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Ombres et lumières du dispositif de sanctions administratives des retards de paiement interentreprises

Les manquements à la réglementation des délais de paiement interentreprises sont assortis de sanctions conséquentes que l’administration économique a le pouvoir de prononcer à l’issue de ses contrôles. Nathalie Pétrignet et Amaury Le Bourdon présentent la mise en œuvre de ce dispositif à la lumière de la jurisprudence administrative récente.


Par Nathalie PETRIGNET et Amaury Le BOURDON
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©iStock

Deux millions d’euros d’amende pour la société Cora, 1,23 million d’euros prononcés à l’encontre de la société XPO Distribution, 3,7 millions d’euros infligés à la société SFR, etc.

Depuis l’entrée en vigueur en 2014 du dispositif de sanctions administratives en cas de manquement à la réglementation des délais de paiement, ce ne sont pas moins de 1 375 amendes qui ont été notifiées par la DGCCRF aux entreprises, pour près de 91,3 millions d’euros au total. Ces statistiques, publiées début 2021 par l’administration économique (Communiqué de presse de la DGCCRF, Bilan des sanctions prises par la DGCCRF en 2020 en matière de délais de paiement interprofessionnels, 22-2-2021), montrent que les amendes prononcées par celle-ci peuvent atteindre des sommes non négligeables pour les entreprises. En outre, le mécanisme de publication systématique de ces sanctions a un fort effet négatif sur l’image des entreprises sanctionnées.

Le pouvoir de l’administration de prononcer ces sanctions (amendes et mesures de publication) est en principe contrôlé par les juridictions de l’ordre administratif. La jurisprudence récente rendue en la matière permet-elle de tirer des enseignements sur le contenu des pouvoirs de l’administration, en particulier concernant la détermination du montant des amendes ?

La montée en puissance du dispositif de sanctions administratives

Origine du dispositif de sanctions administratives

A l’instar du droit français des pratiques restrictives de concurrence, caractérisé par sa grande instabilité, la réglementation des délais de paiement interentreprises a maintes fois évolué au cours des vingt dernières années. Sous l’impulsion du droit de l’Union européenne, ces règles, codifiées au sein du titre IV du livre IV du Code de commerce, ont ainsi été renforcées notamment par la loi LME du 4 août 2008, puis la loi Warsmann II du 22 mars 2012 transposant la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales, la loi Hamon du 17 mars 2014, la loi Sapin II du 9 décembre 2016, la loi Macron du 6 août 2015, etc.

La loi Hamon du 17 mars 2014 a marqué un important virage dans la politique répressive en la matière puisqu’elle a modifié les sanctions de nature pénale qui s’appliquaient jusqu’alors pour créer un mécanisme d’amendes administratives prononcées directement par les services de la DGCCRF et assorties de mesures de publication.

La loi Sapin II du 9 décembre 2016 a relevé le plafond de l’amende encourue en cas de manquement aux règles en matière de délais de paiement (notamment, le non-respect des délais de paiement convenus ou impératifs) à 75 000 € pour une personne physique et 2 millions d'euros pour une personne morale. Le maximum de l'amende encourue est doublé (soit 4 millions d'euros pour une personne morale) en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

En outre, s’inscrivant dans le courant à la mode du « name and shame » (mise au pilori, en français), qui consiste à déclarer publiquement qu’une personne est coupable, le législateur de 2014 a instauré un mécanisme qui permet à l’administration d’ordonner la publication de la décision d’amende qu’elle-même prononce, sans recours à un juge.

A l’origine à la discrétion de l’administration, cette publication est devenue systématique à la suite de la modification opérée par la loi Sapin II du 9 décembre 2016.

Rappelons que cette dernière loi a non seulement renforcé la sévérité du dispositif en portant le plafond de l’amende pour les personnes morales à 2 millions d’euros, mais elle a également supprimé le principe du non-cumul des amendes (C. com. art. L 470-2, VII).

