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L’anonymat des donneurs de gamètes

En France, l’accès aux données permettant d’identifier l’auteur d’un don de gamètes est impossible. Certaines personnes conçues par PMA, certains donneurs et receveurs militent pour un assouplissement du principe d’ordre public. Le point avec Audrey Kermalvezen membre de l’association PManonyme.


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L’article 47 de la loi bioéthique du 7 juillet 2011 prévoyait un nouvel examen d'ensemble de ce texte par le Parlement dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur. A cet effet, et conformément aux dispositions de l’article L 1412-1-1 du Code de la santé publique, se sont ouverts, le 18 janvier dernier, les Etats généraux 2018 de la bioéthique organisés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Durant six mois, de nombreux thèmes feront l’objet de débats citoyens et d’auditions permettant d’aboutir à une nouvelle loi sur la bioéthique d’ici la fin de l’année. Parmi les problématiques soulevées, celle de la procréation médicalement assistée (PMA) des donneurs de gamètes qui sous-tend celle du principe de l’anonymat.

La Quotidienne : Dans quelle mesure l’anonymat des donneurs de gamètes est-il garanti en France ?

Audrey Kermalvezen : L’anonymat du donneur de gamètes ou plus précisément les dispositions qui interdisent de divulguer une information permettant d’identifier à la fois le donneur et le receveur, sous peine de deux ans de prison et 30 000 € d’amende (C. pén. art. 511-10), sont issues des premières lois de bioéthique de 1994. Elles n’ont pas été remises en cause lors des révisions de la loi bioéthique intervenues en 2004 et 2011 malgré les recommandations du Conseil d’Etat émises dans son rapport du 6 mai 2009. Rappelons que ce rapport préconisait un assouplissement de l’anonymat et l’introduction, au profit de l’enfant issu d’une PMA avec tiers donneur, du droit d’accéder à des données non identifiantes sur son géniteur et, avec l’accord de ce dernier, à son identité. Les rapports de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et du Think tank progressiste TERRA NOVA prônaient également un aménagement du principe d’anonymat.

Dans un avis du 13 juin 2013 (CE 13-6-2013 n° 362981) et dans deux arrêts dont l'un de décembre dernier (CE 12-12-2015 n° 372121 et CE 28-12-2017 n° 396571 analysé dans La Quotidienne du 19 janvier 2018), le Conseil d’Etat rappelle le caractère d’ordre public du principe d’anonymat qui s’impose au donneur même contre son gré. C’est la raison pour laquelle les recours des personnes tendant à ce qu’il soit fait injonction à l’administration d’interroger le donneur à l’origine de leur conception ont tous été rejetés.

La Quotidienne : Comment s’articule l’anonymat du donneur avec le droit de l’enfant de connaître ses origines ?

A.K. : L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée. La Cour européenne a affirmé à plusieurs reprises que ce droit inclut le droit de connaître la vérité sur un aspect important de son identité personnelle, comme par exemple l’identité de ses géniteurs. Il s’agit d’un droit d’intérêt vital selon la jurisprudence de la Cour (voir notamment CEDH 7-2-2002 n° 53176/99, Mikùlic c/ Croatie ; CEDH 13-02-2003 n° 42326/98, Odièvre c/ France ; CEDH 13-07-2006 n° 58757/00, Jäggi c/ Suisse ; CEDH 16-06-2011 n° 19535/08, Pascaud c/ France).

Edouard Crépey, rapporteur public devant le Conseil d’Etat, a rappelé à plusieurs reprises qu’il existe un risque sérieux de condamnation de la France par la CEDH, notamment en raison du caractère d’ordre public de l’anonymat. C’est en effet le raisonnement suivi par la CEDH en matière d’accouchement sous X dans l'affaire Odièvre c/ France précitée et l'affaire Godelli c/ Italie (CEDH 25-09-2012 n° 33783/09).

La Quotidienne : Dans l’arrêt du 28 décembre 2017 que vous mentionné, le Conseil d’Etat invoque le risque d'une baisse substantielle des dons de gamètes en cas d’assouplissement du principe d’anonymat, qu’en pensez-vous ?

A.K. : Il s’agit d’une approche essentiellement quantitative que l’on ne peut que déplorer quand il est question de la conception d’êtres humains. Par ailleurs, parmi les nombreux Etats qui ont modifié leur législation en organisant, pour l’enfant, un droit de connaître ses origines personnelles à sa majorité, aucun n’a connu de baisse durable du nombre de donneurs de gamètes. Pour ne donner qu’un exemple : au Royaume-Uni, alors que la réforme est entrée en vigueur en 2005, le nombre de donneurs n’a cessé d’augmenter (voir les chiffres pour la période 1992-2010 et 2011-2013).

La Quotidienne : L’association PMAnonyme, que vous représentez, a été fondée en 2004. Elle regroupe des personnes conçues par PMA avec donneur, mais aussi des parents qui ont eu recours à cette technique procréative et des donneurs favorables à l’accès aux origines. Que revendiquez-vous ?

A.K. : L’association PManonyme milite pour que les personnes conçues par don de gamètes aient le droit de connaître toutes leurs origines personnelles c’est-à-dire non seulement les antécédents médicaux du donneur mais également, si ce dernier accepte, son identité.

Pour les dons déjà effectués, l’association souhaite que le donneur soit interrogé, de manière confidentielle (comme cela se pratique pour les femmes ayant accouché sous X par l’intermédiaire du Cnaop) afin de savoir, lorsque la personne conçue par son don en fait la demande, s’il accepte de transmettre des informations (identité, antécédents médicaux, photos au moment du don, etc.) et d’être contacté. L’éventuel refus du donneur serait respecté.

Pour le futur, l’association demande, sur le modèle britannique, la reconnaissance d’un droit d’accès aux origines pour toutes les personnes issues du don : en acceptant de donner, le donneur accepte d’être identifié à la majorité de l’enfant si ce dernier souhaite connaître son géniteur. Le principe d’anonymat serait donc à durée déterminée. Dans tous les cas, le donneur resterait, comme c’est le cas actuellement et depuis 1994, protégé contre toute demande de filiation ou de mise en cause de sa responsabilité à raison de son don (C. civ. art. 311-19 et 311-20). Toute revendication d’héritage ou action à fins de subsides de l’enfant à l’égard du donneur serait donc exclue. Réciproquement, aucune obligation alimentaire ne pèserait sur la personne conçue par don à l’égard de ce géniteur.

Si les personnes issues d’une PMA avec tiers donneur ne considèrent pas le donneur comme un parent, celui-ci n’en reste pas moins un acteur originel de leur vie. L’existence même de la PMA avec don de gamètes démontre qu’il n’existe pas de concurrence mais, au contraire, une complémentarité entre les liens biologiques et les liens sociaux et affectifs noués avec les parents d’intention. Pourquoi vouloir cacher l’un au profit de l’autre comme s’ils s’excluaient l’un l’autre ? Nous espérons que nos propositions, qui tendent à l’amélioration du dispositif existant à travers la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, feront l’objet de véritables débats dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique, même si, pour l’instant, notre sujet n’est pas inscrit à l’ordre du jour. A l’aube de l’élargissement de la PMA avec don de gamètes, il serait incompréhensible que le législateur se prive du retour d’expérience, de plus de 40 ans, des premiers concernés, à savoir les 70 000 Français qui en sont issus.

Propos recueillis par Audrey TABUTEAU



Audrey Kermalvezen est membre de l'association PManonyme. En 2014, elle a publié « Mes origines : Une affaire d'Etat » aux Editions Max Milo.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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