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Un régime général de protection du secret des affaires est instauré

Définir le secret des affaires et les comportements illicites qui y portent atteinte, faciliter les actions judiciaires pour le protéger et s’assurer qu’il ne sera pas divulgué à cette occasion, tels sont les objectifs poursuivis par la loi relative à la protection du secret des affaires. Un décret est attendu.

Loi 2018-670 du 30-7-2018 : JO 31 texte n° 1


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1. La loi 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires vient de transposer en droit interne la directive européenne 2016/943 du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites. Cette directive s’inspire elle-même d’un accord conclu avec l’Organisation mondiale du commerce (sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce ; Adpic) et qui lie tant l’Union européenne que ses Etats membres. 

La directive 2016/943 a pour objectif de fournir un niveau de protection uniforme aux entreprises au sein de l’Union européenne alors que seuls certains Etats membres se sont dotés d’une législation spécifique sur la protection des secrets d'affaires (par exemple, l’Italie, le Portugal, la Suède, la Grèce et la Pologne). Elle laisse peu de latitude aux Etats membres pour aménager le régime (cf. art. 1)

La transposition devait intervenir au plus tard le 9 juin 2018 (Dir. 2016-943 art. 19).

2. Le secret des affaires permet aux entreprises de préserver la confidentialité d’informations qui ne peuvent pas bénéficier de la protection du droit de la propriété intellectuelle (brevets, dessins et modèles, droits d’auteur) et qui sont néanmoins importantes pour maintenir leur compétitivité.  Pour le garde des Sceaux, « la protection du secret des affaires est essentielle pour le développement de l’innovation et le maintien des avantages concurrentiels de nos entreprises. C’est un élément puissant d’attractivité de notre droit, partant de notre économie » (Déb. AN du 28-3-2018).

3. La loi instaure un nouveau régime général de protection du secret des affaires, qui est introduit dans le Code de commerce (C. com. art. L 151-1 à L 154-1 nouveaux). Elle définit les informations susceptibles d’être protégées, les comportements illicites et les mesures préventives pouvant être demandées en justice.

Ce régime entrera en vigueur à la publication d’un décret d’application (cf. art. L 154-1).

Le Conseil constitutionnel, saisi d’un recours contre la nouvelle loi, n’en a censuré aucune disposition (Cons. const. 26-7-2018 n° 2018-768 DC : JO 31 texte n° 64). Il a notamment précisé qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur celles qui se bornent « à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises » de la directive 2016/943.

Objet et conditions de la protection du secret des affaires

Toute information ne sera pas couverte par le secret des affaires

4. Pour être protégée par le secret des affaires, une information devra répondre aux critères suivants (C. com. art. L 151-1), qui sont ceux posés par l’article 2, I de la directive 2016/943 :
- l’information n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ;
- elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
- elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.

Pour être protégée, une information devra avoir une valeur commerciale

5. Il résulte de ce texte que l’objet de l’information sera en soi sans incidence (cf. Dir. 2016/943 considérant 14). Il pourra s’agir notamment de connaissances technologiques, de savoir-faire ou encore de données commerciales relatives aux clients, aux fournisseurs, aux coûts, d’études et de stratégies de marché qui satisferont aux critères précités.

Le support de l’information sera également indifférent.

6. L’information devra bien sûr être secrète. Ne seront donc pas protégées par le secret des affaires les informations qui sont publiques ou qui sont connues dans le domaine professionnel concerné.

En outre, l’information devra avoir été protégée par son détenteur. Il incombera aux tribunaux de fixer au cas par cas le niveau et la nature de la protection raisonnablement déployée (mesures techniques ou contractuelles) par l’entreprise qui entend bénéficier du secret des affaires. Quoi qu’il en soit, les entreprises ont intérêt à insérer dans les contrats qu’elles concluent avec leurs salariés et partenaires des clauses de confidentialité pour les informations qu’elles échangent avec eux.

7. Aux termes de la directive 2016/943, les informations devraient être considérées comme ayant une valeur commerciale, par exemple lorsque leur obtention, leur utilisation ou leur divulgation illicite est susceptible de porter atteinte aux intérêts de la personne qui en a le contrôle de façon licite en ce qu'elle nuit au potentiel scientifique et technique de cette personne, à ses intérêts économiques ou financiers, à ses positions stratégiques ou à sa capacité concurrentielle. La valeur serait donc appréciée au regard de l’entreprise qui en est légitimement détentrice.

Selon P. Berlioz, une information a une valeur dès lors qu’elle est, directement ou indirectement, source de gains ou d’économies ; tel est le cas d’une information qu’une entreprise a obtenue en exposant des frais et dont l’utilisation par une autre entreprise permettrait à celle-ci d’économiser ces frais (Informations secrètes de l'entreprise : une protection annoncée : RDC 2015 p. 124 s.).

8. La loi définit le détenteur légitime d’un secret des affaires comme étant celui qui en a le contrôle de façon licite (art. L 151-2). Sera donc visé le détenteur initial mais aussi toutes les personnes contractuellement autorisées à le connaître, par exemple dans le cadre d’une communication de savoir-faire (Rapport AN n° 777 relatif à la loi 2018-670).

L’obtention d’une information secrète pourra être licite

9. L’obtention d’un secret d’affaires sera licite lorsqu’elle résultera, d’une part, d’une découverte ou d’une création indépendante ou, d’autre part, d’un procédé d'ingénierie inverse, c’est-à-dire  de l’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet qui aura été mis à la disposition du public ou qui sera de façon licite en possession de la personne qui obtiendra l’information, sauf stipulation contractuelle interdisant ou limitant l’obtention du secret  (C. com. art. L 151-3).

L’obtention, l’utilisation et la divulgation sans autorisation du secret seront illicites

10. La loi nouvelle précise les comportements qui, en l’absence d’accord du détenteur légitime de l’information, seront susceptibles d’être sanctionnés au titre du secret des affaires.

Ces comportements, définis en termes très généraux, ne seront pas cantonnés aux seules hypothèses d’espionnage industriel, de concurrence déloyale entre entreprises ou de divulgation médiatique. Comme l’a souligné M. Frassa, rapporteur devant le Sénat, une atteinte au secret des affaires peut émaner d’une personne qui n’est pas une entreprise sans pour autant être un journaliste, un syndicaliste ou un lanceur d’alerte (Déb. Sén. du 19-4-2018 relatif à la loi 2018-670).

11. L’obtention d’un secret des affaires sera illicite lorsqu’elle sera réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résultera (C. com. art. L 151-4) :
- d’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments ;
- de tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale.

Comme en matière de concurrence déloyale (Cass. com. 8-2-2017 n° 15-14.846 F-D :  RJDA 7/17 n° 516), la seule appropriation d'informations confidentielles sera sanctionnée, même si celles-ci n'ont pas été utilisées.

12. L’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires sera illicite lorsqu’elle sera réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions illicites ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation (C. com. art. L 151-5, al. 1).
La production, l’offre ou la mise sur le marché, de même que l’importation, l’exportation ou le stockage à ces fins de tout produit résultant de manière significative d’une atteinte au secret des affaires seront également considérés comme une utilisation illicite lorsque la personne qui exercera ces activités savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret était utilisé de façon illicite (art. précité, al. 2).

13. L’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires sera aussi considérée comme illicite lorsque, au moment de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret, une personne savait, ou aurait dû savoir au regard des circonstances, que ce secret avait été obtenu, directement ou indirectement, d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite (art. L 151-6).

Le dispositif, repris de l’article 4, 4 de la directive, est de portée très générale. Il nous paraît imprécis. Qui sera considéré comme l’auteur d’une atteinte au secret ? Seulement la « personne » qui ne pouvait ignorer qu’il existait une telle atteinte ou aussi celle qui l’ignorait mais qui a obtenu, utilisé ou divulgué le secret, après l’avoir obtenu d’une personne qui connaissait le caractère illicite de son obtention ? L’ambiguïté est renforcée par l’article L 152-5 nouveau du Code de commerce, qui prévoit un aménagement des sanctions au profit de la personne qui ne savait pas (ou ne pouvait pas savoir) que le secret des affaires a été obtenu de manière illicite (n° 22). Certains auteurs ont estimé que ce dernier texte introduisait un cas de responsabilité de plein droit, au mépris des « principes inhérents à l'identité constitutionnelle de la France » dégagés par le Conseil constitutionnel (X. Marchand et A. Delagrange, Les innovations malheureuses de la loi sur le secret des affaires : la responsabilité de plein droit : www.lemondedudroit.fr).

La protection du secret comportera des exceptions

14. Obtention, utilisation ou divulgation de l’information prévue légalement. Le secret des affaires ne sera pas opposable lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret sera requise ou autorisée par le droit de l’Union européenne, les traités ou accords internationaux en vigueur ou le droit national, notamment dans l’exercice des pouvoirs d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités juridictionnelles ou administratives (C. com. art. L 151-7).

Par exemple, le règlement européen 1206/2001 du 28 mai 2001 ainsi que la Convention du 18 mars 1970 imposent une certaine coopération entre les juridiction des Etats membres de l’Union européenne en ce qui concerne l'obtention des preuves en matière civile ou commerciale.

15. Instance relative au secret des affaires. La loi précise les cas dans lesquels le secret des affaires ne sera pas opposable lors d’une instance relative à ce secret.

Tel sera le cas lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation de l’information protégée sera intervenue (C. com. art. L 151-8) :- pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, et à la liberté d’information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
- pour révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte défini à l’article 6 de la loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 (Sapin II) ;
- pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national.

Le secret des affaires sera inopposable au lanceur d’alerte

16. La loi réserve aussi les droits des salariés et de leurs représentants. Le secret des affaires ne leur sera pas opposable lorsqu’ils auront obtenu l’information protégée dans le cadre de leur droit d’être informés ou consultés. Il en sera de même lorsque des salariés auront divulgué une information protégée à leurs représentants dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice (C. com. art. L 151-9).

L’article L 151-9 précise en outre que l’information ainsi obtenue ou divulguée demeurera protégée par le secret des affaires à l’égard des personnes autres que les salariés ou leurs représentants qui en auront eu connaissance.

Actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret

Principes communs

17. Toute atteinte au secret des affaires telle qu’exposée nos 10 s. engagera la responsabilité civile de son auteur (C. com. art. L 152-1). Ce rappel du principe de responsabilité, juridiquement inutile du fait de l'application du droit commun de la responsabilité, contribue à la clarté de la loi (Rapport Sén. n° 419 relatif à la loi 2018-670).

18. Les actions relatives à une atteinte au secret des affaires se prescriront par cinq ans à compter des faits qui en seront la cause (C. com. art. L 152-2). Ce délai est identique à celui applicable à l’action en contrefaçon fondée sur un brevet, un dessin ou un modèle (CPI art. L 521-3 et L 615-8). Il est en revanche dérogé au droit commun de la responsabilité civile selon lequel le délai court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer (C. civ. art. 2224).

Le juge pourra prononcer des mesures préventives

19. Dans le cadre d’une action relative à la prévention ou la cessation d’une atteinte à un secret des affaires, le juge pourra prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser l’atteinte à un secret des affaires, notamment (C. com. art. L 152-3, I) :
- interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation du secret ;
- interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires ou l’importation, l’exportation ou le stockage de tels produits à ces fins ;
- ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires concerné ou dont il peut être déduit ou, selon le cas, ordonner leur remise totale ou partielle au demandeur.

Les produits résultant de manière significative de l’atteinte au secret des affaires pourront être rappelés des circuits commerciaux, afin d’être modifiés, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée (art. L 152-3, II).

Toutes ces mesures seront ordonnées aux frais de l’auteur de l’atteinte, sauf circonstances exceptionnelles (art. précité, IV-al. 1).

20. L’auteur de l’atteinte pourra demander qu’il soit mis fin à ces mesures lorsque l’information concernée ne pourra plus être qualifiée de secret des affaires pour des raisons qui ne dépendent pas, directement ou indirectement, de lui (art. L 151-3, IV-al. 2). Autrement dit, l’auteur de l’atteinte ne pourra pas invoquer le caractère public d’une information qu’il a lui-même illicitement divulguée.

21. Pour prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge pourra aussi, sur requête ou en référé, ordonner des mesures provisoires et conservatoires dont les modalités seront déterminées par décret (art. L 152-4). Selon les débats parlementaires relatifs à la loi nouvelle, pourront ainsi être mises en place des mesures probatoires spécifiques à la protection du secret des affaires, par analogie avec la mesure de saisie-contrefaçon en droit de la propriété industrielle (Rapport Sén. n° 419 relatif à la loi 2018-670).

Une indemnité pourra être substituée aux mesures préventives

22. L’auteur de l’atteinte pourra demander au juge d’ordonner, à la place des mesures précitées, le versement d’une indemnité à la victime mais seulement si les conditions suivantes sont réunies (C. com. art. L 152-5) :
- au moment de l’utilisation ou de la divulgation du secret des affaires, l’auteur de l’atteinte ne savait pas, ni ne pouvait savoir au regard des circonstances, que le secret des affaires avait été obtenu d’une autre personne qui l’utilisait ou le divulguait de façon illicite ;
- l’exécution des mesures causerait à cet auteur un dommage disproportionné ;
- le versement d’une indemnité à la partie lésée paraît raisonnablement satisfaisant.

23. Lorsque l’indemnité sera substituée aux interdictions exposées n° 19, son montant ne pourra pas être supérieur à celui des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires pour la période pendant laquelle l’utilisation du secret des affaires aurait pu être interdite (art. L 152-5, al. 5).

Cette indemnité pourra se substituer partiellement aux dommages-intérêts éventuellement dus à la victime (n° 24).

Indemnisation de la victime

24. La loi fixe les modalités d’évaluation par le juge de l’indemnisation d’une atteinte au secret des affaires. Pour fixer les dommages et intérêts dus en réparation du préjudice effectivement subi, le juge devra prendre en considération, de manière distincte (C. com. art. L 152-6) :
- les conséquences économiques négatives de l’atteinte au secret des affaires, dont le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, y compris la perte de chance ;
- le préjudice moral causé à la partie lésée ;
- les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au secret des affaires, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte.

Selon les débats parlementaires, la référence au « préjudice effectivement subi » tend à écarter une éventuelle pratique de « dommages-intérêts punitifs » d’un montant supérieur à celui du préjudice, telle qu’elle a été développée aux Etats-Unis (Rapport Sén. n° 419 relatif à la loi 2018-670). La précision paraît néanmoins inutile, compte tenu des principes régissant la responsabilité civile en France (exigence d’un préjudice actuel et certain ; réparation intégrale du préjudice sans bénéfice pour la partie qui a subi le préjudice).

25. Le juge pourra, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui tiendra notamment compte des droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires en question (art. L 152-6, al. 5). Cette somme ne sera pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

La décision de condamnation pourra être publiée

26. Le juge pourra ordonner, aux frais de l’auteur de l’atteinte, la publicité de la décision concernant ce dernier ou d’un extrait de celle-ci (par voie d’affichage, de presse ou en ligne), en veillant à protéger le secret  des affaires (C. com. art. L 152-7).

Amende civile pour les procédures « bâillon »

27. Toute personne physique ou morale qui agira de manière dilatoire ou abusive sur le fondement du nouveau régime pourra être condamnée au paiement d’une amende civile ; cette personne pourra en outre être condamnée à verser des dommages et intérêts à la victime de la procédure (C. com. art. L 152-8).

Cette amende, issue d’un texte spécifique aux procédures relatives à une atteinte au secret des affaires, déroge à notre avis à celle prévue par l’article 32-1 du Code de procédure civile (10 000 € au plus) en cas de procédure dilatoire ou abusive. Les deux amendes ne devraient pas pouvoir être cumulées.

En revanche, il restera possible de condamner celui qui a engagé la procédure à payer les frais irrépétibles d’instance en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

28. Le montant de cette amende ne pourra pas être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts ; en l’absence d’une telle demande de la part de la victime, l’amende ne pourra pas excéder 60 000 € (art. précité).

Préservation du secret des affaires dans le cadre d’une instance judiciaire

29. Aux termes de la directive 2016/943, la perspective qu'un secret des affaires perde son caractère confidentiel pendant une procédure judiciaire décourage souvent les détenteurs légitimes de secrets d'affaires d'engager des poursuites ; des règles procédurales dérogatoires doivent être établies afin de préserver la confidentialité des informations protégées. Ces règles concernent le traitement des pièces communiquées en cours d’instance et l’obligation de confidentialité pesant sur les différents intervenants.

Des règles procédurales dérogatoires pour préserver la confidentialité

30. Les règles nationales exposées ci-dessous sont limitées aux instances devant les juridictions judiciaires et commerciales.  Elles ne visent donc pas les instances engagées devant le juge pénal.

Elles n’ont pas non plus vocation à s’appliquer aux procédures devant certaines autorités, telle l’Autorité de la concurrence. Des dispositions particulières prévoient des règles similaires à celles introduites par la loi nouvelle (par exemple, C. com. art. L 463-4 et L 463-6).

Des aménagements ponctuels sont apportés au Code de justice administrative faisant notamment obligation au juge administratif d’adapter les exigences procédurales de la contradiction, de la motivation et de la publicité des décisions aux nécessités de la protection du secret des affaires (C. just. adm. art. L 611-1 modifié et L 741-4 nouveau).

Pouvoirs du juge à l’égard d’une pièce pouvant porter atteinte au secret des affaires

31. La loi vise l’hypothèse dans laquelle, à l’occasion d’une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d’instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l’occasion d’une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires.

Le juge pourra, d’office ou à la demande d’une partie ou d’un tiers, si la protection de ce secret ne peut pas être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense (C. com. art. L 153-1) : - prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer l'une des mesures de protection ci-après ;- décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ;- décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;
- adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Le respect du secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à une mesure d’instruction sollicitée avant un procès (CPC art. 145) dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les sollicite (Cass. 2e civ. 8-2-2006 n° 05-14.198 FS-PBR : Bull. civ. II n° 44 ; Cass. soc. 19-12-2012 n° 10-20.526 FS-PB : RJS 3/13 n° 191). La mesure ordonnée doit être proportionnée au but poursuivi et aux intérêts antinomiques en présence (Cass. 1e civ. 22-6-2017 n° 15-27.845 FS-PB : BRDA 15-16/17 inf. 21).

Un dispositif similaire à celui du nouvel article L 153-1 du Code de commerce a été introduit pour les instances en réparation d’une pratique anticoncurrentielle (C. com. art. L 483-2 issu ord. 2017-303 du 9-3-2017).

Les parties au procès seront tenues à une obligation de confidentialité

32. Cette obligation est définie de manière très large : toute personne ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée par le juge comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires sera tenue à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation des informations qu’elle contient (C. com. art. L 153-2, al. 1).

Cette obligation perdurera à l’issue de la procédure. Elle ne prendra fin que si l’existence d’un secret des affaires est écartée par une décision de justice devenue définitive ou si l’information en cause a entretemps cessé de constituer un secret des affaires ou est devenue aisément accessible (art. précité, al. 5).

A noter : le secret des affaires avant la loi

Jusqu’alors, la notion de secret des affaires n’était pas définie par le droit français et sa protection faisait l’objet de dispositions éparses (par exemple, CRPA art. L 311-6 relatif au droit de communication des documents administratifs ; CPI art. L 621-1 et C. trav. art. L 1227-1 sanctionnant dans les mêmes termes la révélation d’un secret de fabrication par un directeur ou un salarié ; C. com. art. L 430-10 et L 463-4 relatifs aux pouvoirs d’investigation de l’Autorité de la concurrence et du ministère de l’économie ; LPF art. L 283 D interdisant à l’administration fiscale française de communiquer aux administrations des autres Etats membres de l’UE des renseignements qui révèleraient un secret commercial, industriel ou professionnel).

Cette protection relevait donc essentiellement des règles de droit commun de la responsabilité civile délictuelle (notamment pour concurrence déloyale ; Mémento Concurrence-Consommation nos6720 s.) ou contractuelle s’il existe une clause de confidentialité.

Une appropriation frauduleuse peut aussi tomber sous le coup d’une qualification pénale (vol, abus de confiance, escroquerie… ; Cass. crim. 22-3-2017 n° 15-85.929 F-PB : BRDA 12/17 n° 25 ; Cass. crim. 28-6-2017 n° 16-81.113 FS-PB : RJDA 12/17 n° 863).

Pour en savoir plus voir le Bulletin Rapide droit des affaires

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