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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Affaires/ Ententes et abus de domination

La notion de restriction de concurrence par objet doit être interprétée de manière restrictive

La mise en place par les banques de commissions interbancaires liées au système dématérialisé de traitement des chèques ne constitue pas une restriction de concurrence par objet, notion qui doit être interprétée restrictivement, rappelle la Cour de cassation.

Cass. com. 29-1-2020 n° 18-10.967 FS-PB 


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Faits 

1. A l'occasion de la mise en place d'un système dématérialisé de compensation des chèques, dit « échange image chèque » (EIC), plusieurs banques décident l'instauration de diverses commissions interbancaires : une commission fixe de quelques centimes d’euro par chèque, dite commission d'échange image chèque (CIEC), versée par la banque remettante à la banque tirée à l'occasion de chaque paiement par chèque et destinée à compenser la perte de trésorerie subie par la banque tirée du fait de la réduction du temps de traitement des chèques ; huit commissions occasionnelles, dites commissions pour services connexes (CSC), parmi lesquelles les commissions d’annulation d’opérations compensées à tort (AOCT), également uniformes, liées à certains services rendus par les banques pour l'exécution des paiements par chèques dans le nouveau système.

Décision de la cour d'appel de Paris

2. Comme l’Autorité de la concurrence, la cour d’appel de Paris considère qu’en instaurant entre elles la CIEC et les commissions AOCT, les banques se sont rendues coupables d’une entente anticoncurrentielle par objet (TFUE art. 101, 1 ; C. com. art. L 420-1). Selon la cour, les banques ont fait obstacle à leur liberté de détermination de leurs tarifs, et indirectement des prix, puisque ces commissions devaient nécessairement, compte tenu du système de financement des services bancaires par subventions croisées et du fait que les banques doivent, comme toute entreprise, couvrir leurs coûts, être répercutées sur les prix. Or les comportements consistant, pour les opérateurs d’un marché, à se concerter et à fixer ensemble un élément de leurs coûts, en ce qu’ils font obstacle à la libre fixation des prix qui doivent prévaloir sur les marchés, entrent dans la catégorie des accords ayant pour objet la fixation des prix et sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence.

3. Pour décider que la CIEC et les commissions AOCT ont un objet anticoncurrentiel, la cour d’appel retient que, s’agissant de la CIEC, l’accord prévoyant son instauration a, pour maintenir les équilibres financiers entre les banques, introduit un élément artificiel de coût pour les banques remettantes et de recette pour les banques tirées, ce caractère artificiel résultant de ce que la CIEC ne correspondait à aucun service rendu entre elles. En ce qui concerne les commissions AOCT, elle constate que leur montant a été fixé d’un commun accord à un niveau unique, identique d’une banque à l’autre, sans tenir compte des coûts propres de chacune d’entre elles, de sorte que la création de ces commissions a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques pour ces services connexes. La cour relève aussi que, pour la rémunération des services qu’elles proposent, les banques recherchent la rentabilité globale au niveau de chaque client et non service par service. Dans le cadre de cette relation globale, tous les flux de paiement (cartes bancaires, chèques, espèces, etc.), les crédits, les placements ou encore la gestion du compte peuvent être pris en compte par la banque afin de déterminer le prix des services bancaires qui seront facturés à un client donné, aboutissant ainsi à ce que, par un système dit de subventions croisées, un service puisse être proposé à un prix impliquant une perte si un autre poste permet de couvrir cette perte.

Une appréciation erronée de la notion de restriction de concurrence par objet

4. La Cour de cassation censure l'arrêt d'appel. 

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la notion de restriction de concurrence par objet « doit être interprétée de manière restrictive et ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence » (CJUE 26-11-2015 aff. 345/14, Sia Maxima Latvija, point 18 : RJDA 2/16 n° 152).

En se fondant, par manque d'expérience acquise pour ce type de commissions interbancaires, sur la présomption, contestée, d’une répercussion nécessaire des commissions litigieuses sur les prix finaux, en raison du financement du service de chèque par subventions croisées et d’un principe général de répercussion par tout opérateur économique de tout élément de coût sur les prix finaux, la cour d'appel a méconnu ce principe d’interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet.

5. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et le Code de commerce prohibent les ententes et les abus de position dominante qui ont pour objet « ou » pour effet de fausser le jeu de la concurrence. Lorsqu’il s’agit d’une pratique anticoncurrentielle par objet, les autorités de concurrence sont dispensées de prouver ses effets anticoncurrentiels, concrets ou potentiels, sur le marché (CJCE 4-6-2009 aff. 8/08, T-Mobile Netherlands, points 28 et 30).

Le « noyau dur » des ententes anticoncurrentielles par objet est constitué, par exemple, des pratiques qui visent à une répartition des marchés ou à une fixation des prix en commun.

La CJUE a plusieurs fois rappelé que la notion de restriction de concurrence « par objet » doit être interprétée de manière restrictive et que le critère juridique essentiel pour déterminer si une coordination entre entreprises comporte pareille restriction réside en l’existence d’un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence (voir aussi notamment CJUE 11-9-2014 aff. 67/13, Groupement des cartes bancaires : RJDA 2/15 n° 145 et chron. I. Luc). Afin d'apprécier ce degré de nocivité, il convient de prendre en compte la teneur des dispositions de l'accord, les objectifs qu'il vise à atteindre ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel il s'insère (CJUE 14-3-2013 aff. 32/11, Allianz Hungaria Biztosito ; CJUE 11-9-2014 aff. 67/13 précité ; CJUE 16-7-2015 aff. 172/14, ING Pensii, point 33 ; CJUE 23-1-2018 aff. 179/16, Hoffmann-La Roche, point 79). Dans l’affaire commentée, la Cour de cassation semble reprocher l’absence de prise en compte du contexte économique de l’accord relatif aux commissions interbancaires litigieuses.

Dominique LOYER-BOUEZ

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Concurrence consommation n° 19807

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne