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Un emprunt sciemment dissimulé au CE jugé inopposable dans ses effets sur la participation

Le financement d’une restructuration par un emprunt à taux élevé auprès de la société mère n’a pas d’effet sur le montant de la participation due aux salariés dès lors que cet emprunt préjudiciable à la société a été frauduleusement dissimulé à son comité d’entreprise.

CA Versailles 2-2-2016 n° 15/01292


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En juin 2007, les sociétés Lamy et Groupe Liaisons sont dissoutes et leur patrimoine est transmis à un actionnaire unique, la société Wolters Kluwer France (WKF). Celle-ci achète toutes les actions de ces sociétés au moyen d’un emprunt de 445 millions d’euros remboursables sur 15 ans souscrit, après les dissolutions, auprès de la société mère néerlandaise (HWKF).

En 2010, le comité d’entreprise (CE) de la société WKF, constitué après la fusion, souhaite comprendre les raisons de l’absence de participation aux résultats depuis 2007. Il attrait alors la société WKF devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins d’expertise et découvre que l’absence de participation est due à l’emprunt dont il n’avait pas connaissance.

Le comité d’entreprise dépose plainte auprès du Procureur de la république pour délit d’entrave et les syndicats assignent les sociétés mère et fille devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin de voir déclarer l’emprunt inopposable aux salariés dans ses effets sur la réserve spéciale de participation. Ils souhaitent ainsi obtenir la condamnation des deux sociétés à reconstituer celle-ci pour les exercices 2007 à 2022 et à la répartir entre les salariés. Le tribunal les déboute. Mais la cour d’appel de Versailles fait droit à leur demande tout en la limitant aux années 2007-2015, le préjudice pour les années à venir (2016-2022) n’étant pas certain. Tour d’horizon des motifs de la décision.

L’emprunt et ses conséquences ont été frauduleusement dissimulés au comité d’entreprise

Pour la cour d’appel de Versailles, la société WKF et sa société mère ont sciemment dissimulé aux CE par des manœuvres frauduleuses une des conséquences importantes de l'opération de restructuration, à savoir l'augmentation de l'endettement de la société WKF ayant pour effet direct l'absence de réserve spéciale de participation et donc, de versement de cette participation aux salariés.

La cour d’appel se fonde sur un ensemble de faits pour parvenir à cette conclusion :

- interrogés sur l’impact de la restructuration sur le montant de la participation, les DRH en place dans les sociétés filles avant la fusion ont soit refusé de répondre à leur comité, soit lui ont assuré qu’il n’y aurait aucune conséquence sociale ;

- l’emprunt a été souscrit en juillet 2007 après les opérations de restructuration, au cours d'une période où la société WKF n'avait pas encore de CE, le comité n’ayant été constitué qu’en septembre 2007 ;

- cette dissimulation s'est ensuite poursuivie par le refus de la direction de communiquer au comité la documentation économique et financière qu’il aurait dû recevoir un mois après son élection puis les comptes annuels et les documents de gestion prévisionnelle.

La cour d’appel retient que ces omissions délibérées, relevées par l’inspecteur du travail reconnaissant l’existence d’une entrave au fonctionnement du CE, sont aggravées par la circonstance que la société WKF assure notamment l’édition et la diffusion d’ouvrages en droit du travail, de sorte qu’elle était bien placée pour avoir connaissance des dispositions légales à respecter.

L’emprunt était préjudiciable à la société

Pour la cour d’appel de Versailles, le choix des modalités de l'opération fait par la société WKF et sa société mère était préjudiciable pour la société WKF et ses salariés, car il n'a apporté aucun bénéfice économique à ces derniers, aggravant au contraire les difficultés économiques de cette société.

Là encore, plusieurs circonstances de fait conduisent la cour d’appel à cette conclusion :

- en premier lieu, le taux d'intérêt de l'emprunt est jugé trop élevé pour une opération intra-groupe ;

- en second lieu, l’opération conduisait à un endettement significatif de la société WKF, obérant fortement ses capacités d'investissement ;

- enfin, elle constituait une remontée de trésorerie significative aux Pays-Bas, où était située la société mère, ce pays ayant une fiscalité plus avantageuse que la France.

L’opération est inopposable aux salariés

Forte de ses constations, la cour d’appel juge que l'opération de restructuration est constitutive d'une manœuvre frauduleuse à l'égard du CE et des salariés de la société WKF. Elle la déclare en conséquence inopposable à ces derniers, dans les effets de l'emprunt sur la réserve spéciale de participation.

Pourtant, selon l'article L 3326-1 du Code du travail, pour le calcul de la réserve spéciale de participation, le montant du bénéfice net est établi par une attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes et ne peut pas être remis en cause à l'occasion des litiges nés de l'application des dispositions relatives à la participation. Le tribunal de grande instance de Nanterre avait ainsi déclaré irrecevables les demandes des syndicats car elles revenaient à contester la validité des attestations du commissaire aux comptes. Mais la cour d’appel de Versailles ne le suit pas sur ce terrain. Car, selon elle, les syndicats ne remettaient pas en cause la sincérité des attestations du commissaire aux comptes, mais soutenaient seulement que l'opération de restructuration devait être déclarée inopposable aux salariés, avec pour conséquence la réintroduction dans le bénéfice net, pour le calcul de la participation des salariés, des sommes soustraites de ce bénéfice du fait des charges de l'emprunt litigieux.

Les remontées de trésorerie à l’étranger sont elles indirectement condamnées ?

Les syndicats ont-ils trouvé une parade pour faire échec aux remontées de trésorerie à l’étranger ? C’est loin d’être certain.

D’abord, il nous semble qu’en l’espèce, c’est la dissimulation opérée par le groupe qui motive la solution retenue par la cour d’appel de Versailles. Si celui-ci avait agi avec plus de transparence vis-à-vis de son comité d’entreprise, les syndicats n’auraient probablement pas obtenu gain de cause.

Par ailleurs, il n’est pas sûr que la Cour de cassation approuvera la décision des juges d’appel en cas de pourvoi. Si elle admet l'action syndicale tendant à la condamnation d'un employeur à constituer une réserve spéciale de participation ainsi qu'à sa répartition entre les salariés (Cass. soc. 3-5-2007 n° 05-12.340 : RJS 7/07 n° 875), la Cour n’autorise pas en revanche celle visant à contester le montant du bénéfice net établi par l’attestation du commissaire aux comptes (Cass. soc. 9-2-2010 n° 08-11.338 : RJS 4/10 n° 363). Admettrait-elle une sorte de contournement de ce principe en se plaçant sur le terrain de l’inopposabilité ? Cela n’est pas totalement exclu car elle a déjà admis, par le passé, qu’un syndicat obtienne en justice la suspension d’une mesure prise par l’employeur sans respecter son obligation d’information et de consultation préalable du comité (Cass. soc. 24-6-2008 n° 07-11. 411 : RJS 10/08 n° 1008). Mais ce type d’action syndicale semble aujourd’hui indissociable de celle du CE (Cass. soc. 16-12-2014 n° 13-22.308 : FRS 1/15 inf. 16 p. 23 ; Cass. soc. 14-12-2015 n° 14-17.152 : RJS 3/16 n° 188). De plus, suspendre une décision n’emporte pas les mêmes effets que la déclarer inopposable. Et même si la Cour de cassation admettait que certains manquements soient sanctionnés par une inopposabilité, il n’est pas certain qu’elle l’accepterait dans le cas où cela reviendrait à remettre indirectement en cause le montant du bénéfice net.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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