Logo Lefebvre Dalloz Desktop
Votre métier
icone de recherche
icone de recherche
logo
Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Affaires/ Notaire

Les perspectives du notariat sont porteuses

Bruno Cheuvreux, notaire à Paris, associé depuis 35 ans dans l’office éponyme, livre ses convictions personnelles sur l’avenir du notariat : cohabitation entre notaires aux approches différentes, développement du conseil, architecture informatique ouverte…


QUOTI-20171106-notaires.jpg

Quelles sont les bases intangibles de votre métier ?

Bruno Cheuvreux. Je relève cinq « arcboutants » qui tiennent à la nature même du métier de notaire : notre qualité d’officier public et de garant des intérêts privés, double nature unique dans le marché juridique ; la responsabilité et la sécurité, la responsabilité étant symbolisée par la signature de l’acte authentique par le notaire avec son client ; la recherche de l’équilibre, de l’impartialité et de l’équité, fondements conceptualisés dès 1803 par le conseiller Real ; notre double système d’assurance et de mutualisation, également unique ; et la reconnaissance européenne de notre spécificité. La jurisprudence Piringer marque la différence de nature entre l’authentification par un notaire via l’acte authentique et la certification par un avocat via l’acte sous seing privé ou acte d’avocat (CJUE du 9-3-2017, aff. C-342/15).

L’évolution du notariat apparaît nécessaire. Dans quels domaines les notaires doivent-ils rechercher de la valeur ajoutée ?

B. C. Notre valeur ajoutée est requise dans trois domaines. D’abord en matière contractuelle. De rédacteur, nous devenons accompagnateurs pour les stipulations contractuelles, notamment lors de la négociation. En intervenant le plus en amont possible, nous apportons une saine réponse à l’ubérisation de la rédaction d’actes. La singularité d’un notaire viendra de la qualité de son accompagnement. Notre valeur ajoutée intervient aussi dans le domaine du conseil. Le notaire peut faire du conseil et être rémunéré via une convention d’honoraires sans application du tarif (C. com. art. L 444-1 al. 3). La part du chiffre d’affaires de la profession consacrée au conseil s’élève à 7 %. Il faut relever cette part à 20 ou 30 %, tout en sachant que faire du conseil est ce qu’il y a de plus difficile ! Enfin, nous nous distinguons par la recherche de l’intérêt général. Nous participons à l’évolution du droit en élaborant des propositions conçues à partir des besoins de nos clients. Nous devons maintenir notre capacité à rendre un service public pour justifier et préserver le tarif. Nous devons mettre concrètement en œuvre des projets d’intérêt général. Par exemple, et pour ce qui nous concerne, intervenir dans le domaine social (le problème du logement est fondamental), dans le Grand Paris en participant aux montages juridiques et à l’organisation d’appels d’offres ou d’appels à projets.

Quelle est votre appréciation de la réforme de 2015 ?

B. C. Personnellement, j’adhère aux trois principes généraux de la loi « croissance » du 6 août 2015 que sont la marge raisonnable, la saine concurrence entre notaires par la faculté de remise tarifaire, et une ouverture plus large aux jeunes juristes même si le tirage au sort est indigne. Le danger est l’émiettement de la profession. J’identifie aussi deux risques majeurs. Le premier est lié à l’évolution des arrêtés tous les deux ans prévue avec une règle du jeu précise, à savoir déterminer le tarif de telle façon que la marge des notaires soit raisonnable. Ce délai de 2 ans est trop court et anxiogène pour les notaires qui sont des entrepreneurs. Une règle tarifaire doit se caractériser par un minimum de stabilité. L’autre risque est qu’il sera certainement nécessaire d’amender à la marge certains dispositifs tarifaires. En premier lieu, les actes avec de faibles capitaux exprimés pour qu’ils se rapprochent du coût de revient réel, et, en second lieu, certains actes qui, du fait du mécanisme du tarif (pourcentage et faculté de remise), arrivent à des montants déconnectés du marché lorsqu’ils ont pour assiette de très importants capitaux exprimés (par exemple les fusions, les apports d’actifs et les donations Dutreil).

