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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Affaires/ Propriété industrielle et intellectuelle

Le site de peer-to-peer « The Pirate Bay » viole les droits d’auteur

La fourniture et la gestion d’une plateforme de partage en ligne d’œuvres protégées, mises en ligne par les utilisateurs de la plateforme, constituent une communication des œuvres au public nécessitant le consentement des auteurs.

CJUE 14-6-2017 aff. 610/15


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1. « The Pirate Bay », une plateforme de partage en ligne (peer-to-peer), permet à ses utilisateurs de partager et de télécharger, par fragments (« torrents ») et donc rapidement, des œuvres qui se trouvent sur leurs propres ordinateurs et qui sont, la plupart du temps, des œuvres protégées par le droit d’auteur (des musiques ou des films par exemple).

Ces partages ayant lieu sans l’autorisation des titulaires des droits, une fondation néerlandaise de défense du droit des auteurs demande à un fournisseur d’accès à internet de bloquer les noms de domaines et adresses IP du site de peer-to-peer.

Devant les juridictions néerlandaises, le débat se cristallise autour de la question suivante : qui, des utilisateurs du site de peer-to-peer ou du site lui-même méconnaît le droit des auteurs de ces œuvres ?

La Cour de justice de l’Union européenne est saisie d’une question préjudicielle : l’administrateur d’un site internet de partage en ligne réalise-t-il une communication au public au sens de la directive sur la protection du droit d’auteur ?

Pour mémoire : les Etats membres de l'Union européenne doivent accorder aux auteurs le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, ainsi que leur mise à disposition par internet (Dir. 2001/29/CE du 22-5-2001 sur l'harmonisation du droit d'auteur art. 3, 1). La communication au public couvre toute transmission ou retransmission de l’œuvre au public non présent au lieu d’origine de la communication. Lorsqu’une atteinte à ce droit est constatée, un fournisseur d’accès à internet doit pouvoir être contraint de bloquer l’accès à un site portant atteinte à un droit d’auteur.

La notion de communication au public n’est pas définie par le texte européen et la Cour de justice rappelle que cette notion associe deux éléments cumulatifs : un acte de communication d’une œuvre et la communication de cette dernière à un public.

L’acte de communication

2. En premier lieu, l’acteur ne réalise d’acte de communication que lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsqu’en l’absence de cette intervention ces clients ne pourraient que difficilement jouir de l’œuvre diffusée (CJUE 8-9-2016 aff. 160/15 : RJDA 3/17 n° 214). La CJUE met ainsi en avant le rôle incontournable joué par celui qui est à l’origine de la communication et le caractère délibéré de son intervention.

Il existe, par ailleurs, un acte de communication au public dès qu’une œuvre est mise à la disposition d’un public, de telle sorte que les personnes composant ce public puissent y avoir accès de l’endroit et au moment qu’elles choisissent individuellement, sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité (CJUE 13-2-2014 aff. 466/12 point 19 : BRDA 4/14 inf. 23).

3. Dans le cas du site « The Pirate Bay », les œuvres protégées par le droit d’auteur sont mises à la disposition des utilisateurs de la plateforme par l’intermédiaire de celle-ci, de manière à ce que ces utilisateurs puissent y avoir accès de n’importe où. 

Certes, ainsi que le souligne la plateforme, ce sont les utilisateurs qui mettent les œuvres en ligne, et non pas la plateforme elle-même. Mais, souligne la Cour de justice, les administrateurs de The Pirate Bay :

- mettent à la disposition des utilisateurs et gèrent cette plateforme de partage en ligne ;

- indexent et répertorient sur cette plateforme les fichiers torrents qui permettent aux utilisateurs de celle-ci de localiser ces œuvres et de les partager dans le cadre d’un réseau peer-to-peer.

Sans ces interventions, les œuvres protégées ne pourraient pas être partagées par les utilisateurs ou, au moins, leur partage sur internet s’avérerait plus complexe, de sorte que le rôle des administrateurs de The Pirate Bay dans la mise à disposition des œuvres est incontournable et caractérise un acte de communication au sens de la directive.

La notion de public

4. Pour relever du texte européen, les œuvres protégées doivent être effectivement communiquées à un public, la notion répondant aux deux critères suivants (CJUE 13-2-2014 aff. 466/12 précité, points 24 à 27) :

- La communication doit viser un nombre indéterminé et important de destinataires potentiels ;  la plateforme litigieuse étant utilisée par un nombre considérable de personnes, lesquels peuvent accéder à tout moment et simultanément aux œuvres protégées qui y sont partagées, ce critère est ici rempli.

- La communication doit par ailleurs viser un public nouveau. Il n’y a pas de communication à un public nouveau lorsque cette communication concerne une œuvre déjà mise à la disposition du public, en libre accès, sur un site internet, dès lors que, dans une telle situation, la communication vise au moins potentiellement le même public que celui visé par la mise à disposition originaire, à savoir la totalité des utilisateurs d’internet. Pour l’application de ce critère, la CJUE juge qu’il convient de prendre en compte non pas le public qui a effectivement accès à l’œuvre mais celui qui a été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lors de la communication initiale. Au cas présent, les administrateurs de la plateforme en ligne ne pouvaient pas ignorer que cette plateforme donnait accès à des œuvres publiées sans l’autorisation de leur auteur, cette absence d’autorisation excluant par hypothèse la prise en compte de ses utilisateurs.

5. La Cour aurait également pu s’affranchir de la question du public nouveau en constatant qu’au cas présent la communication avait lieu suivant un mode technique spécifique, c’est-à-dire différent de ceux jusqu’alors utilisés, ce qui suffit en principe à caractériser la communication « au public » (CJUE 8-9-2016 aff. 160/15 point 37 : RJDA 3/17 n° 214).

Incidence du caractère lucratif de la mise à disposition

6. Enfin, la CJUE relève que la plateforme, qui génère d’importantes recettes publicitaires, a pour but de réaliser un bénéfice.

Le caractère lucratif de l’activité a  déjà été mis en avant, notamment dans l’arrêt GS Média (8-9-2016 aff. 160/15 : RJDA 3/17 n° 214) : lorsque le placement d’hyperliens est effectué dans un but lucratif, il peut être attendu de l’auteur d’un tel placement qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée. La Cour de justice en déduit que, dans un tel cas, il y a lieu de présumer que ce placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de l’œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication sur internet par le titulaire du droit d’auteur.

7. De son côté, l’avocat général soutenait dans ses conclusions que l’opérateur du site devait effectivement avoir agi en connaissance de cause et que cette connaissance ne pouvait être déduite de son caractère lucratif, sauf à imposer aux opérateurs des sites d’indexation des réseaux peer-to-peer, qui fonctionnent normalement dans un but lucratif, une obligation générale de surveillance des contenus indexés.

La décision commentée paraît donc écarter cette réserve, même si la Cour de justice se contente de relever sommairement le caractère lucratif de l’activité sans préciser les conséquences qu’elle en tire, et alors qu’elle relève par ailleurs que les administrateurs du site ne pouvaient pas ignorer que la plateforme donnait accès à des œuvres publiées sans autorisation, compte tenu de la quantité d’œuvres concernées.

Maya VANDEVELDE

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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