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Tendance du droit : le billet du Professeur Barthélémy Mercadal

Le droit s’adapte subrepticement aux évolutions de la société par des règles qui, un jour, sautent aux yeux. Dans ce billet, le Professeur Mercadal décrypte régulièrement les dernières tendances du droit pour les abonnés de la Quotidienne des Editions Francis Lefebvre. Aujourd'hui : le consensualisme contractuel.


Par Barthélémy MERCADAL
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©Lefebvre-Dalloz

Depuis le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance de réforme du droit des contrats, le principe du consensualisme est reconnu par le Code civil, à travers l’article 1109, alinéa 1 qui consacre le contrat consensuel comme celui qui « se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Désormais sanctifié par la loi, le consensualisme qui a pris naissance en droit français sous l’influence du droit canonique au XIIIe siècle, a été pleinement établi au XVIe siècle. Il est de nos jours scrupuleusement respecté par les tribunaux, qui en ont tiré deux règles pratiques.

Ecrit constatant un échange de volontés

Tout écrit qui constate un échange de volontés peut être qualifié de contrat dès lors qu’il a pour objet des prestations déterminées ou déterminables.

Les illustrations jurisprudentielles de cette règle sont multiples. Jugé notamment que recélait un contrat : un échange par téléphone (Cass. req. 14-5-1912 : DP 1913.1.281 note Valéry) ; un communiqué émanant d’un ministère (CA Paris 28-6-1977 : GP 1977.2.657) ; le cahier des charges d’une procédure de saisie immobilière (Cass. 2e civ. 2-7-1986 n° 85-12.884 : Bull. civ. II n° 102) ou d’une adjudication (Cass. civ. 14-1-1981 : JCP G 1981.IV.110) ; la convention entre époux réglant les effets patrimoniaux d’un divorce en dépit de son homologation judiciaire (Cass. ch. mixte 6-12-1985 : JCP G 1986.II.20646 note Bénabent et Lindon), de même que l’acte homologué de changement de régime matrimonial des époux (Cass. civ. 14-1-1997 : D. 1997.273 rapport Savatier) ; le règlement intérieur d’une collectivité (TGI Paris 7-5-1976 : GP 1976.2.522) ; le jugement qui constate l’accord donné, dans les mêmes termes, par une partie à l’autre sur un objet déterminé, dit « contrat judiciaire » (Cass. civ. 8-7-1925 : DP 1927.1.21 ; CA Versailles 6-2-1979 : GP 1980.som. 88 ; cf. Cass. 1e civ. 25-6-2008 n° 07-10.511 FS-PB : D. 2008.1997.som.) ; un échange de correspondance par lettres (Cass. com. 19-1-1993 n°  91-12.644 : RJDA 5/93 n° 393 ; Cass. com. 29-11-1994 n° 92-19.825 D : RJDA 3/95 n° 246 ; Cass. 3e civ. 9-5-2012 n° 11-15.161 B : RJDA 12/12 n° 1037), par télex (Cass. com. 25-5-1988 n° 86-16.366 D) ou par courriels (Cass. 1e civ. 11-7-2019 n° 17-10.458 P ; cf. CA Paris 17-9-2013 no 12/05435 : RJDA 2/14 no 90) ; un projet de contrat non signé (CA Versailles 16-10-2003 n° 02/00249 : RJDA 12/04 n° 1291 som.) ; une feuille de présence à une représentation signée par un artiste-interprète (Cass. ass. plén. 16-2-2018 n° 16-14.292 PBRI : RJDA 7/18 no 610) ; le règlement de copropriété des immeubles bâtis (Cass. 3e civ. 8-4-2021 n° 20-18.327 FS-P) ; le cahier des charges d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) qui peut devenir contractuel par stipulation pour autrui au profit des parties qui ont acquis un terrain dans la zone (Cass. 3e civ. 4-3-2021 n° 19-22.987 FS-PR) ; une convention d’assistance bénévole (Cass. 1e civ. 5-5-2021 nº 19-20.579 FP : D. 2021.1803 note Galbois-Lehalle).

Expression verbale du consentement

Toute expression verbale d’un consentement peut être retenue comme le signe d’un engagement contractuel, sauf s’il existe une disposition légale contraire. La preuve d’un tel engagement résulte des actes ou des comportements démontrant l’intention d’accepter de contracter. Ainsi, il a été souvent admis par les tribunaux qu’un contrat avait été conclu par un commerçant dont l’exécution lui a été imposée (Cass. 1e civ. 8-10-1963 : Bull. civ. I n° 419 ; Cass. com. 21-10-1963 : Bull. civ. III n° 428 ; Cass. com. 13-6-1978 : GP 1978.2.pan.374 ; Cass. com. 16-2-1988 : BRDA 9/88 p. 5 ; Cass. com. 25-6-1991 n° 88-13.700 D : RJDA 8-9/91 n° 708 ; Cass. 1e civ. 6-1-2010 n° 08-18.645 F-D : RJDA 5/10 no 485.som. ; Cass. com. 14-1-2014 n° 12-13.270 F-D : RJDA 4/14 n° 375). L’intention de contracter est souvent déduite de l’exécution des prestations du contrat invoqué (Cass. com. 30-5-1989 n° 87-19.065 : Bull. civ. IV n° 169).

L’expression tacite de cette intention est aussi largement admise en droit de l’Union européenne. À tel point qu’il a été jugé, pour l’application du règlement UE 1215/2012 du 12 décembre 2012 (Règl. Bruxelles I bis remplaçant règl. CE 44/2001 du 22-12-2000 dit « Règlement Bruxelles I ») sur la compétence, que ne relève pas de la matière extracontractuelle l’action fondée sur une relation établie de longue date s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite ; la démonstration visant à établir l’existence d’une telle relation doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée (CJUE 14-7-2016 aff. 196/15 : RJDA 11/16 n° 839 ; pour une application de cette jurisprudence, Cass. com. 20-9-2017 n° 16-14.812 F-PBI : RJDA 2/18 n° 188 ; CA Paris 9-9-2020 n° 19/19392).

La force du consensualisme est telle qu’elle perce le mur du common law, contrairement à ce qui est communément admis par les juristes d’entreprises français, qui pensent se mettre à l’abri d’interprétations excessives de la lettre de leur contrat par les juges civilistes en plaçant leur contrat sous la loi anglaise. Ils en sont, certes, excusables car il est très rare de lire chez les auteurs français une atténuation de ce credo (cf cependant, dans l’ouvrage « Les Obligations » de Malaurie, Aynès et Ph. Soffel-Munck (n° 536 note 5) : « Ex. sur l’importance du consensualisme dans le common law, dictum de Lord Wright, in Nillas v. Arcos (1932) I.T. 503 : … Aussi est-ce le devoir de la cour d’interpréter de tels documents conformément à la loyauté et de manière large, sans déployer trop de ruse ou de subtilité pour en découvrir les défauts . »)

Avec l’augmentation de la circulation des décisions de justice sur internet, on trouve des exemples de décisions de juges de pays de common law qui ne se sentent pas asservis à la lettre du contrat. Par exemple :

En Afrique du Sud, jugé que :

Une clause contractuelle ne peut pas être interprétée isolément. Son interprétation doit prendre en compte l’entier contrat, y compris les annexes ainsi que le contexte dans lequel il a été élaboré (Transvaal Provincial Division Concor Holdings (PTY) LTD v. VKE Consulting Engineers (PTY) LTD (2016)).

Le processus d’interprétation ne s’arrête plus au sens littéral des termes contractuels. Le juge doit en effet interpréter ces termes en prenant également en considération le contexte dans lequel le contrat a été élaboré (Intech Instruments v Transnet Ltd t/a South African Port Operations (4690/2008) [2017] ZAKZDHC 49).

L’interprétation des termes contractuels relève du juge et non des experts. Toutefois, les experts peuvent aider le juge dans l‘interprétation des termes techniques (Securefin Limited and Another v KPMG Chartered Accountants SA (29314/2002) [2007] ZAGPHC 130 (19 July 2007).

Le point de départ de l’interprétation d’un contrat est inévitablement les termes utilisés par les parties. Ces derniers doivent toutefois être compris en prenant en compte le contexte dans lequel il a été rédigé (Natal Joint Municipal Pension Fund v Endumeni Municipality (920/2010) [2012] ZASCA 13 ; [2012] 2 All SA 262 (SCA)).

Au Royaume-Uni, jugé que :

La partie qui s’est réservé la faculté de modifier unilatéralement un élément du contrat, en l’espèce celle de faire varier le taux d’intérêt contractuellement convenu applicable à un prêt, ne doit pas l’exercer, en vertu de l’existence d’un terme implicite dans le contrat de prêt d’argent, de façon malhonnête, pour un usage impropre, de manière capricieuse ou d’une façon que ne pratiquerait aucun créancier agissant raisonnablement (Paragon Finance c/ Nash : RDC 2004.483 obs. B. Fauvarque-Cosson, écartant en l’espèce un usage condamnable de la faculté d’augmentation unilatérale du taux d’intérêt par le créancier au motif qu’il rencontrait des difficultés, principalement à cause d’un nombre important de défections d’autres emprunteurs). 

Retrouvez les précédents billets décryptant les dernières tendances du droit dans La Quotidienne du 14 janvier 2022 et La Quotidienne du 24 janvier 2022.

Cette information a également été publiée sur le site de l'Institut International de Droit d'Expression et d'Inspiration françaises

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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