Et l’interprofessionnalité ?

B. C. Stratégiquement la société pluriprofessionnelle d’exercice ne me paraît pas devoir être mise en œuvre aujourd’hui. Maîtrisons d’abord l’évolution de notre statut, constituons des entreprises notariales et des réseaux répondant aux besoins de notre clientèle et continuons comme à l’accoutumée à traiter certains dossiers de concert avec les avocats et les autres professionnels dont l’activité est réglementée.

Comment voyez-vous l’environnement notarial et ses acteurs ?

B. C. Tous les notaires sont à la fois des officiers publics et des professionnels libéraux. Il existe une cohérence de nature de l’ensemble des acteurs du notariat. Toutefois, il est important que cohabitent dans la profession des notaires qui ont, certes, la même conception de leur métier mais des approches différentes. Certains voudront évoluer dans des entreprises notariales concurrentielles au sein du marché juridique, à la fois généralistes et spécialistes. La création de telles entreprises entraînera certainement des fusions d’offices. D’autres notaires voudront mettre en œuvre une conception plus artisanale de leur métier, un notariat de proximité caractérisé par la qualité de l’accompagnement des clients, avec une approche plus généraliste que spécialiste. Enfin, d’autres se développeront en tant que professionnels libéraux au sein de groupes notariaux, avec des prises de participation pour un notariat fort et concurrentiel. Ces groupes permettront de répondre en mode projet à l’ensemble des besoins de leurs clients. Ce type de notariat sera réservé à ceux qui ont une appétence particulière pour le travail en équipe et pour le développement, le goût du challenge. Notre office s’inscrit dans le cadre des première et dernière solutions et je comprends intimement la noblesse du choix de certains confrères pour la deuxième. Je souhaite que les trois solutions coexistent.

Comment assurer la cohérence entre les systèmes d’information et le métier de notaire ?

B. C. Le temps de la création d’une société de services et d’ingénierie en informatique (SSII) par le notariat me semble révolu. A l’inverse, le temps de l’architecture ouverte de chaque système d’information notarial semble venu. Une saine concurrence entre les SSII au sein du notariat est nécessaire. Il y a 20 ans, plus d’une vingtaine de SSII coexistaient dans le notariat. Il n’en existe que trois aujourd’hui ! Elles doivent notamment accepter l’interopérabilité pour qu’un office puisse voir cohabiter plusieurs systèmes en fonction de ses besoins informatiques. Le temps de la gestion de la productivité des offices et de l’affectation des ressources est aussi venu. Le notaire doit connaître ses prix de revient sans une débauche d’efforts invraisemblables. Il a besoin de solutions de compatibilité analytique agiles et simples. Quant au rôle des instances notariales, il doit, à mon sens, être triple : créer de la concurrence entre SSII au sein de l’écosystème notarial ; être garantes de la totale interopérabilité, de la réversibilité, de la sécurisation de l’accès aux données et du respect de la propriété intellectuelle des notaires sur leurs dossiers ; et définir les règles de l’architecture ouverte, caractéristique de la digitalisation.

Pour conclure ?

B. C. La réforme peut être à la fois la meilleure des choses car elle incite le notariat à se mettre en mouvement et la pire si elle l’éloigne du service public et porte atteinte tous les deux ans à sa rentabilité. Dans la mesure où la profession acceptera de faire partie d’un univers concurrentiel dans le marché juridique, tout en ayant des spécificités respectées, elle aura une approche vertueuse propice à créer un notariat fort et incontournable. Notaires, ayons confiance en nous !

Propos recueillis par Alexandra DESCHAMPS



Bruno CHEUVREUX, étude Cheuvreux notaires

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

Aller plus loin


Mémento Comptable 2024
affaires -

Mémento Comptable 2024

La réglementation comptable en un seul volume
209,00 € TTC
Mémento Fiscal 2024
affaires -

Mémento Fiscal 2024

Synthèse pratique de l’ensemble de la réglementation fiscale applicable
205,00 € TTC