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CEDH : exemple de satisfaction équitable dans un litige successoral lié à l’application de la charia

Lors du règlement successoral, la différence de traitement entre héritiers fondée sur la religion viole la convention européenne des droits de l’Homme. Le requérant peut alors obtenir réparation de son préjudice au titre de la satisfaction équitable.

CEDH gde ch. 19-12-2018 n° 20452/14


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Un homme, de nationalité grecque et appartenant à la minorité musulmane de Thrace, teste en faveur de son épouse en application du droit civil grec. Il lui lègue l’ensemble de ses biens situés en Grèce et en Turquie. À son décès, saisies par les sœurs du défunt, les juridictions grecques décident que le testament est privé d’effet au profit du droit successoral musulman, lequel s’applique de manière obligatoire aux Grecs de la communauté musulmane de Thrace. L’application de la charia limite au quart de la succession les droits successoraux de l’épouse survivante. L’Aéropage relève notamment que le droit interpersonnel des ressortissants grecs musulmans établi par le traité d’Athènes du 14 novembre 1913 est partie intégrante du droit interne grec et a valeur supérieure à toute autre disposition contraire de la loi (Arrêt du 7-10-2013 n° 1862/2013) (confirmation sur renvoi, Arrêt du 6-4-2017 n° 556/2017).

L’épouse survivante saisie la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et sollicite une satisfaction équitable pour le dommage matériel et moral résultant de la différence de traitement subie dans le règlement de la succession de son époux en Grèce et en Turquie (Conv. EDH art. 41).

La Cour lui donne raison en deux temps.

Sur le fond, elle motive sa décision par l’interdiction de la discrimination, en l’espèce fondée sur la religion, combinée avec la protection de la propriété (Conv. EDH art. 14 et Protocole n° 1 art. 1) ; elle relève que la différence de traitement subie par le légataire selon que le testateur est ou non de confession musulmane n’a pas de justification objective et raisonnable (CEDH gde ch. 19-12-2018 n° 20452/14, Molla Sali c/ Grèce). 

Ensuite, sur l’application du texte relatif à la satisfaction équitable et faute d’accord entre la veuve et le gouvernement grec, la CEDH constate que les décisions nationales reconnaissant aux sœurs des droits de 3/4 sur la succession ne se sont pas encore concrétisées (le registre du cadastre n’a pas été corrigé). Par conséquent, constituerait une réparation appropriée la prise de mesures de nature à garantir que la requérante reste propriétaire des biens légués par son mari ou, dans l’hypothèse d’une modification du registre du cadastre, qu’elle soit rétablie dans ses droits de propriété. Passé le délai d’un an à compter du prononcé de l’arrêt de la CEDH, la Grèce devrait verser à la requérante une indemnité, pour dommage matériel, représentant la valeur des 3/4 des biens successoraux en l’absence des mesures indiquées. La Cour reconnaît également que la requérante a subi un dommage moral indemnisable et a droit au remboursement des frais et dépens. Elle se déclare toutefois incompétente pour se prononcer sur la demande de satisfaction équitable relative aux biens situés en Turquie (CEDH gde ch. 18-6-2020 n° 20452/14, Molla Sali c/ Grèce).

À noter : 1. Depuis le 15 janvier 2018, l’application de la charia aux Grecs membres de la minorité musulmane de Thrace n’est plus obligatoire à la suite d’une évolution législative (Loi 4511-2018 art. 1) : les dispositions du Code civil grec s’appliquent aux relations successorales sauf disposition contraire expresse du testateur.

Au-delà du cas de la Grèce, cet arrêt illustre les rapports entre les droits civils européens et la charia en Europe (CEDH gde ch. 19-12-2018 n° 20452/14, Molla Sali c/ Grèce : Rev. Crit. DIP 2019 p. 1002 note C. Pamboukis). À propos de ce même arrêt, le professeur Fulchiron pose la question de l’application de la charia en France au regard de la coutume mahoraise, laquelle reste le principe en matière de statut personnel, nonobstant les affirmations de la CEDH (« En dehors du domaine du droit international privé, il n’y avait qu’un seul État (la France) qui appliquait officiellement certaines dispositions de la charia aux ressortissants de l’un de ses territoires d’outre-mer (Mayotte). Cela dit, cette application était limitée et a pris fin en 2011 ») (H. Fulchiron, De l’application de la charia en Europe, en général, et de certains statuts coutumiers en France, en particulier : D. 2019 p. 316). Mais la réforme du statut personnel de droit local applicable à Mayotte ouvre désormais la possibilité à toute personne de statut civil de droit local de renoncer à ce statut au profit du droit commun (Ord. 2010-590 du 3-6-2010 art. 3). En outre, elle pose comme principe l’interdiction de toute discrimination pour la dévolution des successions qui serait contraire à l’ordre public (Ord. 2010-590 du 3-6-2010 art. 12 ; H. Fulchiron, précité).

2. La CEDH rappelle que l’État défendeur à l’obligation juridique de mettre un terme à la violation de droit et de rétablir la situation antérieure autant que faire se peut (CEDH gde ch. 18-6-2020 n° 20452/14, Molla Sali c/ Grèce ; voir en ce sens CEDH gde ch. 12-3-2014 n° 26828/06, Kurić et a. c/ Slovénie). À cet effet, les États sont libres de choisir les moyens nécessaires. Si une « restitutio in integrum » est possible, l’État doit la réaliser. Si le droit national ne permet pas (ou qu’imparfaitement) d’effacer les conséquences de cette violation, la Cour peut accorder à la partie lésée la satisfaction appropriée (Conv. EDH art. 41).

Dans cette affaire, la Cour refuse de statuer sur la demande de satisfaction équitable relative aux biens situés en Turquie aux motifs que seule la Grèce était visée dans la requête initiale et que la dévolution successorale des biens situés en Turquie était l’objet de procédures toujours pendantes devant les juridictions turques. Cette décision est critiquée par certains juges siégeant en grande chambre lesquels, faisant part de leur opinion dissidente commune, relèvent que la Cour a manqué l’occasion de clarifier sa jurisprudence en matière de satisfaction équitable (voir http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-203366).

Pour en savoir plus sur cette question, voir : Mémento Successions Libéralités n° 69530

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