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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Social/ Exécution du contrat de travail

L’employeur face à la liberté d’expression du salarié dans la presse

Tout salarié jouit, en principe, du plein exercice de la liberté d’expression tant dans l’entreprise, qu’en dehors de celle-ci. L’employeur dispose-il de moyens pour encadrer cette liberté ? Le point avec Me Blandine Allix, associée au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats.


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La liberté d’expression recouvre la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées. Lorsqu’il envisage d’user de sa liberté d’expression dans la presse, le salarié doit-il solliciter une autorisation préalable auprès de sa direction ?

La liberté d’expression, applicable quel que soit le support d’expression, est un droit fondamental. Elle est reconnue comme telle par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales selon lequel « toute personne a droit à la liberté d'expression ». Elle est également protégée par le Code du travail dans ses articles L 1121-1 et L 2281-3.

Pour la Cour de cassation, sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci (ce qui inclut la presse) de sa liberté d’expression et il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Cass. soc. 14-12-1999 n° 97-41.995 ; Cass. soc. 27-3-2013 n° 11-19.734 ; Cass. soc. 19-2-2014 n° 12-35.305).

Au regard de ces principes, la Cour de cassation considère qu’une autorisation préalable de l’employeur ne peut être imposée au salarié qu’à la condition que cette restriction à la liberté d’expression soit proportionnée au but recherché et justifiée par la nature de la tâche à accomplir (Cass. soc. 8-12-2009 n° 08-17.191).

L’employeur doit donc démontrer que ces dernières conditions sont réunies pour que l’autorisation préalable soit licite. La plupart du temps, l’employeur invoque le caractère confidentiel de l’information. Mais ce caractère confidentiel ne suffit pas à justifier le bien-fondé de la restriction. Ainsi, dans l’arrêt du 8 décembre 2009 précité, la Cour de cassation avait jugé que les informations à usage interne dont la divulgation était soumise à autorisation préalable par le code de conduite de la société ne faisaient pas l'objet d'une définition précise, de sorte qu'il était impossible de vérifier que cette restriction à la liberté d'expression était justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Dans ce contexte, la jurisprudence est assez libérale vis-à-vis du salarié qui s'exprime dans la presse à propos de son entreprise. Dès 1988, la Cour de cassation jugeait que le licenciement, prononcé en raison de critiques exprimées par un salarié à l’égard de son entreprise dans l’Humanité, était sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 28-4-1988 n° 87-41.804). Elle a depuis largement réitéré sa position, notamment pour un salarié ayant envoyé au Canard enchaîné une lettre dans laquelle il stigmatise, photocopies de notes de service à l’appui, l’attitude de ses supérieurs qui lui réclament des justificatifs pour toute absence, même s’ils en connaissent le motif (Cass. soc. 5-5-1993 no 90-45.893). Idem pour un joueur de football professionnel mettant en cause la compétence de l’entraîneur dans le cadre de la polémique médiatique les opposant (Cass. soc. 28-4-2011 no 10-30.107).

La Cour de cassation reconnaît ainsi au salarié un véritable droit de critique dès lors que cette critique est en lien avec l’activité professionnelle et les conditions de son exercice (Cass. soc. 18-12-2013 n° 12-22.140).

La nature de la fonction du salarié au sein de l’entreprise peut-elle justifier une restriction ? L’employeur peut-il insérer dans un contrat de travail une clause limitant cette liberté fondamentale ?

La nature de l’activité exercée par le salarié peut justifier certains empêchements mais uniquement dans des cas particuliers.

Il en est ainsi dans l’hypothèse du secret professionnel auquel sera soumis un médecin salarié ou un avocat salarié. Ou encore du statut de membres de la délégation du personnel du comité social et économique ou de représentant syndical, pour lesquels le Code du travail édicte une obligation de discrétion « à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur » (C. trav. art. L 2315-3, al. 2). Les premiers sont également tenus à une obligation de secret professionnel vis-à-vis des procédés de fabrication (article précité). Plus généralement, la violation d’un secret de fabrication par un directeur ou un salarié est un délit passible de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende (C. trav. art. L 1227-1)

En dehors de certaines professions spécifiques (militaire, ministre…), l’obligation de réserve, bien que régulièrement plaidée, n’est jamais retenue par la Cour de cassation (Cass. soc. 6-10-2010 n° 09-40.412 ; Cass. soc. 29-2-2012 n° 10-15.043). Mises à part les restrictions évoquées,il n’existe pas réellement d’obligation de réserve permettant à l’employeur de censurer le salarié, quand bien même ce dernier serait cadre dirigeant (Cass. soc. 27-3-2013 n° 11-19.734 ; Cass. soc. 23-9-2015 n° 14-14.021).

Dans son contrat de travail, les seules restrictions pouvant être imposées au salarié concernent uniquement le contenu des informations communiquées. Ainsi, par exemple, de la clause interdisant au salarié de dévoiler des informations confidentielles. Mais, comme indiqué précédemment, de telles clauses ne sont valables que si la confidentialité est spéciale et précise (C. trav. art. L 2315-3 préc. qui ne vise que les informations présentées par l’employeur comme ayant un caractère confidentiel ; Cass. soc. 8-12-2009 n° 08-17.191, préc.), la protection ne pouvant pas s’appliquer de manière générale à toutes les informations. Le secret de fabrication d’un produit réunit très clairement ces conditions de spécificité et de précision.

A quelles conditions un salarié est-il en droit de s’adresser à la presse en qualité de lanceur d’alerte ?

La réponse à cette question dépend de la définition que l’on donne du lanceur d’alerte.

Si l’on se réfère à la loi Sapin 2, le lanceur d’alerte est celui qui utilise la procédure appropriée de recueil des alertes internes à l’entreprise pour révéler ou signaler « de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont il a eu personnellement connaissance » (Loi 2016-1691 du 9-12-2016, art. 6).

Cette telle procédure d’alerte est strictement encadrée, notamment elle doit :

– préserver la confidentialité des informations recueillies et l’identité des personnes concernées par le signalement ;

– préciser le nom du responsable de la réception et du traitement de l’alerte.

En outre, le lanceur d’alerte bénéficie d’une protection.

Ainsi, ne peut être qualifiée de lanceur d’alerte que la personne qui s’exprime dans un cadre interne à l’entreprise. En effet, aux termes de l’article 8 de la loi précitée, le signalement d'une alerte doit être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. En l'absence de diligences de la personne destinataire de cette alerte, le lanceur peut s’adresser à l'autorité judiciaire, administrative ou aux ordres professionnels. Ce n’est qu’en dernier ressort, à défaut de traitement par l'un de ces organismes dans les trois mois (art. 8, I), ou en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles (art. 8, II), que le signalement peut être rendu public.

Par conséquent, le salarié qui s’adresserait à la presse sans avoir préalablement épuisé ces deux niveaux d’alerte ou en l’absence de danger grave et imminent, ne devrait pas pouvoir être qualifié de « lanceur d’alerte » et donc ne devrait pas pouvoir revendiquer le bénéfice de la protection prévue par la loi Sapin 2.

Toutefois, si, malgré tout, un salarié décide de communiquer de bonne foi des informations à la presse, il pourra se retrancher derrière sa liberté d’expression pour assurer sa défense face à l’employeur mécontent qui devra démontrer que les propos du salarié sont soit diffamatoires, soit injurieux, soit excessifs.

Dans ce sens, et en dehors du cas particulier de la presse, a été déclaré nul le licenciement d’un salarié qui a dénoncé de bonne foi au procureur de la République des faits dont il a eu connaissance et qui sont de nature à caractériser une escroquerie ou un détournement de fonds publics (Cass. soc. 30-6-2016 no 15-10.557).

Comment caractérise-t-on un abus de droit à la liberté d’expression ?

La Cour de cassation considère que l’abus est caractérisé par la tenue de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs (cf. not. Cass. soc. 2-5-2001 n° 98-45.532). L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

Ainsi, diffamer, c’est imputer un fait précis susceptible d’être daté et circonstancié et qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération (par exemple : la commission d'une infraction pénale).

L’injure, définie par le même article, s’entend comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». A la différence de la diffamation, il s’agit donc d’un fait qui n’est pas vérifiable.

Enfin, l’excessivité regroupe les propos tenus qui n’entrent pas dans l’un des cas précédents mais qui sont particulièrement virulents.

Pour apprécier s’il y a eu ou non abus, les juges prennent en compte le contexte dans lequel les propos ont été tenus afin de déterminer si celui-ci peut ou non constituer une circonstance atténuante. Ils examinent, notamment, si les propos incriminés ont été tenus publiquement, si la personne (ou l’entreprise) visée par les propos était facilement identifiable et si cette personne visée avait « provoqué » l’auteur des propos.

Ont ainsi été jugés comme constituant des circonstances aggravantes le fait pour un salarié d’apposer sur le balcon de son domicile une banderole mettant en cause publiquement son employeur (Cass. soc. 22-6-2011 n° 10-10.856) ou le fait de porter de graves accusations contre son employeur, notamment par voie de presse et auprès d’organismes publics et d’institutions (Cass. soc. 15-6-2010 n° 09-41.550).

A l’inverse, a été jugée comme constituant une circonstance atténuante la situation d’un salarié qui a adressé un courriel dont les termes étaient excessifs mais qui traduisaient la réaction d’un homme blessé par l’annonce d’un licenciement dont il ne percevait pas les motifs (Cass. soc. 24-9-2013 n° 12-14.131). Même application concernant les propos indélicats d’un salarié qui qualifiait son entreprise de « boîte de cons » et de « boîte à merde» et portait des accusations mensongères sur son supérieur hiérarchique, ses propos exprimant un sentiment d’insatisfaction (Cass. soc. 13-7-2016 n° 15-12.430).

Par conséquent, des propos identiques tenus par deux salariés peuvent être jugés différemment selon le contexte dans lequel chacun les aura exprimés.

Propos recueillis par Audrey TABUTEAU



MeBlandine Allix, associée au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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