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Ni père, ni mère, mais « parent biologique »

Un homme qui a conçu un enfant après être devenu femme pour l’état civil se voit refuser la transcription de la « reconnaissance de maternité » qu’il a souscrite devant notaire mais obtient d’être mentionné comme « parent biologique ».

CA Montpellier 14.11.2018 n° 16/06059


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Monsieur X et Madame Y se marient en 1999 et donnent naissance à 2 enfants. En 2011, un jugement autorise le mari à changer de sexe pour l’état civil, tout en conservant ses organes sexuels masculins. En 2014, le couple conçoit un 3e enfant. Le géniteur, désormais Madame X, souscrit chez un notaire une reconnaissance prénatale « de nature maternelle non gestatrice ». Sur instruction du procureur de la République, l’officier d’état civil refuse sa transcription. Le tribunal de grande instance confirme. La filiation en ce qui concerne la maternité est une réalité biologique qui se prouve par la gestation et l’accouchement. Seules deux solutions sont offertes à Madame X : la reconnaissance de paternité ou l’adoption plénière de l’enfant.

La cour d’appel confirme partiellement le jugement. Elle refuse également la transcription de la reconnaissance maternelle : Madame X ne peut pas être déclarée comme mère non gestatrice. En revanche, elle reconnaît la filiation biologique de l’enfant et ordonne la transcription sur l’acte de naissance de la mention Madame X « parent biologique » de l’enfant. Seule cette mention est en effet de nature à concilier l’intérêt supérieur de l’enfant avec le droit au respect de la vie privée de Madame X.

Pour en arriver à cette conclusion, les juges d’appel constatent tout d’abord l’existence d’un vide juridique. Ni la loi du 18 novembre 2016 ayant changé les modalités du changement juridique de sexe, ni la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ne comportent de disposition relative à la filiation d’un enfant né postérieurement au changement juridique de sexe de son auteur.

Ensuite, ils admettent, comme le tribunal, l’impossibilité d’établir une double filiation maternelle. Mais, la cour estime que les juges auraient dû apprécier la légalité des dispositions nationales en opérant un contrôle de conventionalité. Or, l’adoption est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant de voir reconnaître, à l’égal de ses frères, la réalité de sa filiation biologique (Conv. de New-York du 20-11-1989 art. 3-1 et art 7). De même, la reconnaissance de paternité méconnaît le droit au respect de la vie privée de Madame X, une telle solution revenant à lui imposer un retour à son ancien sexe et à renoncer partiellement à l’identité sexuelle qui lui a été reconnue (Conv. EDH art. 8).

A noter : La solution est inédite. Pour la première fois, une juridiction crée, à côté des filiations maternelle et paternelle, une filiation « hybride » au travers de la notion de « parent biologique ».

Les juges montpelliérains ont tenté de donner une réponse juridique conforme aux exigences du droit supra-national, en cherchant à concilier les droits de l’enfant à voir sa filiation biologique établie, à l’égal de ses frère et sœur, et le droit au respect de la vie privée du géniteur, notamment le droit à son identité sexuelle.

On observera que le représentant ad hoc de l’enfant demandait, pour sa part, que Madame X soit déclarée père biologique de l’enfant.

La Cour de cassation se prononcera, le parquet ayant déposé un pourvoi. Mais pourra-t-elle véritablement trancher ? N’est-ce pas plutôt aux parlementaires de légiférer sur ce sujet ? A cet égard, on ne peut que regretter le vide de la loi de 2016, alors que le risque des filiations postérieures au changement d’état civil avait été identifié par les parlementaires. Le Sénat avait ainsi proposé que le changement de sexe soit sans effet sur ces filiations. Il n’a été ni suivi ni contredit puisque la loi ne propose aucune solution.

On peut rapprocher cette situation de celle qu’a eu à connaître la Cour de cassation à propos du sexe neutre. Elle a refusé une telle mention sur un acte de naissance car « la reconnaissance par le juge d’un “sexe neutre” aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». (Cass. 1e civ. 4-5-2017 n° 16-17.189 FS-PBRI).

Olivier DESUMEUR

Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Droit de la famille n° 27060

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne