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La solidarité entre les créanciers d’une garantie de passif ne se présume pas

Si la solidarité entre les acquéreurs de droits sociaux, créanciers d’une garantie de passif, n’est pas établie, l’un d’eux ne peut pas se prévaloir d’une interruption de la prescription à son profit en raison de la mise en œuvre de la garantie par les autres acquéreurs.

Cass. com. 26-9-2018 n° 16-28.133 F-PB


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Les deux associés d’une SARL exploitant un cabinet de courtage en assurance cèdent en 2004 leurs parts dans la société à trois acquéreurs (deux personnes physiques et une société) ; l’acte de cession comporte une clause de non-concurrence et une garantie de passif à la charge des cédants. En 2009, la SARL et les deux acquéreurs personnes physiques poursuivent les cédants pour violation de cette clause et en exécution de la garantie. En mai 2015, le troisième acquéreur (la société) intervient volontairement à l’instance pour demander l’exécution de la garantie de passif à son profit. Les cédants soutiennent que cette dernière action est prescrite.

La cour d’appel de Bordeaux déclare que l’action n’est pas prescrite au motif que, la solidarité étant présumée en matière commerciale, la prescription a été interrompue par l’action précédemment engagée par les autres acquéreurs contre les cédants.

Cassation de la décision par la Haute Juridiction : la solidarité active ne se présume pas et ces acquéreurs avaient agi en qualité decréanciers bénéficiairesde la garantie de passif.

A noter : 1. Tout acte qui interrompt ou suspend la prescription à l’égard de l’un des créanciers solidaires profite aux autres créanciers (C. civ. art. 1312 issu de ord. 2016-131 du 10-2-2016 ; ex-art. 1199). Encore faut-il que les créanciers soient solidaires.

En vertu de l’ancien article 1197 du Code civil, applicable en l'espèce et visé par la Cour de cassation, l’obligation est solidaire entre les créanciers (solidarité dite « active ») lorsque l’acte donne expressément à chacun d’eux le droit de demander le paiement du total de la créance et que le paiement fait à l’un d’eux libère le débiteur, même si l’obligation est divisible. Avec constance, la Cour de cassation a subordonné l’existence de la solidarité entre créanciers à une mention expresse de l’acte en ce sens, y compris en matière commerciale (notamment, Cass. com. 14-3-2000 n° 97-16.905 D : RJDA 6/00 n° 717, pour un cautionnement souscrit par une banque envers trois sociétés). Ainsi, a-t-elle jugé, le fait que les sous-traitants d’un entrepreneur soient débiteurs solidaires à l’égard de celui-ci n’en fait pas des créanciers solidaires pour les sommes dues au titre des travaux exécutés, en l’absence de stipulation expresse du contrat (Cass. 1e civ. 31-5-1983 n° 82-11.807 : Bull. civ. I n° 16). De même, est insuffisante la seule mention dans un acte de vente d’un fonds de commerce qu’il « y aura solidarité entre tous les vendeurs d'une part et tous les acquéreurs d'autre part » (Cass. 1e civ. 27-4-2004 n° 02-10.347 FS-PB : RJDA 4/05 n° 448).

Dans l’affaire ci-dessus, la cession portait sur l’intégralité du capital social et la société en avait acquis 98 %. S’agissant d’une cession du contrôle d’une société commerciale, la cession était de nature commerciale, non seulement à l’égard de cet acquéreur (Cass. com. 28-11-1978 n° 77-12.609 : Bull. civ. IV n° 284 ; Cass. 1e civ. 22-10-2014 n° 13-11.568 n° 1216 FS-PBI : RJDA 3/15 n° 227) mais aussi à l’égard des autres, même s’ils n’avaient acquis que deux parts chacun, dès lors qu’ils avaient participé à une opération visant à prendre le contrôle d’une société commerciale (cf. Cass. com. 22-3-2005 n° 01-16.331 F-D : RJDA 8-9/05 n° 987).

2. A la lettre, la réforme du droit des contrats issue de l'ordonnance de 2016 ne remet pas en cause la solution. Le nouvel article 1311 du Code civil reprend les effets de la solidarité active décrits par l’ancien article 1197. Si l’exigence d’une stipulation expresse dans l’acte a disparu, elle résulte désormais implicitement de l’article 1310, en vertu duquel la solidarité est légale ou conventionnelle et ne se présume point.

Une interrogation subsiste néanmoins : l’article 1310 précité s’applique aussi à la solidarité entre débiteurs (solidarité dite « passive »). Or, même si l’exigence d'une stipulation expresse d'une telle solidarité figurait déjà à l’ancien article 1202 du Code civil, la solidarité passive était néanmoins présumée en matière commerciale ; ainsi, en cas de cession du contrôle d’une société commerciale, les acquéreurs sont solidairement tenus de payer le prix (Cass. com. 22-3-2005 précité) et les cédants sont tenus solidairement d'exécuter la garantie de passif qu'ils ont consentie (Cass. com. 28-11-2006 n° 05-14.827 F-D : RJDA 5/07 n° 489). Le fait que la règle selon laquelle la solidarité ne se présume pas soit érigée en règle commune à la solidarité active et passive peut-il inciter les tribunaux à abandonner la jurisprudence précitée ou au contraire à l’étendre à la solidarité entre créanciers ?

En pratique : dans l’attente d’une prise de position de la Cour de cassation en application des nouveaux textes, il est conseillé aux parties, lorsque telle est leur volonté, de mentionner expressément la solidarité entre les débiteurs ou entre les créanciers, même si le contrat est de nature commerciale.

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés Commerciales nos 16012 et 17876

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne