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ICOs : le projet de loi PACTE, entre innovation et protection de l’épargne

Le projet de loi PACTE donne un cadre juridique aux ICOs (Initial Coin Offerings) en introduisant la faculté pour tout émetteur qui procède à une offre au public de jetons de solliciter un visa de l’Autorité des marchés financiers. Ce dispositif se veut rassurant pour les investisseurs. Le point avec Me Karima Lachgar, Frédéric Bertacchi et Matias Labé, avocats counsels, CMS Francis Lefebvre Avocats.


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Méthode de levée de fonds reposant sur l’émission d’actifs numériques (tokens/jetons numériques) émis via la blockchain et échangeables contre des cryptomonnaies, les ICOs (Initial Coin Offerings) semblent chahuter les autorités du monde entier !

Courant juin, le président de la SEC (US Securities and Exchange Commission) a déclaré que les cryptomonnaies que sont le bitcoin et l’ether n’entraient pas dans le champ de compétence de son agence mais de celle de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), organisme fédéral en charge de superviser et de réglementer les opérations à terme sur les marchés aux Etats-Unis. En France, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ont alerté les épargnants sur les risques liés aux investissements sur ces monnaies virtuelles ; Bercy leur cherche une réglementation adaptée ; quant au gouvernement, il propose – dans son Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises – d’introduire une procédure d’obtention volontaire de visa de l’AMF pour protéger les investisseurs (projet de loi PACTE, art. 26).

La Quotidienne : Que traduisent tous ces événements et l’absence de mise en place d’un cadre juridique au niveau européen, voir mondial, pour les ICO dont le caractère est par essence transnational ?

CMS Francis Lefebvre Avocats : La blockchain et ses différentes applications – dont les Initial Coin/Token Offerings (« ICO » ou « ITO ») – sont dès à présent porteuses de nouvelles potentialités en particulier pour le financement de l’économie réelle. Toutefois, la maturité de cette technologie étant loin d’être acquise, elle fait ressurgir la question du « bien légiférer ».

En effet, les ICOs, tout comme les autres usages de la blockchain, permettent l’émergence de nouvelles formes d’organisation économique et de nouveaux business models.

Néanmoins, un certain nombre de débordements ont démontré qu’il était de l’intérêt des autorités de régulation de coopérer étroitement avec les porteurs de projet pour garantir la stabilité des marchés financiers et accroître la confiance des investisseurs dans des projets ou des placements reposant sur l’émission de tokens.

Tout ceci explique la prise de conscience générale des régulateurs dans toutes les zones géographiques du monde. A notre sens, c’est la toute première fois qu’une technologie nouvelle suscite autant de réactions quasi simultanées de la part de régulateurs nationaux et transnationaux. Ces derniers ont externalisé plusieurs dizaines de positions, voire sont intervenus sur les marchés pour suspendre et interdire un certain nombre d’opérations.

Dans ce cadre, il est important de souligner qu’une réflexion de convergence et d’harmonisation au niveau international a bien été lancée. Elle s’inscrit, d’une part, dans le cadre des discussions du G20 sur les cryptomonnaies et, d’autre part, au niveau européen dans le cadre du Plan d’action Fintech de la Commission européenne publié en mars 2018.

Cette réflexion de convergence devrait aboutir, au moins au niveau européen, sur une tentative de cadre harmonisé durant la prochaine législature 2019-2024.

Le régime juridique français pourrait constituer à cet égard un précédent intéressant sur la base duquel, Commission européenne, Conseil et Parlement pourraient conduire les négociations pour l’adoption d’une recommandation, d’une directive ou d’un règlement européen.

La Quotidienne : Le dispositif proposé par Bercy suffira-t-il pour assainir ces marchés ? Pourquoi proposer uniquement un système reposant sur le volontariat ?

CMS Francis Lefebvre Avocats :La démarche initiée par les pouvoirs publics français dans le cadre du projet de loi PACTE est l’aboutissement d’une longue réflexion à laquelle ont été associés l’ensemble des parties prenantes en particulier dans le cadre de la consultation publique lancée par l’AMF d’octobre à décembre 2017 (« Document de consultation sur les Initial Coin Offerings », A 27 oct. 2017).

L’idée centrale qui repose sur la délivrance d’un label optionnel pour toute offre au public de tokens est la recherche d’un équilibre entre protection de l’épargnant et attractivité de la France. Pour cela, une démarche volontaire et vertueuse s’est imposée rapidement comme l’approche traduisant à la fois un gage de souplesse et la volonté de fixer des standards élevés en terme de transparence et de sécurité propice au bon développement de ce nouveau mode de financement de projets.

L’obtention du « label » AMF visé à l’article 26 du projet de loi PACTE est soumise au respect de trois niveaux d’exigences à respecter par les émetteurs établis ou immatriculés en France.

Exigences relatives:

- à une information claire, exacte et non trompeuse sur la nature du Projet (business plan, risques, milestones) et des biens ou services à financer via l’acquisition des tokens devant être contenue dans le White Paper et toute documentation promotionnelle ;

- à la sauvegarde et au suivi des actifs (fonds et cryptomonnaies) recueillis dans le cadre de l’offre au public de tokens ;

- à la transparence sur les conditions de mise sur le marché secondaire des tokens offerts au public.

En tout état de cause, il s’agit d’une approche qui fera l’objet d’une évaluation. Si le dispositif s’avérait insuffisant, il serait alors temps de le compléter par d’autres mesures plus contraignantes.

La Quotidienne : D’ici 2019, quelle fiscalité peut-on attendre de la part de Bercy en la matière ?

CMS Francis Lefebvre Avocats : L’application des règles que connaît notre droit aux émissions de tokens réalisées dans le cadre d’ICO soulève de nombreuses questions tant au niveau des émetteurs que des souscripteurs, et cela tant en matière d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les bénéfices que de TVA, même si sur ce dernier point les développements communautaires permettent d’apporter de nombreuses réponses.

La rédaction du White Paper revêt une importance capitale sur ce point puisqu’elle fige le cadre de l’opération projetée servant de support à l’analyse fiscale. Nous constatons trop souvent que les flux et les contreparties sont insuffisamment explicités, ce qui laisse place à des interprétations multiples voire contradictoires.

Au niveau des émetteurs, se pose la question de savoir comment la société doit traiter les sommes en numéraire ou les cryptomonnaies reçues en contrepartie de la souscription des tokens (et qui pour les tokens d’usage, correspondent à la contrepartie de livraison de biens ou de prestations de services qui seront délivrées ultérieurement par la société émettrice). Il serait particulièrement pénalisant que l’émetteur doive, dès l’ICO, constater un produit taxable à due concurrence alors qu’en pratique, son projet est en phase de développement et qu’il s’est engagé, une fois ce développement mené à bien, à délivrer un bien ou un service en échange des tokens initialement émis.

Des travaux sont en cours au sein de l’Autorité des normes comptables (ANC) qui devraient donner lieu à un règlement pour la fin de l’année : les précisions comptables devraient, à défaut de dispositions fiscales contraires, permettre de clarifier le traitement fiscal de l’émetteur. Par ailleurs, en cas de souscription de tokens au moyen de cryptomonnaies, se poserait pour l’émetteur la difficulté du financement de l’impôt sur le résultat ainsi dégagé.

Côté souscripteur, le traitement fiscal du token soulève également des questions porteuses de forts enjeux et qui sont liées au traitement fiscal de la détention du token, à sa remise (en vue d’obtenir la délivrance du bien ou du service) et, le cas échéant à sa revente. Sur ce dernier point, la dernière jurisprudence du Conseil d’Etat rendue sur le bitcoin pourrait conduire, sous certaines conditions, à retenir le traitement de droit commun applicable aux plus-values de cession de biens meubles, mais qui ne serait pas pleinement satisfaisant compte tenu du niveau d’imposition qu’il prévoit (19 % d’impôt sur le revenu majorés de 17,2 % de prélèvements sociaux), de l’obligation d’acquitter l’impôt dans le mois de la cession et de l’impossibilité, en cas de moins-value de cession, de reporter la perte réalisée.

Beaucoup d’attentes entourent le prochain collectif budgétaire quant à la mise en place d’un cadre fiscal des ICO nécessaire pour accompagner efficacement la réglementation juridique projetée. Ce cadre, pour encourager la réalisation d’opérations d’ICO en France, ne devra pas conduire à mettre à la charge de l’émetteur un coût fiscal important lors de l’ICO alors que son projet n’est pas encore concrétisé. De la même manière, le sort du souscripteur de token qui procéderait à leur échange (par exemple contre des cryptomonnaies) sera un vrai sujet en cas réalisation d’un gain. En effet, si le gain est immédiatement imposable, se posera consécutivement la question du financement de l’impôt par le souscripteur. En anticipation des projets de lois à venir, de nombreuses réflexions sont en cours afin d’examiner les solutions qui peuvent être proposées.

Propos recueillis par Audrey TABUTEAU



Me Karima Lachgar, Frédéric Bertacchi (à gauche) et Matias Labé (à droite), avocats counsels, CMS Francis Lefebvre Avocats.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne