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Gestion des conflits d’intérêts : le paradoxe des conventions réputées libres

Il résulte de la combinaison des textes du Code de commerce régissant les sociétés et relatifs au contrôle des conventions dites « réglementées », d’une part, et des nouvelles dispositions du Code civil en matière de représentation, d’autre part, que les conventions « libres » devront être autorisées ou ratifiées… Paradoxe mis en lumière par Anne Charvériat.


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1. Dans le cadre de la réforme du droit des contrats, l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 met en place une réglementation générale, applicable à la capacité et à la représentation des cocontractants à compter du 1er octobre 2016.

Ce  régime, qui figure sous les articles 1145 à 1161 nouveaux du Code civil, concernera non seulement les personnes physiques mais aussi les personnes morales (C. civ. art. 1145, al. 2 nouveau).

2. Quelle qu’en soit sa source - la loi, le juge ou la convention (C. civ. art 1153 nouveau) -, la représentation fera l’objet d’un cadre spécifique appelé à régir la représentation des personnes morales par l’intermédiaire de leur représentant légal.

Et l’on trouve dans le nouvel article 1161 les dispositions suivantes :
« Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté.
«  En ces cas, l’acte accompli est nul à moins que la loi ne l’autorise ou que le représenté ne l’ait autorisé ou ratifié. »

Selon ses promoteurs, cette mesure « clarifie (…) les règles applicables en cas de conflit d’intérêts entre le représentant et le représenté ou le tiers, conformément à ce qui est admis dans les projets européens » (Rapport au Président de la République : JO du 11-2-2016 texte n° 25).

3. Ces dispositions ont vocation à s’appliquer :
- dans le cas où la même personne, représentant légal de deux sociétés, conclura un contrat pour le compte de ces deux sociétés ;
- dans le cas où le représentant légal contractera avec la société dont il est le représentant légal.

Les représentants légaux sont, rappelons-le :

- les gérants dans les sociétés civiles, en nom collectif, en commandite ou à responsabilité limitée ;

- le directeur général et, à notre avis, les directeurs généraux délégués (puisqu’ils disposent à l’égard des tiers des mêmes pouvoirs que le directeur général) dans les sociétés anonymes à conseil d’administration ;

- le président du directoire et les directeurs généraux dans les sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance ;

- le président, ainsi que les directeurs généraux et les directeurs généraux délégués si les statuts leur ont conféré ce pouvoir, dans les sociétés par actions simplifiées.

Si la société a plusieurs représentants légaux, faire conclure la convention par celui qui n’y est pas intéressé.

4. Le plus souvent, les conventions qui nous occupent échapperont à la nullité car elles font l’objet d’une réglementation spécifique mise en place par le Code de commerce, lequel  les autorise donc en pratique.

Mais il existe des hypothèses - pour le moins inattendues – dans lesquelles l’absence de réglementation risquera d’entraîner l’obligation d’obtenir une autorisation ou une ratification par la société, faute de quoi la convention encourra un risque d’annulation.

Soulignons dès à présent que, si la société est dotée de plusieurs représentants légaux (n° 3), la solution pourra être de faire conclure la convention par celui d’entre eux qui n’y est pas intéressé personnellement.

Conventions spécifiquement réglementées

Sociétés concernées

5. Le Code de commerce prévoit une procédure de contrôle pour les conventions dites « réglementées » conclues avec les sociétés ci-après.

- Les SARL (art. L 223-19) : rapport du gérant (ou, s’il en existe un, du commissaire aux comptes) et vote des associés (dans les EURL, mention sur le registre des délibérations ou approbation préalable par l’associé unique s’il n’est pas le gérant).

- Les sociétés anonymes (art. L 225-38 ou L 225-86) : autorisation préalable par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance et vote de l’assemblée des actionnaires après audition d’un rapport spécial des commissaires aux comptes.

