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Vente du bien reçu par donation avec interdiction d’aliéner : jamais sans le donateur ?

Le bien reçu par donation avec interdiction d’aliéner peut valablement faire l’objet d’un compromis de vente sans intervention des donateurs pour renoncer à l’interdiction, ni condition suspensive à ce sujet dès lors que la vente intervient après leur décès.

Cass. 3e civ. 30-1-2020 n° 18-25.381 FS-PBI


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Un homme reçoit une parcelle par donation de ses parents. L’acte comporte une clause d’interdiction d’aliéner et d’hypothéquer et un droit de retour. En 2005, il donne à bail cette parcelle à un tiers et, en 2007, lui consent un compromis de vente sur ce même bien, dépourvu de condition suspensive comme de date de réalisation. Mais en 2014, après le décès des donateurs, il fait donation de cette parcelle à des époux.

Le bénéficiaire du compromis assigne alors son vendeur ainsi que le couple en annulation de cette seconde donation et en paiement de dommages-intérêts. La cour d’appel accueille ses demandes : la promesse synallagmatique, à défaut de stipulation de conditions, n’était pas atteinte de caducité. Par ailleurs, aucun délai n’avait été convenu pour la régularisation de l’acte authentique. Enfin, au jour de la donation, l’obstacle juridique à cette régularisation que constituaient l’interdiction de vendre et d’hypothéquer et le droit de retour avait disparu du fait du décès des donateurs. Les parties demeuraient donc engagées par cette promesse au jour de la donation. Passée en méconnaissance de la vente convenue et en fraude des droits de l’acquéreur, la donation consentie aux époux devait être annulée et les parties remises en l’état antérieur.

La Cour de cassation confirme.

A noter : L’arrêt aborde deux points. S’agissant tout d’abord de l’aliénation d’un bien ayant pour origine une donation avec interdiction d’aliéner, on enseigne généralement que cette clause, pendant le temps où elle s’applique, interdit au donataire tout acte d’aliénation à titre gratuit entre vifs ou onéreux sur le bien, ainsi que les promesses d’effectuer de tels actes (W. Dross : Clausier, Litec 2008, V° Inaliénabilité, p. 262). L’analyse paraît logique puisque c’est dès la date de la promesse, que celle-ci soit unilatérale ou synallagmatique, que le vendeur donne son consentement ferme et définitif à la vente. En conséquence, on conseille en pratique d’obtenir le consentement du donateur, par sa renonciation à l’interdiction, dès le stade de l’avant-contrat bien que l’on se satisfasse également de la stipulation dans l’avant-contrat d’une condition suspensive de consentement du donateur sur ce point (Mémento Vente immobilière n° 23288). Le présent arrêt conforte cette pratique puisqu’il adopte une position plus permissive encore : il valide un compromis (très probablement rédigé par les parties elles-mêmes) dénué de toute condition suspensive à cet égard, dès lors que la réalisation de celui-ci intervient après l’expiration de l’interdiction d’aliéner. Néanmoins, la stipulation d’une telle condition suspensive demeure à nos yeux vivement conseillée.

S’agissant de la violation du compromis, c’est la nullité de l’acte concurrent qui a été retenue par les juges en l’espèce pour sanctionner la fraude aux droits de l’acquéreur. En principe, la fraude expose à l’inopposabilité de l’acte frauduleux au créancier (Cass. 1e civ. 3-12-1985 n° 84-11.556 : Bull. civ. I n° 334 ; dans le même sens : C. civ. art. 1341-2 issu de l’ord. 2016-131 du 10-2-2016). Toutefois, dans certaines espèces, celle-ci est insuffisante ce qui amène les juges à y préférer la nullité lorsqu’une protection plus complète des tiers l’exige, notamment dans les contrats passés en violation d’un engagement antérieur (H. Roland et L. Boyer : Adages du droit français, Litec, V° Fraus omnia corrumpit, n° 3). La nuance est ténue puisque la jurisprudence considère que l’action paulienne a pour effet de révoquer rétroactivement l’acte frauduleux, ce qui entraîne le retour du bien aliéné dans le patrimoine du débiteur, l’aliénation subsistant au profit du tiers acquéreur pour tout ce qui excède l’intérêt du créancier demandeur (Cass. 1e civ. 1-7-1975 n° 74-11.109 : Bull. civ. I n° 213). Ce retour du bien dans le patrimoine du disposant est en effet la seule solution si l’on veut permettre au contrat bafoué de produire enfin ses effets, savoir une nouvelle aliénation au profit de l’acquéreur initialement prévu.

Enfin, l’arrêt peut étonner en ce qu’il accueille en 2018 (date de l’arrêt d’appel confirmé) la demande en réalisation forcée du compromis conclu en 2007. La même juridiction considère pourtant que, lorsque la promesse est muette sur les délais, elle n’est pas pour autant perpétuelle et les parties doivent en demander la réalisation dans un délai raisonnable au-delà duquel elle peut être considérée comme caduque (Cass. 3e civ. 20-5-2015 n° 14-11.851 FS-PB : RJDA 10/15 n° 643 ; dans le même sens : CA Douai 23-4-2015 n° 14/04952 pour un compromis de 2004 dont la demande de réalisation forcée a été formulée en 2012). La solution de l’espèce s’explique sans doute par l’absence de toute condition suspensive dans le compromis qui, dès lors, valait vente ferme et définitive. Ceci souligne une nouvelle fois les risques qu’il y a pour les parties à rédiger leur compromis elles-mêmes au lieu de le confier à un professionnel.

Muriel SUQUET-COZIC, diplômée notaire, chargée d'enseignement notarial

Pour en savoir plus sur les clauses d'inaliénabilité : voir Mémento Successions Libéralités nos 2195 s.



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