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Contrats d’architectes : zoom sur une sélection d’arrêts marquants rendus par la Cour de cassation en 2019

Dans cette sélection de jurisprudence, sont analysés quatre arrêts marquants rendus en 2019 par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation en matière de contrats d’architectes. Ces arrêts, publiés au bulletin, illustrent le pouvoir d’interprétation des juges du fond, parfois sévères, au regard de l’application des clauses des contrats d’architectes.


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Une vision étendue de la responsabilité décennale de l’architecte en présence d’une mission de maîtrise d’œuvre de conception limitée à l’obtention du permis de construire

Cass. 3e civ. 21 novembre 2019 n° 16-23.509

Une société civile immobilière (SCI) fait construire un garage sur un terrain dont elle a elle-même préalablement réalisé le remblai.

Afin de mener à bien les travaux de construction du garage, elle missionne : un architecte chargé de faire la demande de permis de construire, un bureau d’études chargé de réaliser une étude de fondations, un maître d’œuvre chargé d’assurer le suivi des travaux, une société chargée de réaliser les travaux de fondations et deux autres sociétés chargées de réaliser les longrines et le dallage.

Se plaignant d’un soulèvement du sol et de fissures sur le dallage, la SCI - après expertise (qui a révélé une mauvaise qualité du remblai),- assigne les intervenants à la construction, en ce compris l’architecte, en réparation de désordres.

La Cour d’appel condamne in solidum les intervenants concernés à réparer les désordres sur le fondement de la responsabilité décennale (dont l’architecte à hauteur de 25 %), en réglant à la SCI la somme de 625 000 €.

L’architecte forme un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel, faisant valoir qu’en principe, l’architecte ne peut être responsable que dans les limites de la mission qui lui a été confiée et qu’en l’espèce il avait uniquement été chargé de l’établissement du permis de construire. Ainsi, il « n’était pas tenu de réaliser des travaux de reconnaissance des sols ni d’attirer l’attention du maître d’ouvrage sur la nécessité d’en réaliser », les désordres étant, de plus, dus « à la présence d’un remblai gonflant impropre à l’usage qui en a été fait et qui a été mis en œuvre par le maître d’ouvrage ».

Au regard de la nature et de l’étendue de la mission de conception confiée à l’architecte, de la construction du remblai préalablement à son intervention et de l’étude de fondations confiée au bureau d’études missionné à ses côtés, l’on aurait pu penser que l’argumentation de l’architecte allait emporter la conviction de la Cour de cassation.

La Cour de cassation a au contraire rejeté le pourvoi en considérant « qu’ayant retenu, à bon droit, que M. A…, auteur du projet architectural et chargé d’établir les documents du permis de construire, devait proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol, la cour d’appel, qui a constaté que la mauvaise qualité des remblais, mis en œuvre avant son intervention, était la cause exclusive des désordres compromettant la solidité de l’ouvrage, en a exactement déduit [...] que M.A… engageait sa responsabilité décennale ».

Qu’on se le tienne pour dit : l’architecte, « même chargé d’une mission réduite », ne doit pas seulement « réunir les éléments destinés à l’obtention d’un permis de construire de façon purement théorique et sans se préoccuper de façon concrète de l’adéquation de son avant-projet par rapport au site » sur lequel doit s’élever la construction projetée.

Le caractère abusif d’une clause d’un contrat d’architecte prévoyant le règlement intégral des honoraires quel que soit le volume de travaux réalisés

Cass. 3e Civ. 7 novembre 2019 n°18-23.259

Aux termes d’un contrat d’architecte ayant pour objet la réalisation d’une mission complète de maîtrise d’œuvre afférente à la construction d’un bâtiment à usage professionnel, une clause indique  que « même en cas d’abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seraient dus et réglés en totalité au maître d’œuvre ».

Le projet est abandonné et le maître d’œuvre  assigne le maître d’ouvrage, une SCI, en recouvrement de l’intégralité des honoraires prévus au contrat.

La SCI sollicite la nullité de la clause susvisée, en la qualifiant d’abusive au sens de l’article L 132-1 du Code de la consommation (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 14 mars 2016).

En vertu de cet article, dans les contrats entre professionnels et non professionnels, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

La question est donc double : savoir si la SCI peut être considérée comme « non professionnel », et ainsi bénéficier de ces dispositions protectrices, et savoir si la clause litigieuse peut être considérée comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations de l’architecte et du maître d’ouvrage.

La Cour de cassation, confirmant en cela l’arrêt d’appel, répond par l’affirmative en relevant :

- d’une part, que la SCI, si elle était un « professionnel de l’immobilier » dans la mesure où elle avait pour objet social l’investissement et la gestion immobiliers, n’était pas pour autant forcément un « professionnel de la construction », le domaine de la construction faisant appel à des connaissances et à des compétences techniques spécifiques distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière ; or, seule cette qualité de professionnel de la construction pouvait être de nature à faire considérer la SCI comme étant intervenue à titre professionnel dans le cadre du contrat de maîtrise d’œuvre litigieux, de sorte qu’elle était susceptible de bénéficier des dispositions de l’article L 132-1 du Code de la consommation ;

- d’autre part, « qu'ayant relevé que la clause litigieuse avait pour conséquence de garantir au maître d'œuvre, par le seul effet de la signature du contrat, le paiement des honoraires prévus pour sa prestation intégrale, et ce quel que fût le volume des travaux qu'il aurait effectivement réalisés, sans qu'il n'en résultât aucune contrepartie réelle pour le maître de l'ouvrage, qui, s'il pouvait mettre fin au contrat, serait néanmoins tenu de régler au maître d'œuvre des honoraires identiques à ceux dont il aurait été redevable si le contrat s'était poursuivi jusqu'à son terme, la cour d'appel a retenu à bon droit que cette clause constituait une clause abusive».

Ainsi, en présence d’une SCI maître d’ouvrage, professionnel de l’immobilier mais non professionnel de la construction, les dispositions protectrices du Code de la consommation ont vocation à primer sur la force obligatoire des contrats, et ce d’autant plus en présence d’une clause prévoyant, dans un contrat synallagmatique, l’exécution d’une obligation finalement dépourvue de contrepartie.

De surcroît, en toute hypothèse et quelle que soit la qualité de professionnel ou non de la « partie faible » au contrat, l’on pourra s’interroger sur la validité de ce type de clause au regard des dispositions des articles 1169 et 1170 du Code civil selon lesquelles « Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire et dérisoire » et « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

L’inapplicabilité des clauses de saisine préalable pour avis du Conseil régional de l’Ordre des architectes en matière de garantie décennale

Cass. 3e civ. 23 mai 2019 n° 18-15.286

Afin de mener à bien la construction d’une maison d’habitation individuelle, un maître d’œuvre est missionné au stade de la conception et de l’exécution, selon un contrat d’architectes prévoyant la clause suivante : « En cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire ».

Se plaignant de désordres, les maîtres d’ouvrage sollicitent la désignation d’un expert judiciaire au contradictoire, notamment, de l’architecte, mais sans avoir préalablement saisi, pour avis, le conseil régional de l’Ordre des architectes dont cet architecte relève.

La Cour d’appel a, dans ces conditions, déclaré irrecevable l’action initiée à l’encontre du maître d’œuvre.

Les maîtres d’ouvrage forment un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel, conduisant la Cour de cassation à casser l’arrêt au motif : « Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, au besoin d’office, si l’action, exercée postérieurement à la réception de l’ouvrage, en réparation de désordres rendant l’ouvrage impropre à sa destination, n’était pas fondée sur l’article 1792 du code civil, ce qui rendait inapplicable la clause litigieuse, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence habituelle en rappelant qu’une clause de saisine préalable pour avis du Conseil régional de l’Ordre des architectes, avant toute procédure judiciaire, est licite et opposable au maître d’ouvrage lorsqu’elle est insérée dans un contrat de maîtrise d’œuvre et que son irrespect ne peut être régularisé en cours d’instance (cf. par exemple Cass. 3e civ. 16-11-2017 n°16-24.642).

Mais, précisant ce principe désormais bien connu, elle en rappelle aussi la limite : la clause devient inapplicable lorsque la responsabilité de l’architecte est recherchée sur le fondement de la garantie décennale issue de l’article 1792 du Code civil.

Ainsi, la garantie légale issue de l’article 1792 du Code civil doit primer sur les clauses contractuelles.

Et préalablement à toute action judiciaire initiée contre un architecte, mieux vaut examiner son contrat (et ce d’autant que le contrat-type du conseil national de l’Ordre des architectes prévoit une clause en ce sens) et saisir pour avis, si le contrat l’impose, le conseil régional de l’Ordre des architectes concerné, à peine d’irrecevabilité de l’action.

L’extension de la clause d’exclusion de la solidarité à la responsabilité in solidum dans les contrats d’architecte

Cass. 3e civ. 14 février 2019 n° 17-26.403

Dans le cadre de la construction d’un immeuble sous le régime de la vente en l’état futur d’achèvement, des infiltrations apparaissent dans les logements en provenance des toitures-terrasses et des balcons.

Une expertise est diligentée, conduisant l’assureur dommage-ouvrage, subrogé dans les droits du maître d’ouvrage, à assigner les intervenants en remboursement des sommes versées au maître d’ouvrage.

Sur la base du contrat-type mis à la disposition des architectes par le conseil national de l’Ordre des architectes, les conditions générales du contrat de l’architecte missionné contenaient une clause G 6.3.1 selon laquelle il ne pouvait « être responsable, de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération ».

La question était donc de savoir si cette clause, qui avait clairement pour objet principal l’exclusion de la responsabilité solidaire de l’architecte, pouvait aussi viser la condamnation in solidum prononcée par le juge à l’encontre de l’architecte tenu lui-même pour responsable de l’entier dommage.

La Cour de cassation, confirmant en cela la Cour d’appel, répond par l’affirmative dans un attendu remarqué :

« Mais attendu qu’ayant retenu, par une appréciation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’imprécision des termes de la clause G 6.3.1 des conditions générales du contrat d’architecte, intitulée « Responsabilité et assurance professionnelle de l’architecte », rendait nécessaire, que l’application de cette clause, qui excluait la solidarité en cas de pluralité de responsables, n’était pas limitée à la responsabilité solidaire, qu’elle ne visait « qu’en particulier », la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’elle s’appliquait également à la responsabilité in solidum ».

Cet arrêt constitue une parfaite illustration du pouvoir d’interprétation des juges du fond, favorable cette fois à l’architecte, mais aussi des conséquences concrètes susceptibles d’en résulter en pratique.

En effet, le contrat-type mis à la disposition des architectes par le conseil national de l’Ordre des architectes prévoit désormais, toujours dans la clause G 6.3.1 qui a été adaptée, que l’architecte « ne peut être tenu responsable, de quelque manière que ce soit, ni solidairement ni in solidum, à raison des dommages imputables aux autres intervenants participant à l'opération. »

Par Djinn QUEVREUX-ROBINE, Avocat counsel au sein du cabinet Martin&associés



© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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