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Dans les partages judiciaires, saisissant coup d’arrêt au déni de justice par délégation au notaire

Le juge apprécie l’opportunité de trancher les litiges dont il est saisi par les parties au stade de l’ouverture des opérations de partage judiciaire complexe ou de les renvoyer devant notaire pour instruction, sans plus risquer mécaniquement la sanction du déni de justice.

Cass. 1e civ. 27-3-2024 n° 22-13.041 FS-B


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©Getty Images

Des époux communs en biens divorcent sans s’accorder sur le partage de leurs intérêts patrimoniaux. Une procédure de partage dit « complexe » est initiée avec la désignation d’un notaire pour procéder aux opérations de partage et d’un juge-commissaire pour les surveiller (CPC art. 1364 à 1376). En appel, la cour reconnaît à l’épouse diverses créances. S’agissant des taxes foncières en débat, elle décide qu’il appartient à celle-ci de justifier de leur paiement devant le notaire pour que sa créance soit admise.

Le mari se pourvoit en cassation en invoquant le déni de justice par délégation à un notaire (C. civ. art. 4). Aux termes de cette disposition, il incombe au juge de trancher lui-même les contestations soulevées par les parties sans pouvoir se dessaisir et déléguer ses pouvoirs à un notaire liquidateur.

Rejet du pourvoi. Selon la Haute Juridiction, lors d’une procédure de partage dit « complexe », ne méconnait pas son office le juge qui, saisi de demandes au stade de l’ouverture des opérations de partage, estime qu’il y a lieu de renvoyer les parties devant le notaire afin d’en permettre l’instruction.

A noter :

Changement de paradigme pour la Cour de cassation en matière de partage judiciaire dit « complexe » : désormais, le juge saisi de demandes au stade de l’ouverture des opérations de partage peut renvoyer les parties devant le notaire afin d’en permettre l’instruction s’il l’estime opportun, « dans l’intérêt du bon déroulement des opérations de partage », sans risquer d’être sanctionné pour déni de justice par délégation à un notaire.

Dans un esprit didactique, la Haute Juridiction explicite les raisons de son revirement en relevant les éléments suivants :

- elle rappelle tout d’abord le principe : le juge doit trancher lui-même les contestations soulevées par les parties ; il ne peut se dessaisir et déléguer ses pouvoirs à un notaire liquidateur (C. civ. art. 4) ;

- en conséquence, jusqu’alors, le juge saisi d’une demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage qui s’abstenait de trancher les contestations soulevées par les parties et qui renvoyait celles-ci devant le notaire liquidateur pour apporter les justificatifs de leurs demandes violait le principe précité. Pour illustrer son propos, la Cour se réfère à deux précédents : le premier, qui a posé la solution de principe aujourd’hui censurée (Cass. 1e civ. 2-4-1996 n° 94-14.310 : Bull. civ. I n° 162) ; le second, dernier en date à en faire application (Cass. 1e civ. 21-6-2023 n° 21-20.323 F-D) ;

- cependant, dans sa rigueur, cette solution ne tient pas compte de la spécificité de la procédure de partage judiciaire complexe (CPC art. 1364 à 1376). Celle-ci comprend une phase au cours de laquelle le notaire chargé des opérations de partage convoque les parties et demande la production de tout document utile pour procéder aux comptes entre elles et à la liquidation de leurs droits, avant de dresser un projet d’état liquidatif (CPC art. 1365 et 1368).

La Cour de cassation affine sa démonstration avec trois arguments :

D’abord, l’instruction des désaccords entre copartageants par le notaire est conforme à l’esprit de la procédure du partage complexe qui favorise le recours au partage amiable. Dans une telle procédure, les opérations débutent par la phase notariée décrite ci-dessus mais les copartageants conservent toujours la faculté d’abandonner les voies judiciaires et de poursuivre le partage à l’amiable (CPC art. 1372 qui renvoie à C. civ. art. 842). Il est dès lors conforme à l’esprit de ce dispositif de permettre l’instruction par le notaire des désaccords, afin d’en favoriser le règlement amiable.

Ensuite, il faut permettre au juge d’apprécier l’opportunité d’un traitement préalable ou non d’un différend opposant les copartageants car celle-ci dépend des circonstances propres à chaque procédure. La Cour de cassation le démontre avec des illustrations dans lesquelles le traitement anticipé des différends présente des avantages ou des inconvénients. Pour les avantages, elle cite l’établissement de la qualité d’héritier ou de légataire, la détermination en amont de la loi applicable au litige ou des éléments actifs et passifs de la masse à partager ; au titre des inconvénients, elle retient l'évaluation de biens objets du partage ou de créances calculées au profit subsistant qui sera dépourvue de l'autorité de la chose jugée si elle ne fixe pas la date de jouissance divise (Cass. 1e civ. 3-3-2010 n° 09-11.005 F-PB ; Cass. 1e civ. 21-6-2023 n° 21-24.851 FS-PB : SNH 24/23 inf. 5), laquelle doit être la plus proche possible du partage et ne saurait, en principe, être fixée dès l'ouverture des opérations.

Enfin, le juge ne délègue pas ses pouvoirs lorsque, au stade de l’ouverture des opérations de partage judiciaire, il renvoie les parties devant le notaire afin qu’il instruise les points de contestation. En effet, en cas de désaccords subsistant sur le projet d’état liquidatif du notaire, celui-ci en réfère au juge commis et c’est, in fine, au tribunal qu’il revient de les trancher.

Rétrospectivement la jurisprudence la plus récente en matière de déni de justice par renvoi au notaire liquidateur ne laissait rien présager de ce revirement de jurisprudence (Cass. 1e civ. 30-11-2022 no 21-14.251 F-D : BPAT 2/23 inf. 93, RTD civ. 2023 p. 183 obs. N. Cayrol ; Cass. 1e civ. 21-6-2023 n° 21-20.323 F-D). Cependant, les derniers arrêts rendus en matière de partage judiciaire s’attachent à (re)définir clairement les rôles des différents intervenants (Cass. 1e civ. 22-6-2022 n° 20-22.712 F-B : SNH 24/22 inf. 1 obs. F. Letellier ; Cass. 1e civ. 22-11-2023 n° 21-25.833 F-B : SNH 40/23 inf. 4 ; Cass. 1e civ. 6-3-2024 n° 22-15.311 F-B : SNH 11/24 inf. 1 obs. N. Couzigou-Suhas).

Dans ce sillage, ce revirement de jurisprudence peut s’interpréter comme une reconnaissance accrue de l’expertise du notaire en matière de liquidation-partage, s’accompagnant d’une déjudiciarisation du partage judiciaire complexe.

Pour une étude sur le déni de justice par délégation au notaire, nous renvoyons à l’article de Nicolas Cayrol, professeur à l’université de Tours (N. Cayrol, Le déni de justice par délégation prohibée à un notaire : RTD civ. 2023 p. 183, à propos de Cass. 1e civ. 30-11-2022 n° 21-14.251 F-D).

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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