En pratique, toutefois, l’administration applique le plafond de l’amende par type de manquement identifié (non-respect des délais de paiement de droit commun / des délais dans le secteur du transport / des délais de paiement dans le secteur alimentaire, etc.) et non par facture réglée en retard. Dans l’hypothèse de manquements par une même entreprise à la fois pour des factures de droit commun, des factures de transport et des factures d’achat de produits alimentaires, le plafond théorique appliqué en pratique par la DGCCRF est de trois fois 2 millions d’euros, soit 6 millions d’euros. En cas de réitération des pratiques pour ces trois catégories de factures, le plafond théorique que l’administration devrait appliquer représenterait donc 12 millions d’euros.

Procédure de sanctions administratives

La procédure de sanctions administratives a été assortie de garde-fous par le législateur.

L’administration doit ainsi respecter en particulier les principes du contradictoire et de motivation, tels que prévus par le Code de commerce.

Avant toute décision, elle doit informer par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre (courrier de prénotification d’amende), en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix, et en l'invitant à présenter, dans le délai de 60 jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales (C. com. art. L 470-2, IV).

En pratique, le procès-verbal dans lequel les manquements doivent être constatés par l’administration est joint au courrier de prénotification de la DGCCRF.

Passé ce délai de 60 jours, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer une amende.

La publication des amendes est systématique. Elle a lieu sur le site internet de la DGCCRF et, aux frais de la personne sanctionnée, sur un support habilité à recevoir des annonces légales que cette dernière aura choisi dans le département où elle est domiciliée ; la DGCCRF peut par ailleurs décider que la décision sera publiée, aux frais de la personne sanctionnée, sur d'autres supports, par voie de presse, par voie électronique ou par voie d'affichage, tels que la page d’accueil de son site internet (C. com. art. L 470-2, V-al. 2 et R 470-2, III-al. 1).

L'autorité administrative doit préalablement avoir informé la personne sanctionnée, lors de la procédure contradictoire, de la nature et des modalités de publicité de sa décision ; ces modalités doivent être précisées dans la décision prononçant l'amende (art. L 470-2, V-al. 3 et R 470-2, III-al. 5).

La publication peut porter sur tout ou partie de la décision, ou prendre la forme d'un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de cette décision (art. R 470-2, III-al. 2).

Etonnamment, aucun plafond quant à la durée de publication n’a été prévu par le Code de commerce (sauf pour l’affichage, qui ne peut excéder deux mois : C. com. art. R 470-2, III-al. 4). Relevons que l’amende publiée à l’encontre de la société EDF figure sur le site internet de la DGCCRF depuis le 1er août 2019, soit depuis presque deux ans ! 

Le mécanisme répressif est plus simple et rapide

Ces modifications législatives ont octroyé à la DGCCRF le pouvoir de prononcer elle-même des amendes administratives d’un montant élevé et d’en faire la promotion à sa guise. Le mécanisme répressif, censé renforcer « l’effectivité de la règle de droit » (Note d’information DGCCRF 2014-185 du 22-10-2014), est par conséquent plus simple et rapide du fait de l’absence de recours à un juge « a priori ».

Constitutionnalité et conventionalité du dispositif

Lors de l’examen « ex ante » du dispositif de sanctions administratives instauré par la loi Hamon du 17 mars 2014, le Conseil constitutionnel avait jugé les nouvelles prérogatives octroyées à l’administration conformes à la Constitution. L’un des fondements de sa décision était alors qu’il appartient « au juge administratif, compétent pour connaître du contentieux de ces sanctions administratives, de veiller au respect de la procédure prévue par le législateur » (Cons. const. 13-4-2014 n° 2014-690 DC).

Des tentatives, jusqu’ici infructueuses, ont par ailleurs été entreprises afin de remettre en cause la conventionalité du dispositif. Ces actions ont eu pour fondement le principe de l’impartialité et le droit au recours prévus aux articles 6, 1 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH).