- Les sociétés en commandite par actions (art. L 226-10) : autorisation préalable par le conseil de surveillance et vote de l’assemblée des actionnaires après audition d’un rapport spécial des commissaires aux comptes.

- Les sociétés par actions simplifiées (art. L 227-10) : rapport du président (ou, s’il en existe un, du commissaire aux comptes) et décision collective des associés (dans les SAS unipersonnelles, mention sur le registre des délibérations).

- Les sociétés civiles ayant une activité économique (art. L 612-5) : rapport du gérant (ou, s’il en existe un, du commissaire aux comptes) et vote des associés.

Sanctions

6. En principe, le non-respect de la procédure et le refus d’autorisation ou d’approbation n’entraînent pas la nullité de la convention qui continue à produire ses effets. Toutefois, dans les sociétés anonymes  et dans les sociétés en commandite par actions (art. L 225-42, applicable par renvoi de l’article L 226-10 pour les SCA), la convention conclue sans autorisation préalable du conseil d’administration ou du conseil de surveillance peut être annulée si elle a eu des conséquences dommageables pour la société.

Les conséquences préjudiciables à la société des conventions passées en violation des prescriptions légales restent à la charge du dirigeant intéressé (voire des autres dirigeants).

Conventions réputées libres

Conventions en cause

7. Il n’est pas prévu de procédure spécifique de contrôle des conventions conclues avec leurs dirigeants pour :

- les sociétés en nom collectif ;

- les sociétés en commandite simple ;

- les sociétés civiles sans activité économique.

8. Par ailleurs, il est expressément prévu que les articles visés ci-dessus (n° 5), ou leurs dispositions, ne sont pas applicables :

- aux conventions portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales (C. com. art. L 223-20 dans les SARL, L 225-39 ou L 225-87 dans les SA, et dans les SCA par renvoi de l’article L 226-10, et L 227-11 dans les SAS, et dans les SAS), ou aux conventions courantes conclues à des conditions normales qui, en raison de leur objet ou de leurs implications financières, ne sont significatives pour aucune des parties dans les sociétés civiles ayant une activité économique (C. com. art. L 612-5, al. 6) ;

- aux conventions conclues entre une société anonyme ou une société en commandite par actions et une autre société dont l’une détient directement ou indirectement la totalité du capital de l’autre, déduction faite le cas échéant du nombre minimal d’actions requis pour satisfaire aux exigences de l'article 1832 du Code civil ou des articles L 225-1 et L 226-1 du Code de commerce (art. L 225-39 ou L 225-87, applicable dans les SCA par renvoi de l’article L 226-10). Par exemple, une SA bénéficie de l'exclusion lorsqu'elle a conclu une convention avec une autre SA dont elle détient « 99 % » du capital et dont l'autre actionnaire dispose d'une action afin de satisfaire au minimum légal de deux actionnaires. Dans les cas où elle a vocation à s'appliquer dans les deux sociétés, la procédure est exclue tant chez la mère que chez la fille.

Les conventions réputées libres encourront la nullité si elles ne sont pas autorisées ou ratifiées par la société.

Application du droit commun

9. Les conventions visées ci-dessus (n° 7 et 8) sont soumises aux règles de droit commun de validité des contrats, applicables dès l’instant qu’il n’est pas prévu de règles particulières (C. civ. art. 1107 actuel, repris au nouvel article 1105).
En particulier, les dispositions de l’article 1161 du Code civil destinées à prévenir les conflits d’intérêts entre représentant et représenté auront vocation à régir ces conventions. Et l’on aboutit à cette conséquence imprévue que les conventions réputées libres car considérées comme ne présentant pas de réel danger pour la société pour le compte de laquelle elles sont conclues vont être soumises à un risque de nullité si elles ne sont pas autorisées ou ratifiées par la société. En effet, le Code de commerce se borne à préciser que la réglementation qu’il met en place ne leur est pas applicable : il semble hasardeux de prétendre que, ce faisant, il les autorise au sens de l’article 1161 nouveau.

