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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Social/ Statuts ou régimes particuliers

Un agent public portant la barbe viole-t-il son devoir de laïcité ? 

Une barbe « imposante » ne constitue pas, à elle seule, un signe d'appartenance religieuse. Un agent public ne peut pas se voir reprocher un manquement au principe de laïcité pour ce seul motif, et peut légitimement refuser de modifier son apparence.

CE 12-2-2020 n° 418299


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Les litiges relatifs à la liberté, pour un salarié, de manifester ses convictions religieuses concernent, le plus souvent, le port de vêtements. Mais ici, pour la première fois à notre connaissance, le Conseil d'État - juge des litiges relatifs aux agents publics et assimilés - est amené à se prononcer sur la question de la barbe d'un salarié.

L'affaire concernait un ressortissant égyptien, accueilli en qualité de praticien stagiaire au sein d'un service de chirurgie dans un hôpital. Dès son arrivée, le directeur de l'établissement hospitalier lui avait demandé de tailler sa barbe pour en « supprimer le caractère ostentatoire ». Face au refus de l'intéressé, le directeur avait décidé de résilier sa convention de stage, en appuyant sa décision sur le principe de laïcité qui s'impose à tout agent public.

Les agents du service public doivent respecter le principe de neutralité religieuse

Les agents publics, y compris lorsqu'ils sont stagiaires (CE 28-7-2017 n° 390740), bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur la religion. Toutefois, le principe de laïcité, posé par l'article 1er de la Constitution, fait obstacle à ce qu'ils aient, dans le cadre du service public, le droit de manifester leurs croyances religieuses. Par conséquent, le fait pour un agent du public de manifester dans l'exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations (CE avis 3-5-2000 n° 217017).

A noter : Ce principe a également été rappelé par la chambre sociale de la Cour de cassation dans une affaire relative au port du voile islamique (Cass. soc. 19-3-2013 n° 12-11.690 FS-PBRI : RJS 5/13 n° 346). La Cour de cassation, énonçant que les principes de neutralité et de laïcité sont applicables à l'ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé, avait précisé qu'il importe peu que les agents publics soient ou non en contact direct avec le public.

Le principe de neutralité s'applique en particulier à l'expression de ses convictions religieuses par le salarié à l'aide des moyens mis à sa disposition par le service public (CE 15-10-2003 n°244428), et au port de signes religieux (à propos d'un turban sikh : CE 5-12-2007 n° 285394). Mais peut-il s'appliquer à la barbe « imposante »  d'un agent public ?

En appel, la cour administrative d'appel avait raisonné en deux temps. Elle a d'abord considéré que la barbe que portait le praticien ne pouvait, « malgré sa taille, être regardée comme étant par elle-même un signe d'appartenance religieuse ». Néanmoins, selon elle, par son refus de la tailler et parce qu'il n'avait pas nié que son apparence physique pouvait être perçue comme un signe d'appartenance religieuse, notamment par le reste du personnel, le stagiaire égyptien avait manqué à ses obligations au regard des principes de neutralité et de laïcité. La cour administrative d'appel avait par conséquent donné raison à l'hôpital.

La barbe n'est pas à elle seule un signe d'appartenance religieuse

Le Conseil d'État, saisi du litige, décide de traiter ce litige relatif à une barbe comme toute autre affaire mettant en cause le respect par un agent public de son devoir de neutralité religieuse. Il admet donc, a priori, que la barbe d'un agent puisse participer de la manifestation de convictions religieuses. Mais, en l'espèce, il censure la décision des juges du fond qui ont, selon lui, commis une erreur de droit. La Haute Cour administrative considère que les éléments sur lesquels les juges d'appel se sont fondés pour se prononcer sont par eux-mêmes insuffisants pour caractériser la manifestation de convictions religieuses dans le cadre du service public. Sans autre circonstance susceptible d'établir que l'agent public aurait manifesté de telles convictions dans l'exercice de ses fonctions, aucun manquement à son devoir de neutralité ne pouvait lui être reproché. 

D'après les conclusions de N. Page, Rapporteur public, « il paraît choquant que le silence gardé par l’agent sur une interrogation relative à ses convictions puisse lui être ainsi opposé, au regard de la protection de la liberté de  conscience des agents publics » . En outre, « l’opinion des collègues sur le caractère religieux, ou pas, de l’apparence de l’intéressé, opinion sur la réalité de laquelle la cour ne se prononce pas clairement, ne pourrait servir que d’indice assez faible, à recevoir avec les plus grandes précautions, compte tenu du risque de perceptions faussées, voire empreintes de préjugés. C’est d’abord au juge, sur ces questions délicates et complexes, de parvenir lui-même à une appréciation objective de l’apparence et du comportement de l’agent. » 

En soi la barbe ne peut donc en tant que telle être un signe religieux contraire au principe de laïcité. Ce n'est que parce que le port de celle-ci s'accompagne d'un comportement manifestant un caractère religieux que son interdiction peut être admise au nom du respect du principe de laïcité. 

A noter : Et dans le secteur privé ? La cour d'appel de Versailles, saisie d'un litige relatif à un salarié portant une barbe désignée comme « provocante »  par l'employeur et licencié pour des raisons de sécurité non étayées, avait jugé ce licenciement discriminatoire : la rupture du contrat de travail reposait, au moins en partie, sur des motifs pris de ce que l'employeur considérait comme l'expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de la barbe, sans justification objective (CA Versailles 27-9-2018 n° 17/02375).

Pour en savoir plus sur les droits et libertés individuelles des salariés : voir Mémento Social nos 17025 s.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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