la vie personnelle et familiale. Les accords conclus avant l’intervention du législateur poursuivent pour la plupart ce double objectif, avec en ligne de mire, la préservation de la santé des salariés.

Respect des temps de repos et de congés

Dans le cadre des accords conclus sur les forfaits jours, le droit à la déconnexion vise à assurer aux salariés la garantie de bénéficier des durées minimales de repos.

Ainsi, pour les accords de branche de l’import-export, des bureaux d’études et sociétés de conseil et des commerces de gros : « l’effectivité du respect par le salarié des durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance ».

L’accord conclu dans les hôtels, cafés, restaurants (HCR) prévoit, de son côté, qu’« afin de garantir le respect des durées maximales du travail, l’employeur veillera à rappeler que le matériel mis à sa disposition, tels qu’ordinateurs ou téléphone portable, ne doit pas, en principe, être utilisé pendant les périodes de repos ».

Protection de la vie personnelle et familiale

Dans leurs accords sur la qualité de vie au travail, la Société généraleNatixis et Sejer garantissent « un droit à la déconnexion permettant de concilier vie professionnelle et vie privée ». De son côté, Areva rappelle la nécessité de veiller à ce que les nouvelles technologies « respectent le temps de vie privée du salarié […]. À ce titre, le salarié dispose d’un droit à la déconnexion ».

Les accords relatifs à l’égalité professionnelle et à la diversité inscrivent le droit à la déconnexion dans la même perspective : garantir l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. En ce sens, l’accord conclu pour La Posteprévoit que les NTIC « doivent être utilisées à bon escient, dans le respect des personnes et de leur vie privée ». De ce fait, chacun devra agir de manière à ce que « le droit à la déconnexion de chacun, en dehors de son temps de travail effectif, soit respecté ».

L’accord applicable aux salariés du régime général de la sécurité sociale rappelle que « les outils numériques, s’ils constituent une opportunité notamment en matière de développement de nouvelles organisations du travail comme le travail à distance, ne doivent cependant pas conduire à confondre le temps de travail et le temps de repos ».

Protection de la santé des salariés

La protection de la santé des salariés peut naturellement être évoquée par les signataires de l’accord, comme l’un des objectifs majeurs du droit à la déconnexion.

C’est notamment le cas chez Orange, dont l’accord explique que l’enjeu est « de garantir la bonne utilisation des outils numériques, tout en préservant la santé au travail pour garantir des conditions et un environnement de travail respectueux de tous […]. Le respect de la vie privée et le droit à déconnexion sont donc considérés fondamentaux afin de protéger les salariés des pratiques intrusives potentielles provenant de leurs managers et/ou de leurs collègues et/ou d’eux-mêmes ».

Faut-il prévoir des exceptions au droit à la déconnexion ?

Areva prévoit qu’« en cas de circonstances particulières, nées de l’urgence et de l’importance des sujets traités, des exceptions au principe du droit à la déconnexion seront évidemment mises en œuvre ».

De la même manière à La Poste, « l’usage de la messagerie professionnelle ou du téléphone en soirée ou en dehors de jours travaillés doit être justifié par la gravité et l’urgence et/ou l’importance exceptionnelle du sujet traité ».

Chez Aon France, il pourra être dérogé au droit à la déconnexion « en cas d’intervention urgente », et chez Sejer « en cas d’impératifs particuliers nécessitant la mobilisation du collaborateur ».

Personnel concerné

La loi Travail a instauré un droit à la déconnexion pour l’ensemble des salariés.

Chez Airbus Helicopters, ce droit s’applique « à l’ensemble des salariés de l’entreprise non-cadres et cadres, à l’exception des cadres dirigeants ». Les Banques populaires reconnaissent « un droit individuel à la déconnexion pour tous ». De son côté, Areva prévoit que « chaque salarié, quel que soit son niveau hiérarchique, veillera à se déconnecter du réseau et à ne pas envoyer de courriel en dehors des heures habituelles de travail ». Enfin, la Société générale renforce « le droit à déconnexion de chaque salarié ».

Dans certains accords conclus avant la loi Travail, le droit à déconnexion ne concernait que certains salariés. Quid des cadres dirigeants ?

La problématique du droit à la déconnexion doit être particulièrement prise au sérieux dans le cadre des conventions de forfait. En effet, L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année doit déterminer les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion (C. trav. art. L 3121-64) Ainsi, en cas d’absence d’accord ou de charte, le salarié pourra faire invalider sa convention de forfait au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail.

Comment mettre en place le droit à la déconnexion ? L’accord d’entreprise en première intention …

La loi Travail renvoie aux partenaires sociaux, au niveau de l’entreprise, le soin de négocier sur les modalités de mise en œuvre du droit à déconnexion et sur la mise en place au sein de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques. Il s’agit ici de déterminer les plages horaires et la traduction concrète du droit à la déconnexion, ainsi que ses outils de contrôle.

- Une obligation de négocier sur le droit à la déconnexion dans le cadre de la négociation sur l’égalité professionnelle hommes-femmes et la qualité de vie au travail (C. trav. art. L 2242-8) ;

- En cas d’échec des négociations uniquement, l’employeur doit alors rédiger une charte de déconnexion qui devra être soumise pour avis au comité d’entreprise ou à défaut aux délégués du personnel (C. trav. art. L 2242-8).

Quel est le contenu d’un tel accord ?

L’accord doit définir les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques.

En pratique : les accords prévoient par exemple l’absence d’obligation de répondre à la messagerie professionnelle.

L’accord Michelin prévoit par exemple que pendant les temps de repos légaux «les salariés n’ont pas l’obligation de lire et répondre aux courriels et appels téléphoniques qui leur sont adressés » et demande aux salariés « également de limiter l’envoi de courriels ou d’appel téléphonique au strict nécessaire ».

Quel contrôle de l’employeur ?

À compter du 1er janvier 2017, l’entreprise devra prévoir des « dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques ».

Ainsi, dans la branche des commerces de gros, l’accord prévoit qu’il appartient à l’employeur de prendre les dispositions nécessaires « afin d’assurer le respect par ses salariés de cette obligation de déconnexion ».

Dans les bureaux d’études et sociétés de conseil, l’employeur doit « s’assurer des dispositions nécessaires afin que le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition ».

Enfin, l’accord Michelin prévoit un suivi concret par « le contrôle des connexions à distance le soir ou le week-end ». Ce dispositif identifie les connexions excessives aux outils de travail. Le point de vigilance est constitué dès qu’il est enregistré durant un mois plus de cinq connexions hors période de travail, c’est-à-dire en soirée de 21 heures à 7 heures et le week-end du vendredi 21 heures au lundi 7 heures.

Rappel : Un arrêt de la Cour de cassation du 17 février 2004 fixe le principe selon lequel un salarié ne peut pas être licencié pour faute lorsqu’il ne répond pas, en dehors de son temps de travail, à des sollicitations professionnelles (Cass. soc., 17 février 2004, nº 01-45-889).

Comment mettre en place le droit à la déconnexion ? … A défaut d’accord : la mise en place d’une charte

L’employeur n’est pas tenu d’aboutir à un accord à tout prix sur le droit à la déconnexion. Dans ce cas, la loi Travail dispose qu’il peut le réguler unilatéralement par le biais d’une charte.

Cette charte doit définir « les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoir la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques » (C. trav., art. L 2242-8, 7º).

La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 prévoit d’ailleurs que les « formations contribuant au développement des compétences numériques » figurent parmi les actions d’adaptation au poste (C. trav. art. L 6321-1).

Quel rôle pour le CHSCT ? L’article 2242-8 du Code du travail exclut en lecture stricte toute intervention du CHSCT  : « À défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du CE ou à défaut des DP. » Mais il paraît difficile, voire contre-productif, de le neutraliser d’autant plus que « le CHSCT contribue à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale des travailleurs et à l’amélioration des conditions de travail » (C. trav. art. L 4612-1).

Quels risques pour l’employeur ?

Sur le plan pénal, les sanctions habituelles en matière de non-respect de l’obligation de négocier sont applicables : un an d’emprisonnement (…) et 3 750 € d’amende (C. trav. art. L 2243-2). Rien n’est prévu en l’absence de charte.  

Le risque est en revanche plus important sur le terrain civil. En effet, la chambre sociale reste très attachée aux questions de santé, et son légitime assouplissement de l’obligation de sécurité de résultat vers une obligation de moyen renforcée impose toujours à l’employeur de tout mettre en œuvre pour assurer la protection de la santé physique et mentale du salarié.

Pour s’exonérer, l’employeur doit avoir pris :

- En amont, toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 (actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés) et L 4121-2 (principes généraux de prévention) du Code du travail.

- Dès qu’il a connaissance d’un harcèlement par courriels, forme de harcèlement moral, les mesures immédiates propres à le faire cesser.

L’employeur n’ayant, ni accord collectif, ni charte, risque d’être bien mal reçu, surtout si ce nouveau droit conduit à une judiciarisation.

La notion d’exécution loyale du contrat de travail prend ici une ampleur considérable. La mauvaise foi contractuelle sera nécessairement évoquée en cas de carence.

Par Olivier Bach, avocat associé du cabinet éole Avocats, est spécialiste en droit social



© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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