Les arguments exposés par les requérantes ont consisté à prétendre que la procédure de sanction administrative instituée par le Code de commerce méconnaît le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement et le principe du droit au recours. Or, selon le juge administratif, il n’en est rien, car si les amendes administratives présentent le caractère d’une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu’elles visent et n’ont pas pour objet la seule réparation pécuniaire d’un préjudice, et partant […] appartiennent bien à la matière pénale, elles «  ne sont pas prononcées par un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; […] par suite, les principes d’indépendance et d’impartialité consacrés par ce texte ne peuvent être utilement invoqués à l’encontre de la procédure administrative critiquée » et, en tout état de cause, « la sanction administrative intervient après une procédure contradictoire, dans le respect du principe des droits de la défense » et elle peut ensuite être soumise au contrôle de plein contentieux des juridictions administratives, dans le respect des principes d’indépendance et d’impartialité (TA Lyon 8-2-2018 n° 1509724, Casino).

Le caractère exécutoire de la décision administrative ne violerait pas non plus le principe du droit au recours garanti par la Conv. EDH dans la mesure où un recours contentieux devant les tribunaux tendant à l’annulation de la décision peut être exercé et une requête en référé-suspension introduite (TA Paris 9-10-2018 n° 1709708, Climespace).

De nombreux contrôles

Depuis plusieurs années maintenant, le respect des délais de paiement constitue une priorité pour la DGCCRF. Les contrôles des délais de paiement réalisés par l’administration économique se sont donc intensifiés. Cette intensification des contrôles se perçoit notamment à l’encontre des entreprises ayant souscrit un prêt garanti par l’Etat (PGE) dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

Les statistiques communiquées par l’administration sont particulièrement instructives et montrent l’ampleur et l’efficacité de ces procédures de sanction. En 2020, 182 procédures d’amende administrative, représentant au total plus de 29,9 millions d’euros ont été lancées (Bilan d’activité de la DGCCRF 2020 et communiqué de presse du 22 février 2021 précité). Plus de 900 établissements avaient été contrôlés par les services de la DGCCRF (contre 1 517 en 2019 et 2 700 en 2018). La baisse du nombre de contrôles en 2020 semble pouvoir s’expliquer par la baisse du nombre de visites sur place en raison de la crise du Covid-19.

Les bilans de jurisprudence de la DGCCRF comportent par ailleurs des informations détaillées sur les types de sanctions prononcées (avertissements, injonctions, amendes) et sur l’activité contentieuse.

A noter que la DGCCRF communique également sur des montants individuels d’amendes (990 000 € pour La Banque postale, etc.) dans son bilan d’activité 2020. Reste à savoir si, pour ces entreprises ainsi mises à l’index, une telle publicité avait été spécifiquement prévue au stade des courriers de prénotification d’amendes qui leur avaient été adressés et dans les décisions de sanction correspondantes, comme la loi l’impose (nos 5 s.).

Par ailleurs, 24 décisions contentieuses sont intervenues en 2019, dont 7 annulant ou censurant partiellement les décisions de sanction, notamment pour disproportion de la sanction eu égard aux retards constatés.

Malgré cette intensification des sanctions à partir de 2017, il n’est pas certain qu’une baisse corrélative des délais de paiement puisse être observée de manière évidente en France (pour plus d’informations, voir le Rapport annuel 2019 de l'Observatoire des délais de paiement).

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Les faiblesses du dispositif de sanctions administratives 

Le flou artistique de la détermination des sanctions par l’administration

La constatation du dépassement du délai de paiement maximal pour une seule facture suffit théoriquement à justifier l’application de sanctions administratives (voir, par exemple, l’amende infligée pour trois factures présentant des retards de paiement allant de 4 jours à 1 semaine: TA Marseille 5-6-2018 n° 1604357, International Express).

Au sein des larges fourchettes dont dispose l’administration, se pose la question de savoir si certains critères de détermination des amendes peuvent être identifiés.

L’absence de critères légaux

Si le Code de commerce instaure un plafond d’amende que, par définition, l’administration ne peut pas dépasser pour la sanction d’un manquement (n° 4), il est en revanche muet quant aux critères qui sont pris en considération pour la détermination du montant de la sanction.

A l’instar d’autres domaines du droit économique, le législateur aurait pu énoncer les critères à prendre en compte pour permettre de circonscrire et d’adapter la sanction aux faits (par exemple, le chiffre d’affaires de l’entreprise, la gravité des manquements, sa capacité contributive, etc.).

Les critères appliqués par l’administration

Les communiqués « standards » de sanctions publiés par la DGCCRF sur son site internet ne précisent pas les critères ayant concouru à la détermination du montant de l’amende et, notamment, le nombre de jours moyen de retard ou le pourcentage de factures payées en retard. Il est seulement possible de constater que les sanctions sont très variables dans leur montant : à ce jour, les amendes actuellement publiées sur ce site internet varient entre 1 000 € et 3,7 millions d’euros.

Nous constatons qu’en pratique les contrôleurs tentent d’appliquer une méthodologie uniforme, avec toutefois des disparités pour le calcul du montant de l’amende selon l’administration locale concernée (les Direccte, devenues Dreets, Drieets ou Deets). Après avoir identifié des factures considérées comme ayant été réglées en retard à partir du grand livre fournisseurs, les agents calculent les facteurs suivants :

  • le nombre de factures réglées en retard ;

  • le montant total réglé en retard ;

  • le nombre moyen de jours de retard pondéré ;

  • la rétention de trésorerie.

L’administration pondère le nombre moyen de jours de retard en tenant compte du montant de chaque facture réglée en retard. Par exemple, dans le cas de trois factures en retard, la formule est la suivante : [(montant de la facture 1 en manquement × nombre de jours en dépassement 1) + (montant de la facture 2 en manquement × nombre de jours en dépassement 2) + (montant de la facture 3 en manquement × nombre de jours en dépassement 3)] /montant total des factures en dépassement].

La rétention de trésorerie est généralement déterminée par les agents en appliquant la formule suivante : [montant total en dépassement × retard moyen pondéré (en jours)] / durée du contrôle en jours. Par exemple, dans le cas d’un contrôle portant sur des factures correspondant à une durée totale d’un an avec un montant total retenu comme ayant été payé en retard de 14 millions d’euros et un retard de paiement moyen pondéré de 65 jours, la rétention de trésorerie représenterait environ 2,5 millions d’euros (14 000 000 × 65 / 365).

La taille de l’entreprise (chiffre d’affaires, etc.) peut par ailleurs influer en pratique sur le montant de l’amende.

Les modalités de prise en compte de ces différents facteurs dans la détermination du montant final de l’amende ne sont toutefois pas connues. Il en résulte que la méthode de calcul utilisée par l’administration demeure particulièrement obscure.

Il est toutefois probable qu’en pratique le critère de la rétention de trésorerie joue un rôle déterminant dans la fixation de l’amende. Bien qu’il soit déterminant, ce critère n’est néanmoins absolument pas défini par les textes.

Le critère de la rétention de trésorerie est probablement déterminant

Il n’est pas diffusé par l’administration économique, à deux exceptions près toutefois. Il ressort en effet de deux communiqués de presse de la DGCCRF que la société SFR a été condamnée à une amende d’un montant de 3,7 millions d’euros pour un montant supérieur à 72 millions d’euros de rétention de trésorerie et que la société EDF avait été condamnée à une amende d’un montant de 1,8 million d’euros représentant un montant supérieur à 38 millions d’euros de rétention de trésorerie.

Dans ces deux affaires pour lesquelles le montant de la rétention de trésorerie a été publié par la DGCCRF, l’amende prononcée représentait donc environ 5 % du montant de la rétention de trésorerie constatée. En pratique, cependant, il apparaît que le montant de l’amende se situe bien souvent au-delà de 15 % du montant de la rétention de trésorerie calculée.

Pour l’adoption de lignes directrices

A défaut de critères légaux de détermination des amendes et de communication claire de l’administration sur une méthode de détermination de celles-ci, il serait opportun que des lignes directrices soient adoptées.

A la suite de l’entrée en vigueur de la loi Hamon en 2014, la Directrice générale de la DGCCRF avait indiqué que des lignes directrices relatives à la détermination du montant des amendes administratives seraient publiées : « Ces nouveaux pouvoirs d’injonction et de sanction seront utilisés dans un double souci de proportionnalité et de cohérence globale : ils seront adaptés aux circonstances particulières de chaque manquement, dans un cadre harmonisé sur l’ensemble du territoire. Le montant des amendes devra en particulier tenir compte de la gravité du manquement et de la situation de la ou des entreprises concernées. Des lignes directrices préciseront ces différents aspects. Mes services veilleront, par ailleurs, à communiquer sur leur action en diffusant périodiquement des synthèses "anonymisées" des décisions prises, mais aussi en publiant certaines décisions, notamment en cas de manquement particulièrement grave » (N. Homobono, Les nouveaux pouvoirs de la DGCCRF issus de la loi Hamon, AJCA 2014, p. 144).

A ce jour, ces lignes directrices n’ont toujours pas été publiées.

Un guide à destination des entreprises pour évaluer approximativement le risque encouru permettrait pourtant d’assurer une plus grande transparence de la procédure de sanctions.

Il aboutirait à une plus grande prévisibilité en permettant d’évaluer, sur la base de critères objectifs et préétablis, le montant de l’amende qui pourrait être infligée.

Il serait à cet égard envisageable de s’inspirer du Communiqué de l’Autorité de la concurrence du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (en cours de refonte).

Comme précisé par l’Autorité, l’intérêt de telles lignes directrices est non seulement d’accroître la transparence, en faisant connaître par avance la façon concrète dont elle exerce son pouvoir de sanction, mais également d’enrichir le contradictoire car elles permettent aux intéressés de mieux comprendre comment sont fixées les sanctions pécuniaires, ainsi qu’aux juridictions de contrôle d’en vérifier plus aisément la détermination.

Nous conseillons de nombreuses entreprises à l’occasion des contrôles des délais de paiement et constatons souvent une incompréhension du montant des amendes encourues. En effet, des entreprises respectant très majoritairement la réglementation et ayant mis en œuvre une politique destinée à limiter ou éviter les retards de paiement se trouvent néanmoins confrontées à des « propositions » d’amendes particulièrement lourdes qui leur paraissent disproportionnées.

Au vu du développement des contrôles et de la rigueur des sanctions prononcées, il semblerait opportun que des éléments pour la détermination du montant de la sanction soient établis par la loi et pris en compte par l’administration, notamment afin de permettre, d’une part, aux opérateurs d’évaluer, sur la base de critères objectifs et préétablis, le montant de l’amende qui pourrait leur être infligée et, d’autre part, de soumettre les agents au respect de ces critères en permettant un contrôle effectif de leur application par le juge administratif.

Ces critères pourraient être la taille de l’entreprise et sa capacité contributive, la gravité du manquement, les raisons expliquant ou justifiant les retards, les mesures correctives mises en place par les entreprises, etc.

Il serait également opportun que ce texte législatif soit accompagné de lignes directrices qui expliquent comment le pourcentage de factures payées en retard est pris en compte dans la détermination du montant des amendes. 

Les limites du contrôle des sanctions par les juridictions administratives

Des sanctions étant prononcées par l’administration, plusieurs types de recours s’offrent aux sociétés ayant fait l’objet d’une décision de sanction : recours administratifs (recours gracieux, recours hiérarchique), recours juridictionnels (requête au fond ou requête en référé-suspension devant le tribunal administratif).

En 2019, seuls 42 recours administratifs ont été introduits soit devant le ministre de l’économie (16 recours hiérarchiques), soit devant l’autorité à l’origine de la sanction (26 recours gracieux).

Par ailleurs, seuls 11 recours contentieux ont été introduits devant le juge administratif afin de solliciter l’annulation de la décision ou la réduction du montant de l’amende prononcée.   

En 2019, 24 décisions sont intervenues en matière de délais de paiement, dont 5 censurant partiellement la décision de sanction pour disproportion de l’amende, dont une annulant également la mesure de publication.

Peu de contrôles sont finalement soumis au juge administratif

Eu égard au nombre de contrôles diligentés, force est de constater que peu d’entre eux sont finalement soumis au juge administratif, malgré des amendes très lourdes et une disparité des sanctions sur le territoire en l’absence de lignes directrices en la matière.

En outre, au vu du nombre de décisions censurées par le juge, la question de l’effectivité des recours en la matière peut également se poser et partant, celle de savoir si la garantie de la constitutionnalité du dispositif que constitue l’existence de recours effectifs selon le Conseil constitutionnel et le juge administratif (nos 8 s.) n’est pas en réalité qu’une garantie de pure forme.

Parmi les décisions administratives, on recense ainsi peu de décisions d’annulation ou de réformation, sans doute également parce que ces décisions ne sont pas encore toutes publiées.

Quelques décisions ont annulé ou censuré partiellement des sanctions administratives pour des raisons tenant à l’application de la loi dans le temps (TA Grenoble 17-2-2017 n° 1503519, Caterpillar ; TA Strasbourg 16-1-2019 n° 1604749, Muré ; TA La Réunion 8-2-2019 n° 1600946, Youfa).

D’autres se prononcent sur la gravité du manquement et le caractère disproportionné de l’amende. A titre d’exemple, il a été jugé que « la requérante ne saurait utilement se prévaloir du montant des amendes prononcées à l’encontre d’autres entreprises dès lors que le caractère proportionné de la sanction doit s’apprécier par rapport à la gravité et à la nature des manquements qui lui sont reprochés ; que, par suite, compte tenu notamment du nombre des retards constatés, de leur durée, du montant des factures concernées et de la taille de la société […], celle-ci n’est pas fondée à soutenir que les sanctions prononcées à son encontre sont disproportionnées » (TA Amiens 23-3-2018 n° 1600712, Maguin).

Dans une autre affaire, « seules sept des soixante factures fondant l’amende litigieuse pouvaient légalement être prises en compte. Il résulte de l’instruction que le retard moyen de paiement de ces factures, lesquelles représentent un montant total de 41 432,12 €, soit 1,4 % du chiffre d’affaires de la société […], s’établit à 8,7 jours. Au regard de la faible gravité du manquement pouvant être sanctionné, le Direccte a, en infligeant à la société […] une amende administrative d’un montant de 13 800 €, pris une sanction disproportionnée. Par suite, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, il y a lieu de modérer le montant de l’amende prononcée en le ramenant à 1 000 € » (TA Strasbourg 16-1-2019 n° 1604749, Muré).

Afin de vérifier la proportionnalité de l’amende, certaines juridictions administratives semblent prendre en compte les quatre critères suivants :

  • le nombre de factures en retard ;

  • le pourcentage moyen des retards ;

  • le montant total en retard ;

  • la taille de la société.

Curieusement, les décisions rendues par les juridictions administratives ne sont pas toutes publiées, et notamment celles qui sont favorables aux entreprises. De surcroît, on ne manque pas de relever que, dans son bilan d’activité, l’administration ne commente que les décisions qui lui sont favorables (Bilan d’activité de la DGCCRF 2020 et communiqué de presse du 22-2-2021 précités).

Gageons qu’à l’avenir, à la faveur de contrôles de plus en plus nombreux, et d’amendes de plus en plus élevées prononcées sans critères précis ou barème permettant de s’assurer de leur proportionnalité, les recours hiérarchiques ou contentieux seront eux aussi de plus en plus fréquents.

Par Nathalie PETRIGNET, avocat associé au sein du département Concurrence et droit européen de CMS Francis Lefebvre Avocats. Elle est coauteur de la rubrique « Ententes et abus de domination » du Memento Concurrence Consommation.

et Amaury Le BOURDON, avocat au sein du département Concurrence et droit européen de CMS Francis Lefebvre Avocats. Il est coauteur de la rubrique « Ententes et abus de domination » du Memento Concurrence Consommation.

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