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Une vente et un crédit affecté sont annulables malgré la liquidation judiciaire du vendeur

Malgré l’interdiction des poursuites contre une entreprise faisant l’objet d’une procédure collective, un consommateur peut agir en nullité ou en résolution d’une vente et du crédit lié à son achat après la mise en liquidation judiciaire du vendeur, en se prévalant de la violation de la réglementation sur le démarchage ou d’un dol.

Cass. com. 3-2-2021 n° 19-13.434 F-D


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1. Le jugement ouvrant une sauvegarde, un redressement ou une liquidation judiciaire interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créanciers dont la créance est née avant ce jugement dès lors qu’elle tend à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une telle somme (C. com. art. L 622-21, I, L 631-14, al. 1 et L 641-3, al. 1).

Saisie de l’application de ce texte à propos de la demande en annulation ou en résolution d’une vente et du prêt affecté à celle-ci, la Cour de cassation a rappelé les limites de la suspension des poursuites individuelles durant une procédure collective.

L’arrêt

2. A la suite d’un démarchage, des époux achètent des panneaux photovoltaïques et souscrivent un crédit à la consommation affecté à cet achat. Après la mise en liquidation judiciaire du vendeur, ils demandent l’annulation ou, subsidiairement, la résolution de la vente et du prêt.

La cour d’appel de Paris déclare ces demandes irrecevables : celle formée contre le vendeur affecte nécessairement le passif de la liquidation et constitue une action prohibée, sauf à ce qu'il soit justifié d'une déclaration de créance ; tel n'étant pas le cas, l’irrecevabilité de l’action des époux contre le vendeur leur interdit, en application de l'ex-article L 311-32 du Code de la consommation (désormais art. L 312-55), d'agir également contre le prêteur.

La Cour de cassation censure cette décision. En effet, les époux fondaient leur demande principale d'annulation du contrat de vente sur la violation de la réglementation du démarchage prévue par le Code de la consommation, ainsi que sur l'existence d'un dol, et leur demande subsidiaire de résolution sur l'inexécution de prestations, sans demander de condamnation du vendeur au paiement d'une somme d'argent ni invoquer le défaut de paiement d'une telle somme ; en conséquence, ces demandes ne se heurtaient pas à l'interdiction des poursuites, peu important le sort de l'éventuelle créance de restitution du prix de vente dans la procédure collective du vendeur.

Les actions autres que celles fondées sur un défaut de paiement ne sont pas paralysées

3. L’interdiction d’agir en résolution d’un contrat, après l’ouverture de la procédure collective, pour défaut de paiement d’une créance antérieure par le débiteur ne s’applique pas lorsque l’action en résolution est fondée sur l’inexécution d’une autre obligation (notamment, Cass. com. 26-10-1999 n° 16-12.249 P : RJDA 12/99 n° 1350 ; Cass. com. 13-19-2017 n° 16-12.249 F-D). Par exemple, le bailleur peut demander la résiliation du bail au motif que le locataire n’a pas respecté, avant de faire l’objet d’une procédure collective, la destination des locaux (cf. Cass. com. 11-4-1995 n° 93-12.093 D : Rev. Loyers 1997 p. 437 note C.H. Gallet) ou l’obligation d’y exploiter un fonds de commerce (Cass. com. 11-10-2016 n° 15-16.099 F-D : Rev. proc. coll. 2017 n° 5 § 101 note Macorig-Venier). L’acheteur peut, après l’ouverture de la procédure collective du vendeur, demander la résolution de la vente pour défaut de délivrance du bien vendu ou encore en raison des vices cachés qui l’affecte (Cass. com. 2-3-1999 n° 96-12.071 D : RJDA 5/99 n° 573).

Échappe aussi à l’interdiction l’action en annulation du contrat (Cass. 3e civ. 21-5-2014 n° 13-11.785 FS-D ; CA Toulouse 5-11-2002 n° 01-4388 : JCP G 2003.IV.2652 ; CA Dijon 25-11-1994 n° 95-543 : Bull. inf. C. cass. 1995 n° 841 à propos d'une nullité pour vice du consentement ; CA Aix-en-Provence 27-2-2002 n° 97-2056 à propos d'une nullité pour insanité d'esprit). L’action en nullité ne sanctionne pas une inexécution du contrat mais le fait que celui-ci ne répond pas aux conditions légales de validité.

L’action en résolution ou en annulation ne se confond pas avec les restitutions qui en résultent

4. La résolution ou l’annulation du contrat entraîne de plein droit des restitutions réciproques entre les parties (C. civ. art. 1229, al. 3 et 1178, al. 3 ; Cass. 1e civ. 25-5-2016 n° 15-17.317 F-PB : Bull. civ. I n° 123 ; Cass. 1e civ. 6-2-2019 n° 17-25.859 F-PB : BRDA 5/19 inf. 14). S’agissant d’une vente, l’acheteur doit restituer le bien acheté ; le vendeur doit restituer le prix perçu et donc payer une somme d’argent.

La Cour de cassation avait déjà jugé que la demande de l’acheteur tendant à la résolution de la vente pour manquement du vendeur à son obligation de délivrance ne tombe pas sous le coup de la suspension des poursuites à l’encontre du vendeur en procédure collective dès lors que le remboursement du prix n’est pas demandé, de sorte que l’acheteur n’a pas à déclarer sa créance à la procédure collective du vendeur (Cass. 1e civ. 26-11-1996 n° 94-13.989 P : RJDA 4/97 n° 562).

5. Il faut donc distinguer :

- la demande en résolution, au sens strict, qui échappe à l’interdiction ou à l’interruption des poursuites individuelles si elle est fondée sur une autre cause que le défaut de paiement d’une somme d’argent ; cette demande ne requiert aucune déclaration de créance et relève du juge du fond (Cass. com. 13-9-2017 n° 16-12.249 F-D : Rev. proc. coll. 2018 comm. n° 72), devant lequel il faut toutefois appeler les organes de la procédure collective (selon le cas, mandataire, administrateur judiciaire ou liquidateur judiciaire) ;

- la demande tendant à la restitution du prix, voire à l’allocation de dommages-intérêts, qui tombe sous le coup de l’interdiction des poursuites ; la créance de prix et celle des dommages-intérêts doivent être déclarées dans le cadre de la procédure collective (Cass. com. 16-10-2007 n° 06-16.713 F-D : Gaz. Pal. 24-1-2008 p. 43 note F. Reille ; Cass. 3e civ. 21-5-2014 n° 13-11.785 D) et elles sont soumises à la procédure de vérification par le juge-commissaire (Cass. com. 13-9-2017 précité) ; toutefois, en présence d’une contestation sérieuse sur la demande ou si celle-ci ne relève pas de sa compétence, le juge-commissaire invite les parties à saisir le juge du fond pour déterminer l’existence et le montant de la créance (C. com. art. R 624-5), mais il reste seul compétent pour apprécier la régularité de la déclaration de la créance et statuer sur son admission (Cass. com. 19-12-2018 n° 17-15.883 F-PB : RJDA 3/19 n° 210).

6. Lorsque l’action, intégrant toutes ces demandes, est en cours lors de l’ouverture de la procédure collective, elle est interrompue par celle-ci et ne peut être reprise qu’après déclaration de la créance et mise en cause des organes de la procédure ; le juge du fond initialement saisi reste compétent : il peut prononcer la résolution du contrat, fixer le montant de la créance (dans la limite de la déclaration) ; mais il ne peut pas condamner le débiteur à la payer.

Articulation avec le droit de la consommation

7. Aux termes de l’arrêt d’appel, les acheteurs reprochaient au vendeur le non-respect de la réglementation protégeant les consommateurs en matière de démarchage (bon de commande non signé et ne comportant pas les caractéristiques essentielles des panneaux), le dol du vendeur (lié lui aussi à l’absence d’information sur les panneaux) et l’inexécution du contrat par celui-ci, faute de mise en service des panneaux livrés (CA Paris 10-1-2019 n° 16/02407). Précisons que l’ancienne réglementation sur le démarchage a été depuis remplacée par celle des contrats conclus à distance ou hors établissement par un consommateur avec un professionnel, qui impose toujours à ce dernier de fournir au premier les informations relatives aux caractéristiques essentielles du bien ou des services commandés (C. com. art. L 221-11 s.).

8. En cas de vente ou de prestation de services financée par un crédit à la consommation affecté, l’annulation ou la résolution judiciaire du contrat principal emporte de plein droit celle du contrat de crédit si le prêteur est intervenu ou a été appelé à l’instance (C. consom. art. L 312-55 ; ex-art. L 311-32, al. 1). Mais l’emprunteur reste tenu de rembourser le capital prêté, sauf en cas d’inexécution même partielle de la vente ou de la prestation (Cass. 1e civ. 23-1-2019 n° 17-21.055 F-D : RJDA 4/19 n° 290) ou de faute du prêteur dans le déblocage des fonds entre les mains du vendeur ou du prestataire (Cass. 1e civ. 16-1-2013 n° 12-13.022 : RJDA 5/13 n° 449 à propos d’un déblocage avant l’exécution totale de la prestation ; Cass. 1e civ. 5-4-2018 n° 17-13.528 F-D : RJDA 7/18 n° 600 à propos d’un versement intervenant sans contrôle de la validité du contrat de vente au regard des règles du démarchage).

Dans l’affaire commentée, les époux pouvaient bénéficier de ces deux exonérations de remboursement du capital. Ils pouvaient donc sans risque demander l’annulation ou la résolution des deux contrats, sans exiger que le vendeur restitue les fonds reçus.

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit commercial n° 62410

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne