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IFRIC 23 : retour sur la première application et rappels méthodologiques

Ce dossier, extrait du Feuillet Rapide comptable, est consacré à l’interprétation IFRIC 23 et plus particulièrement aux risques et incertitudes portant sur l’impôt sur le résultat. Il fait le tour d’un sujet à l'origine comptable, mais dont les conséquences dépassent largement la seule problématique de la préparation et de la présentation des comptes.


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Rappel du contexte : toujours plus de transparence

1. D’importants changements légaux et réglementaires récents définissent une nouvelle donne en matière de gouvernance fiscale, en réponse à une exigence de transparence de la part des sociétés sur leurs pratiques, leurs contributions aux charges publiques et l’éthique des affaires.

Si l’interprétation IFRIC 23 n’a pas été élaborée dans cette optique (le premier exposé-sondage de l’IFRS IC date de 2015), sa première application ne peut pas occulter ce contexte.

Qu’ils soient légaux, fiscaux ou sociétaux, les changements observés récemment pointent tous vers la même direction : celle d’un environnement toujours plus transparent. Les premiers effets sont d’ailleurs déjà notables.

La l oi de lutte contre la fraude fiscale et la clause anti-abus générale sont également deux mesures qui introduisent un véritable changement de paradigme en France, tant dans le domaine fiscal que pénal, surtout en matière de responsabilité des dirigeants.

Les c onventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) se multiplient. L’une d’entre elles, emblématique, a été signée récemment par une grande société du numérique, et pour un montant record. La signature d’un tel accord met fin aux poursuites et à des conséquences financières potentiellement plus importantes en cas de procès. L’exemple de la condamnation d’une grande banque suisse en début d’année le démontre. La publicité et la transparence sont le point commun dans ces deux affaires : une transaction publiquement annoncée pour l’une et un procès public pour l’autre.

Les premières déclarations de performance extra-financières (ou DPEF), qui ont été publiées dans les documents de référence 2018, décrivent le dispositif de contrôle interne destiné à prévenir et lutter contre l’évasion fiscale, en réponse aux parties prenantes (ONG, journalistes et même actionnaires) toujours plus demandeuses en matière de transparence.

Sur d’autres mesures, telles que la clause anti-abus générale ou les possibilités offertes par la l o i E ssoc, le recul est néanmoins encore insuffisant. La complexité des récents bouleversements du droit fiscal devra également être analysé dans ce contexte (notamment, le nouveau régime sur les charges financières ou les brevets).

C’est dans ce contexte, extrêmement mouvant et incertain, que doit s’appliquer pour la première fois cette année, et de façon obligatoire, l’interprétation IFRIC 23 consacrée à la comptabilisation des risques fiscaux, aussi appelés « positions fiscales incertaines ».

Ce qui change fondamentalement avec IFRIC 23 sur le plan comptable

2. Après ces éléments de contexte, il convient d’aborder les changements fondamentaux introduits par IFRIC 23, dont le titre officiel est traduit par « Incertitudes relatives aux traitements fiscaux ».

IFRIC 23 est d’abord une interprétation et non une norme à proprement parler.

Elle répond à un besoin de clarification de la norme IAS 12 – Impôts sur le résultat. Ainsi, les incertitudes sur des traitements fiscaux portant sur d’autres impôts et taxes que ceux répondant à la définition d’un impôt sur le résultat (au sens de la norme IAS 12) ne sont pas concernées par cette interprétation. Ne sont donc pas concernés, notamment, les retenues à la source sur dividendes, la TVA, les droits de douanes, les taxes foncières, etc.

Avant la mise en application de cette nouvelle interprétation, les normes internationales n’avaient pas de cadre normatif précis pour aborder les positions fiscales incertaines.

Le terme « positions fiscales incertaines » est d’ailleurs préférable à celui de « risques fiscaux », dans la mesure où la logique même de l’interprétation n’est pas de traiter des situations à risques, mais de refléter une incertitude dans l’évaluation de la charge d’impôt IFRS. Il s’agit de l’un des concepts clarifiés par IFRIC 23.

Les autres concepts clarifiés sont les suivants :

- le ri sque de détection à 100 % : postulat que l’entreprise va être contrôlée par l’administration fiscale et que celle-ci va identifier le traitement fiscal contestable selon cette dernière ;

- la justification du traitement fiscal (principe de comptabilisation) : est-il « plus probable qu’improbable » que l’entreprise parvienne à justifier le traitement appliqué, au regard des « faits et circonstances » et du « mérite technique » ?

- l’unité de compte ou, plus simplement, le niveau auquel on apprécie une incertitude : ce sera le niveau de sa résolution, c’est-à-dire vis-à-vis d’une administration fiscale compétente pour une juridiction donnée et, en pratique, en France, pour chaque traitement fiscal particulier ;

- les modalités d’évaluation à retenir : celle du montant le plus probable ou celle de l’espérance mathématique, correspondant à la moyenne pondérée des différents scenarii probables. À noter que la modalité d’évaluation est une affaire de jugement et non un choix de méthode comptable.

Autre nouveauté majeure : ce texte s’applique autant aux redressements potentiels qu’aux remboursements d’impôts. Par exemple, lors du contentieux sur la taxe de 3 % sur les distributions, le produit comptable aurait pu être reconnu dès qu’il est devenu probable que la taxe serait invalidée (donc avant même la décision du Conseil constitutionnel), ce qui requiert évidemment beaucoup de jugement…

Enfin, ces normes classent les positions fiscales incertaines sur les lignes « Impôts » au bilan et au compte de résultat, et non en « Provisions ». Ainsi, au titre des informations à fournir en annexe, seuls sont mentionnés les montants agrégés (y compris, la dette/créance d’impôts) à l’ouverture et à la clôture, sans nécessité de présenter un tableau expliquant les variations sur la période. L’interprétation n e requiert pas de donner davantage d’informations, en dehors des informations requises par IAS 1 en matière de principaux jugements et estimations (IAS 1.122 s.).

Aspects stratégiques et méthodologiques pour les comptes IFRS

3. Les normes comptables sont un langage permettant de retranscrire les opérations économiques. Toutefois, en matière de comptabilisation des positions fiscales incertaines, il faut veiller à ce qu’un passif pour position fiscale incertaine ne soit pas perçu comme la reconnaissance d’une erreur dans un traitement fiscal.

Documenter les positions fiscales

4. Pour éviter cet écueil, il convient de documenter les positions fiscales significatives, qu’elles soient incertaines ou non. L’interprétation IFRIC 23 donne un cadre normatif permettant d’apprécier l’incertitude éventuelle, en se fondant sur les divergences d’interprétation du droit fiscal ou de sa jurisprudence ainsi que sur les issues permettant de résoudre cette incertitude.

La documentation – et la comptabilisation qui en découle – commence par une question fondamentale : est-il probable que la société dispose des arguments suffisants pour justifier sa position et le traitement fiscal appliqué ?

Dans cette question s’illustrent clairement :

- le fait qu’un traitement fiscal incertain peut être identifié et remis en cause à tout moment, qu’il y ait contrôle en cours ou non ;

- le fait que la justification d’un traitement fiscal ne s’arrête pas à la remise en cause du traitement fiscal par l’autorité fiscale chargée de contrôler les déclarations fiscales. L’analyse doit prendre en compte la stratégie de défense de la société, y compris les chances de succès des recours qu’elle souhaite intenter.

Ensuite, il s’agira d’évaluer les situations qui résoudront l’incertitude : contester, négocier, accepter mais aussi régulariser, par exemple en France, auprès du Service de mise en conformité (Smec) mis en place par Bercy en début d’année.

Chaque situation possible est évaluée en termes de montant et de probabilité d’occurrence – y compris l’issue concluant à une absence de redressement, après avoir épuisé tous les recours que la société souhaite intenter. Il s’agit clairement d’analyser les chances de succès de la stratégie de défense, au regard du mérite technique et du degré d’incertitude, mais également les autres issues possibles, si cette stratégie n’aboutit pas. L’entreprise peut alors s’appuyer sur son expérience et/ou sur celle de ses conseils dans l’évaluation de ces issues.

En présence d’une issue binaire (redressement ou absence de redressement par exemple), le montant à comptabiliser correspondra à celui de l’issue la plus probable (« most likely outcome »). En présence de plusieurs issues possibles qui ne soient pas concentrées autour d’un montant, on préférera alors la moyenne pondérée des montants associés à chaque issue (espérance mathématique ou « expected value »). Il ne s’agit donc pas d’un choix de méthode comptable, l’application d’une de ces modalités dépendant du nombre d’issues possibles (deux ou plusieurs) et de leur probabilité associée.

Cette démarche d’analyse s’applique :

- à toutes les incertitudes (redressements ou remboursements potentiels) ;

- et surtout à tout moment, notamment lorsque les faits et circonstances changent, que ce soit une nouvelle  loi  ou  une  nouvelle  jurisprudence.

Adapter le contrôle interne

5. Pour la mise en place et la sécurisation de cette documentation, une adaptation du contrôle interne est généralement nécessaire.

Elle commence par une revue des procédures internes et notamment :

- de la chaîne de prise de décisions. Il est nécessaire de vérifier que le département fiscal est impliqué dans les opérations significatives (acquisitions, financement, implantations, etc.), afin de prévenir les situations à risques et sources d’incertitudes. Les autres directions fonctionnelles doivent, elles aussi, être conscientes des changements importants intervenus dans le contexte légal et réglementaire français ;

- du reporting existant, dont le but est de s’assurer que les informations pertinentes sont disponibles pour évaluer les issues possibles, l’exposition financière, la prescription ou l’exigence documentaire (déclarative ou en cas de contrôle) ;

- du mode de communication interne et externe. Il est impératif de normaliser et de sécuriser les informations récoltées via le reporting interne (stockage, accessibilité…).

Le deuxième volet de cette adaptation du contrôle interne est la formation et la sensibilisation des collaborateurs impliqués dans la documentation des positions fiscales. En effet, plusieurs personnes sont amenées à utiliser ces informations (fiscalistes, comptables, consolideurs, etc.). Ils doivent ainsi être sensibilisés, tant au cadre d’analyse donné par IFRIC 23 qu’au contexte français dans lequel il est appliqué. Cette sensibilisation devra mettre l’accent sur la méthodologie retenue pour documenter les positions fiscales.

Dans cet exercice, le choix des mots, le troisième volet, sera crucial. À ce titre, IFRIC 23 et ses concepts (faits et circonstances, mérite technique, acceptation par l’administration selon ses pratiques, etc.) aident à documenter des positions et à refléter l’incertitude de l’état du droit fiscal et de la jurisprudence. On pourra par exemple dire, s’agissant de taux d’intérêts pour un financement intragroupe, que « de nombreux cas de remise en cause existent en matière de taux d’intérêt intragroupe, bien que ceux-ci aient pu être documentés au moyen de données de marché. Il est probable qu’une autorité fiscale n’accepte pas un taux d’intérêt supérieur à x %. En l’état actuel de la jurisprudence et des redressements de place pour des situations identiques, l’issue probable serait … / plusieurs issues sont envisageables : … ».

Dernier volet, celui de l ’ é v a l ua ti on de l’efficacité et de la supervision de ce contrôle interne selon deux modalités :

- une approche rétrospective (par exemple, en analysant a posteriori les causes d’une situation ayant conduit à un redressement) ;

- ou une approche plus prospective en répondant à la question de savoir si les procédures internes sont capables de prévenir ou d’identifier les incertitudes et situations potentiellement à risques (notamment en réponse à la cartographie des risques fiscaux).

Ces enseignements pourraient ainsi permettre de faire évoluer à nouveau les procédures internes, toujours dans l’optique de mieux prévenir ou détecter les incertitudes.

Comptabiliser l’incertitude

6. Tout d’abord, une i nce rtit ude su r une d iff é r ence t e m po r a ir e, qui génère un impôt différé, n’aura probablement qu’un impact sur le résultat limité, souvent aux seuls intérêts et pénalités. Ainsi, l’effet d’impôt courant sera symétriquement corrigé par l’impôt différé (à la différence du taux d’impôt et aux intérêts de retard ou pénalités près).

Ensuite, au b il an, une position fiscale incertaine ne se traduit pas nécessairement par un passif.

Par exemple, lorsqu’une société dispose d’un stock de déficits reportables. En effet, dans ce cas, elle comptabilise ces déficits en impôts différés actifs dans ses comptes consolidés, sous réserve de respecter les conditions strictes prévues par IAS 12 en la matière. Si par la suite elle identifie une probable remise en cause d’une déduction passée, la conséquence d’un contrôle ne serait pas un rappel d’impôt, mais une réduction de ses déficits reportables. Les impôts différés actifs seraient donc réduits et aucun passif ne serait comptabilisé. Si aucun impôt n’a été comptabilisé au titre de ces déficits, aucune dépréciation d’actif ni aucun passif n’est comptabilisé au bilan.

Autre exemple, lorsque la société ne dispose pas de déficits reportables, mais qu’un redressement potentiel pourrait être réglé par une compensation avec des crédits d’impôt à rembourser sur la même année. Dans ce contexte, la conséquence d’un contrôle ne serait pas un passif, mais une réduction de la créance d’impôt à recevoir.

En cas de redressement payé, mais contesté devant les tribunaux et si la société estime qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle obtienne gain de cause, un produit à recevoir sera à comptabiliser.

Attention en matière d’incertitude sur les prix de transfert, il n’est pas possible de compenser un redressement potentiel dans un pays avec le remboursement d’un éventuel trop-payé dans l’autre pays. En effet, le modèle d’analyse d’IFRIC 23 oblige à prendre en compte la probabilité d’acceptation d’un traitement fiscal dans une juridiction fiscale donnée. Or, une incertitude relative aux prix de transfert implique, par définition, deux pays et par conséquent deux juridictions. Il est donc impossible de compenser l’actif et le passif, qui doivent être évalués et comptabilisés séparément.

Enfin, toute incertitude comptabilisée sur un traitement fiscal devra bien sûr prendre en compte le ri sque d ’ e xt ens i on. Ce sera d’autant plus important pour les incertitudes qui sont désormais reconnues en vertu du principe de détection systématique fixé par IFRIC 23.

Présenter l’incertitude – Première application d’IFRIC 23

7. Concernant les états financiers, tout d’abord, les cas d’ajustement en capitaux propres d’ouverture lors de la première application sont issus principalement de deux sources :

- la première est la reconnaissance des produits probables, car ceux-ci n’étaient auparavant reconnus que lorsqu’ils étaient certains ;

- et la seconde concerne les incertitudes désormais reconnues en vertu du principe de détection systématique.

En cas d’ajustement non significatif, aucune information n’est a priori nécessaire. Dans le cas contraire, une description en annexe des impacts de première application est à notre avis nécessaire, en particulier sur la méthode de transition et sur l’ajustement comptabilisé le cas échéant dans les capitaux propres d’ouverture.

A minima, il convient de mettre à jour les principes comptables en annexe afin de tenir compte des concepts clarifiés par l’interprétation. Celle-ci devra notamment inclure qu’une incertitude peut exister dans la détermination des traitements fiscaux et que ces derniers peuvent donner lieu à des divergences d’interprétation avec les autorités fiscales. Une mention des zones d’incertitude les plus significatives serait un plus (prix de transfert, par exemple) afin d’accroître la pertinence de l’information financière.

En revanche, la note en annexe consacrée aux impôts n’est en principe pas à modifier, aucune information supplémentaire n’étant requise. Rappelons en effet qu’IFRIC 23 classe les positions fiscales incertaines sur les lignes « Impôts » au bilan et non plus en « Provisions ». Or, la note « Impôts » ne requiert pas de tableau de variation (contrairement à la note « Provisions », qui doit détailler les dotations et reprises avec ou sans objet, ainsi que la nature des provisions). De plus, toute référence aux litiges fiscaux liés à l’impôt sur les sociétés devra également disparaître de la note « Provisions », celles-ci n’étant plus classées sur cette ligne « Provisions ».

Notons que le sujet du classement des actifs et passifs en créance ou dette d’impôt peut avoir des impacts sur les agrégats de communication financière. En effet, si le calcul du besoin en fonds de roulement (BFR) prend en compte ces créances et dettes (souvent à court terme), des ajustements seraient éventuellement nécessaires car les positions fiscales incertaines sont majoritairement à une échéance supérieure à un an.

Pour rappel, au bilan, pour les positions fiscales incertaines ayant une conséquence en impôt courant, il existe un choix de méthode :

- soit tout présenter en courant, dans la mesure où l’impôt exigible est courant par nature ;

- soit les présenter en courant ou en non courant, selon que le règlement du passif est attendu ou non au-delà de 12 mois.

Ce choix n’existe pas, en revanche, pour les positions fiscales incertaines affectant les impôts différés, car ceux-ci sont obligatoirement classés en non-courant (IAS 1 § 56).

Enfin, le tableau de flux de tr éso r e ri e est susceptible d’être impacté, selon les libellés des lignes présentées.

Focus sur la présentation : la question posée par l’ANC et la réponse de l’IFRS IC

La question du classement n’est pas abordée explicitement par IFRIC 23

8. La question de la présentation des comptes est certainement celle qui a suscité le plus de questions et débats. Il faut dire que ce point se traduisait déjà par une diversité des pratiques, et il n’est pas directement traité par l’interprétation IFRIC 23 ou par la norme IAS 12.

IFRIC 23 mentionne clairement dans ses objectifs de clarifier les règles en matière de reconnaissance et d’évaluation des positions fiscales incertaines. Or, la question de la présentation – ou du classement, les deux termes sont identiques – n’est pas abordée explicitement. La raison est avant tout culturelle. Ces normes sont largement inspirées par les pratiques comptables anglo-saxonnes qui n’ont pas la même appréciation et lecture du concept de prudence. Il faut aussi rappeler que le concept de prudence n’a été que récemment réintroduit dans le cadre conceptuel des IFRS.

En France, la pratique largement répandue était de présenter les passifs pour positions fiscales incertaines en « Provision pour risques », compte tenu de l’incertitude inhérente à ces passifs, par opposition aux dettes d’impôts, considérées comme exigibles et d’échéance courte.

IFRIC 23 n’adresse pas clairement cette question, mais sous-entend que la présentation des positions fiscales devrait être sur les lignes « Impôts » du bilan. Ce sous-entendu dérive de la confirmation que la norme applicable est IAS 12, selon laquelle des lignes du bilan sont déjà spécifiquement prévues. En pratique, l’ambiguïté subsistait mais tout portait à croire que la présentation sur les lignes « Impôts (courants ou différés) » était celle à retenir, obligeant certains groupes à un reclassement dans leurs comptes.

Les émetteurs ont été nombreux à s’interroger sur cette question de présentation. Le doute et la diversité des pratiques en la matière subsistant et afin de lever cette ambiguïté, l’Autorité française des normes comptables (l’ANC) a soumis en mars 2019 la question suivante à l’IFRS IC : IFRIC 23 induit-elle des règles de présentation des positions fiscales incertaines ?

L’ANC a présenté les deux vues possibles :

- la première vue qui présente les positions fiscales incertaines sur les lignes « Impôts (courants ou différés) » ou sur une ligne dédiée et créée spécifiquement, dans une lecture très littérale des normes ;

- la seconde vue selon laquelle rien n’interdit le classement sur la ligne « Provisions pour risques », cette présentation étant plus pertinente en raison de l’incertitude inhérente à ces actifs et passifs.

Qu e ll e a été la réponse de l’IFRS IC ?

9. La question posée par l’ANC en mars 2019 a été débattue lors de la réunion de l’IFRS IC qui s’est tenue le 10 juin 2019. À la suite de cette réunion, une décision provisoire a été rendue et un appel à commentaires a été lancé, qui s’est clos le 20 août 2019.

La décision définitive de l’IFRS IC a été actée lors de sa réunion du 17 septembre 2019, après avoir pris connaissance et communiqué l’ensemble des réponses de l’appel à commentaires.

La réponse de l’IFRS IC est claire : la présentation au bilan des passifs pour positions fiscales sur la ligne « Provisions » n’est pas possible. Ils doivent être comptabilisés sur les lignes « Créances ou Dettes d’impôt ».

L’ANC avait répondu à l’appel à commentaires, en formulant auprès de l’IFRS IC son désaccord avec la décision provisoire en avançant qu’en l’absence de règles claires le choix de présentation restait une possibilité à laisser aux sociétés.

L’IFRS IC justifie sa décision en reconnaissant d’abord que la question de la présentation n’est adressée ni par IAS 12 ni par IFRIC 23, mais que, dans ce cas, c’est une autre norme (la norme IAS 1 « Présentation des états financiers ») qui s’applique et que celle-ci requiert de présenter tous les éléments liés à l’impôt sur le résultat sur deux lignes distinctes : l’une pour les « Actifs ou Passifs d’impôt exigibles » et l’autre pour les « Actifs ou Passifs d’impôt différé ». L’IFRS IC en profite pour rappeler qu’une société peut aussi faire le choix de créer une ligne additionnelle dans ses états financiers, afin de distinguer un élément important.

Cette décision de l’IFRS IC, désormais définitive, doit être prise en compte par les émetteurs dans leur application de l’interprétation IFRIC 23 dans leurs comptes annuels au 31 décembre 2019.

Q u ’ en disent l’AMF et l’Esma, principaux régulateurs des marchés financiers ?

10. L’interprétation IFRIC 23 a été bien accueillie par ces régulateurs, dans la mesure où elle clarifie et expose des règles jusqu’ici interprétées de façon très hétérogène et qui ont fini par aboutir à une diversité de pratiques.

Toutefois, l’Esma, dans ses commentaires sur l’exposé-sondage de l’IFRS IC en 2015, avait souligné qu’il n’était effectivement pas nécessaire de créer une nouvelle obligation de publication des informations relatives à ces positions fiscales incertaines.

Dans ses recommandations pour l’arrêté des comptes 2019, l’AMF rappelle la décision définitive de l’IFRS IC sur la présentation des actifs et passifs pour positions fiscales incertaines. Elle recommande également aux sociétés significativement concernées de préciser les principaux jugements et hypothèses sur les expositions significatives, à savoir pour un risque significatif donné : le niveau d’évaluation, la modalité d’évaluation retenue, voire le montant comptabilisé si celui-ci est particulièrement significatif.

Dans les comptes sociaux en normes françaises

11. Qu’en est-il pour les comptes sociaux ?

L’analyse point par point des deux référentiels conduit à identifier des divergences conceptuelles fortes, qui empêchent un alignement total.

En premier lieu, IFRIC 23 traite spécifiquement de l’impôt sur le résultat, alors que selon les règles françaises il convient d’appliquer les règles générales sur les passifs.

Ensuite, contrairement au PCG, IFRIC 23 introduit le principe de risque de détection à 100 %. Selon la doctrine en règles françaises, une entreprise pourra prendre en compte la probabilité de subir un contrôle fiscal dans son analyse du risque, en fonction de son historique de contrôle, par exemple. Lorsqu’un contrôle est en cours ou que l’entreprise est régulièrement contrôlée, l’analyse devra en tenir compte. Ainsi, en pratique, peu de divergences devraient être observées entre comptes sociaux et comptes consolidés en IFRS des sociétés de groupes, ces entreprises étant en général soumises à une forte récurrence dans les contrôles les conduisant à retenir une très forte probabilité de survenance d’un contrôle.

La modalité d’évaluation de l’espérance mathématique ne peut pas être retenue dans le PCG et seul le montant le plus probable de redressement pourra être comptabilisé, s’il est plus probable qu’improbable que la société soit redressée. Il est donc possible d’avoir une divergence de montant entre comptes IFRS et comptes sociaux sur ce point.

IFRIC 23 traite indifféremment redressement probable (charge) et remboursement probable d’impôt (produit). Au contraire, selon le PCG, seul un produit certain peut être comptabilisé.

Enfin, le classement en « Provision pour risque » est maintenu dans les comptes sociaux, sauf en cas de redressement notifié et confirmé en justice (reclassement en dette).

Cet alignement imparfait peut donc être source de divergences entre comptes IFRS et comptes sociaux.

