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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Social/ Rupture du contrat de travail

Relation amoureuse au travail : vie personnelle du salarié, ou vie professionnelle ?

Un salarié entretient une relation amoureuse avec une collègue de travail puis, après leur séparation, devient jaloux et fait pression sur son ex-compagne. Son comportement se rattache-t-il à sa vie professionnelle et peut-il justifier un licenciement disciplinaire ? Ou bien se situe-t-on dans la sphère privée, hors de portée du pouvoir disciplinaire de l'employeur ?

Cass. soc. 16-12-2020 n° 19-14.665 F-D


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Une relation tumultueuse entre collègues de travail

Un salarié entretient pendant plusieurs mois une relation amoureuse avec une de ses collègues de travail, dont les juges constatent qu'elle est faite «  de ruptures et de sollicitations réciproques ». Le couple met fin à cette relation, apparemment de manière consensuelle. Mais le salarié, jaloux, pose une balise GPS sur le véhicule personnel de son ex-compagne, à son insu, afin de surveiller ses déplacements et lui adresse plusieurs messages intimes à partir de sa messagerie professionnelle, lui demandant de reprendre contact et la soupçonnant d'avoir noué une nouvelle relation amoureuse avec un autre salarié de l'entreprise. L'employeur, alerté de ces agissements par les protagonistes de l'affaire, mène une enquête à l'issue de laquelle il engage une procédure de licenciement à l'encontre du salarié.

Considérant que les faits constituent un harcèlement, et qu'ils se rattachent à la vie de l'entreprise car ils se sont déroulés dans un cadre professionnel, l'employeur se place sur le terrain disciplinaire et prononce un licenciement pour faute grave. Le salarié estime, au contraire, que les faits relèvent de sa vie privée et, à ce titre, ne peuvent pas justifier un licenciement disciplinaire : il conteste donc la légitimité de cette rupture.

A noter : Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, en effet, un fait tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, par principe, justifier son licenciement (Cass. soc. 16-12-1997 n° 95-41.326 P ; Cass. soc. 23-6-2009 n° 07-45.256 FS-PB). Seul le trouble objectif causé au bon fonctionnement de l'entreprise par le comportement du salarié peut justifier un licenciement non disciplinaire (par exemple : Cass. soc. 28-11-2018 n° 17-15.379 FS-PB). Toutefois, on sort de la sphère privée si les faits commis par le salarié se rattachent à sa vie professionnelle (par exemple, le fait de commettre un vol le week-end à l'aide du camion de l'entreprise se rattache à la vie professionnelle du salarié : Cass. soc. 18-5-2011 n° 10-11.907 F-D) ou s'ils caractérisent un manquement à une obligation découlant du contrat de travail (loyauté, discrétion, sécurité, etc.) (Cass. soc. 3-5-2011 n° 09-67.464 FS-PB) : le licenciement peut alors être prononcé pour un motif disciplinaire.

S'agissant des relations amoureuses entre salariés, la Cour de cassation considère que le droit au respect de la vie privée interdit à l'employeur de licencier pour ce motif, sauf trouble dans l'entreprise ou relation non librement consentie (Cass. soc. 30-11-2005 n° 04-13.877 F-P).

Les juges excluent le rattachement à la vie professionnelle du salarié

La cour d'appel saisie du litige a constaté la matéralité des faits reprochés au salarié, mais a considéré qu'ils étaient exclusivement liés aux relations privées des deux salariés. Ils ne constituaient donc pas une faute, et ne pouvaient pas justifier un licenciement disciplinaire. L'employeur, condamné à verser au salarié plus de 30 000 € d'indemnités de rupture, près de 4 500 € de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et 60 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, s'est pourvu en cassation.

La Cour de cassation approuve en tous points le raisonnement suivi par les juges du fond. En premier lieu, elle estime que les faits reprochés au salarié ne constituaient pas un harcèlement moral, et que la relation amoureuse a pris fin de manière consensuelle, et non à la seule initiative de la salariée. Elle relève ensuite que la balise avait été posée sur le véhicule personnel de la salariée, que l’envoi à celle-ci de courriels au moyen de l’outil professionnel était limité à 2 messages et que les faits n’avaient eu aucun retentissement au sein de l’agence ou sur la carrière de l’intéressée.

Par conséquent, les faits relevaient de la vie personnelle du salarié, et échappaient au pouvoir disciplinaire de l'employeur. Le licenciement est jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse.

A notre avis : Il n'est pas toujours aisé de dessiner la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle du salarié, particulièrement dans un cas comme celui-ci. Le fait que la Cour de cassation s'en remette, dans ce domaine, au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ne facilite pas toujours la lecture de la jurisprudence : des solutions contraires peuvent être retenues alors que les faits sont assez proches. On se souvient, par exemple, d'une décision récente de la Cour de cassation en matière de relation amoureuse entre deux salariés : la qualification de harcèlement sexuel avait été exclue, car la salariée qui se prétendait victime avait en réalité participé à un jeu de séduction réciproque. Mais la Cour avait néanmoins considéré que les faits se rattachaient à la vie de l'entreprise et justifiaient le licenciement pour faute simple du salarié, qui était le supérieur hiérarchique de la victime et avait, par son comportement, « perdu toute autorité et toute crédibilité dans l'exercice de sa fonction de direction »  (Cass. soc. 25-9-2019 n° 17-31.171 F-D). La clé de la distinction entre vie personnelle et vie professionnelle, dans une affaire de relation amoureuse entre salariés, semble résider dans le retentissement des faits au sein de l'entreprise. Sans preuve d'un tel retentissement sur la marche de l'entreprise ou sur la carrière des membres du couple, il n'y a pas rattachement à la vie professionnelle, et pas matière à licenciement (voir déjà en ce sens : Cass. soc. 19-11-1992 n° 91-45.579 D).

Laurence MECHIN

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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