S’agissant notamment des conventions courantes et normales et des conventions avec les filiales à 100 %, ce n’est à l’évidence pas ce qu’a voulu le législateur lorsqu’il a pris soin de les exclure expressément de la procédure de contrôle, et l’on pourrait être tenté de soutenir que la réglementation qu’il a mise en place constitue un bloc spécifique englobant tant la règle que ses exceptions. Mais il n’est pas évident que le Code de commerce se prête à cette interprétation ; et l’on peut craindre que la jurisprudence ne tranche pas clairement la question avant quelques années.

Sanctions

10. Que la convention concerne une société civile ou une société commerciale, la nullité sera encourue sur le fondement des dispositions de l’article 1844-10, al. 3 du Code civil ou de l’article L 235-1, al. 2 du Code de commerce en vertu desquels la nullité des actes ou délibérations ne modifiant pas les statuts peut résulter de la violation des lois qui régissent les contrats.

Dès lors que l’article 1161 du Code civil permet l’autorisation ou la ratification de l’acte, la nullité qu’il édicte sera une nullité relative destinée à la protection des intérêts de la société représentée : c’est donc celle-ci qui aura qualité à agir et, selon le droit commun, elle sera présumée avoir intérêt à agir. L’action en nullité relèvera alors de la compétence du représentant légal qui, très généralement (sauf cas de pluralité de représentants légaux n° 3), sera précisément celui qui aura conclu la convention litigieuse. On peut donc raisonnablement penser que les actions en nullité ne seront exercées qu’en cas de changement de dirigeant, notamment à la suite d’une cession du contrôle de la société, ou en cas d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire de la société, la demande relevant alors de la compétence du liquidateur judiciaire.

L’action en nullité sera soumise à la prescription abrégée de trois ans prévue par l’article 1844-14 du Code civil ou L 235-9 du Code de commerce.

Le représentant légal pourra en outre voir sa responsabilité civile engagée pour infraction aux dispositions législatives applicables (cf. notamment C. civ. art. 1850 et C. com. art. L 223-22, L 225-251 et L 226-12) si la convention qu’il a passée irrégulièrement a des conséquences dommageables pour la société.

Autorisation ou ratification

11. En cas de pluralité de représentants légaux (n° 3), le problème pourra le cas échéant être contourné en faisant conclure la convention par le représentant légal qui n’y serait pas directement intéressé.

La convention une fois conclue pourra être ratifiée par la société en application de l’article 1161, al. 2 du Code civil. N’étant pas soumise à une condition de forme particulière, cette ratification pourra résulter de tout acte impliquant sans équivoque sa volonté de confirmer la convention. Pour éviter tout litige ultérieur, le représentant légal en cause aura intérêt, notamment lorsque la convention en cause est susceptible d’avoir des conséquences financières importantes, à obtenir une ratification expresse d’un autre organe social que lui-même : cette ratification pourrait ainsi résulter à notre avis d’une décision de la collectivité des associés ou d’une assemblée d’actionnaires.

L’autorisation par la société représentée n’est pas non plus soumise à une condition de forme particulière. Il ne nous semble donc pas interdit de faire adopter par la collectivité des associés ou par une assemblée générale une résolution autorisant en tant que de besoin le ou les représentants légaux à passer les conventions entrant dans le champ d’application de l’article 1161 précité.

En l’état actuel des textes, et tant que la jurisprudence n’aura pas établi une solution contraire, ce que l’on pourrait qualifier d’excès de précaution permettra sans doute d’éviter des contentieux qui pourraient parfois se révéler lourds de conséquences.

Anne Charvériat est coauteur de nombreux Mémentos. Elle est membre de l’Association des avocats conseils d’entreprises et Expert auprès de la Commission Statut professionnel de l'avocat du Conseil national des Barreaux.



© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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