Conclusion

12. L’exigence de transparence n’est certes pas nouvelle, mais ses moyens d’expression sont eux plus nombreux et ce mouvement s’intensifie. Ce contexte rend la première application d’IFRIC 23 plus sensible et nécessite une réflexion plus profonde sur les processus internes. D’autant plus que la défense des positions fiscales se complexifie, notamment pour des sujets relevant plus de la « soft law », comme en matière de prix, et que les moyens de contrôle des traitements fiscaux appliqués sont nombreux et variés.

Dans ce contexte, le concept de risque de détection prend tout son sens. C’est l’un des concepts clarifiés qui donne un cadre d’analyse des positions fiscales aux IFRS, bien que certaines conséquences aient été inattendues et aient pu susciter des inquiétudes en termes de communication financière.

Les publications semestrielles 2019 ont largement communiqué sur cette première application et sont restées relativement discrètes sur les impacts, notamment en raison de la matérialité de ces derniers par rapport aux états financiers. Il faut rappeler que l’enjeu majeur des clôtures 2019 pour la majorité des groupes reste la première application d’IFRS 16. Peu de publications ont, en revanche, adapté la formulation de leurs principes comptables à ce stade. En prévision de l’arrêté annuel, les principes comptables devront être mis à jour et mettre l’accent sur les divergences d’interprétation du droit fiscal entre contribuables et administrations dans la survenance de litige.

Alors si l’impact sur la communication financière est minime et que le contexte est porteur de nouvelles incertitudes, faut-il moins documenter ? Ce n’est pas notre avis, car la documentation reste un pilier de la défense des positions et de la bonne gouvernance. Il faut toutefois bien choisir ses mots et être vigilant dans la rédaction. À ce titre, les procédures internes doivent désormais intégrer les clarifications et les concepts d’IFRIC 23.

Le recul procuré par les US GAAP et leur équivalent à IFRIC 23 – dont cette dernière s’est inspirée : ASC 740 ou ex-FIN-48 – permet de tirer quelques enseignements. Applicable depuis une dizaine d’années, cette norme a eu pour conséquence de changer les habitudes et de développer des manières de documenter plus proactives et prospectives, en constituant notamment des « Defence File ».

Enfin, il faut garder à l’esprit que l’alignement avec IFRIC 23 n’est pas parfait dans les comptes sociaux en règles françaises. Pour les groupes internationaux, il est nécessaire de prendre en compte les contraintes locales des filiales, comme la préparation des comptes individuels en normes comptables locales. En effet, certains pays donnent la possibilité d’appliquer les IFRS dans les comptes sociaux.

L'ESSENTIEL
D’importants changements légaux et réglementaires récents induisent plus de transparence de la part des sociétés. C’est dans ce contexte que l’interprétation IFRIC 23 doit être appliquée dans les comptes consolidés IFRS pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019.
IFRIC 23 clarifie plusieurs concepts, notamment les suivants :
 - la logique de l’interprétation n’est pas de traiter des situations à risques mais de refléter une incertitude dans l’évaluation de la charge d’impôt IFRS ;
- le risque de détection est de 100 % ;
- le texte s’applique également aux remboursements d’impôts ;
- les positions fiscales incertaines sont classées sur les lignes « Impôts » au bilan et au compte de résultat, et non en « Provisions ».
 Il est nécessaire de documenter les positions fiscales significatives et d’adapter le contrôle interne.
Une position fiscale incertaine ne se traduit pas nécessairement par un passif.
L’annexe doit être complétée. Notamment, les principes comptables doivent indiquer qu’une incertitude peut exister dans la détermination des traitements fiscaux et que ces derniers peuvent donner lieu à des divergences d’interprétation avec les autorités fiscales. Si l’impact de la première application d’IFRIC 23 est significatif, il doit également donner lieu à des informations en annexe.
On note des divergences de principes fortes entre IFRIC 23 appliqué dans les comptes consolidés IFRS et les normes françaises appliquées dans les comptes sociaux.

Par François ROUX, Senior Manager et Anne-Claire LISCH, Senior Associate, Département Tax Reporting & Strategy, PwC Société d’Avocats

Pour en savoir plus sur cette question : voir le Feuillet Rapide comptable 2/20 inf. 17

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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