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Comment articuler le nouveau droit des contrats avec le droit des sociétés ?

Les règles générales issues de l’ordonnance réformant le droit des contrats s’appliqueront au contrat de société sous réserve des règles particulières du droit des sociétés. Jusqu’où le droit commun issu du Code civil s’appliquera-t-il aux sociétés ? Nous avons tenté d’établir une grille d’interprétation.


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1. L'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016 (voir La Quotidienne du 12 février 2016), contient de nombreuses dispositions qui pourraient être déclarées applicables en droit des sociétés. Certes, peu de mesures mises en place sont impératives. Mais, les dispositions supplétives s'appliqueront, à l'insu des associés et des dirigeants, s'il n'existe pas de convention contraire, dans les statuts notamment.

Il est donc important de déterminer quelles règles sont susceptibles d'infiltrer le droit des sociétés. A cette fin, nous avons tenté de définir une méthode d'interprétation.

2. La clef de répartition entre le champ d’application du droit des sociétés et celui du nouveau droit des contrats issu de l’ordonnance du 10 février 2016 repose sur le nouvel article 1105 du Code civil aux termes duquel :

« Les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent sous-titre [« Le contrat »].

« Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux.

« Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières. »

Ce nouvel article a le même objectif que l’actuel article 1107 du Code civil, mais sa rédaction est différente, notamment sur deux points :

- La seconde phrase de l’alinéa 2 de l’article 1107, selon laquelle « les règles particulières aux transactions commerciales sont établies par les lois relatives au commerce », n’est pas reprise par l'article 1105. A notre avis, cette suppression est sans portée. En effet, cette phrase figurait déjà dans le Code civil originel et se justifiait à une époque où seules les lois relatives au commerce constituaient un droit particulier. Depuis, d’innombrables réglementations dérogent au Code civil (Code de la consommation, Code de l’environnement, etc.) et l’on comprend que le législateur n’ait pas voulu toutes les citer.

- Le dernier alinéa est nouveau. C’est précisément de la portée qui lui sera donnée que dépendra l’application combinée du Code civil et du droit des sociétés.

3. Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 précise que le dernier alinéa de l’article 1105 « introduit une nouveauté importante et attendue des praticiens, puisqu’il rappelle que les règles générales s’appliquent sous réserve des règles spéciales. Ainsi, les règles générales posées par l’ordonnance seront notamment écartées lorsqu’il sera impossible de les appliquer simultanément avec certaines règles prévues par le Code civil pour régir les contrats spéciaux, ou celles résultant d’autres codes tels que le Code de commerce ou le Code de la consommation ».

4. Il convient à notre avis de distinguer trois situations :
- Le droit des sociétés est muet sur une question qui fait l’objet de dispositions dans le Code civil : ce sont alors ces dernières qui s’appliquent.
- Le droit des sociétés a organisé un corps de règles sur un sujet qu’il traite de manière exhaustive : il déroge alors au Code civil.
- Le droit des sociétés traite partiellement un sujet, par exemple en ne visant que certaines formes sociales ou en étant muet sur certains aspects qui, eux, sont abordés par le Code civil. C’est ce dernier cas qui est le plus délicat à apprécier.

5. Pour trancher le cas où le droit des sociétés traite partiellement le sujet, deux positions peuvent être soutenues :
- soit l’on considère, comme semble le dire le rapport au Président de la République, que le droit commun des contrats a vocation à s’appliquer partout où le droit des sociétés a laissé un vide ;
- soit l’on considère que le droit commun n’a pas vocation à s’appliquer là où il existe une réglementation en droit des sociétés, le silence du législateur sur certains points devant être interprété comme une volonté délibérée de ne pas imposer de règles et de laisser, le cas échéant, place à la liberté contractuelle.

6. Prenons l’exemple des conventions réglementées dans les sociétés commerciales, déjà évoqué dans nos colonnes (A. Charvériat, Gestion des conflits d’intérêts, le paradoxe des conventions réputées libres : BRDA 9/16 inf. 20) :

- Le Code de commerce ne prévoit aucune règle sur les conventions conclues entre le gérant d’une société en nom collectif et celle-ci. Doit-on en conclure que, si le législateur n’a pas prévu de procédure spécifique pour ces sociétés, c’est parce qu’il a jugé inutile d’organiser le contrôle de ces conventions, de sorte qu’il faut écarter les nouvelles dispositions du Code civil sur les conflits d’intérêts en cas de représentation des personnes morales par l’intermédiaire de leur représentant légal (C. civ. art. 1161) ? Faut-il au contraire penser que ce vide est désormais « rempli » par le droit commun des contrats ? A notre avis, s’agissant d’une forme sociale dont le législateur ne s’est pas emparé, le droit commun aurait vocation à s’appliquer.

- Pour les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, le législateur a prévu une réglementation, mais il a écarté du champ d’application du contrôle mis en place les conventions courantes et conclues à des conditions normales. Doit-on considérer que le législateur ayant écarté certaines conventions qu’il a jugées « bénignes », celles-ci sont affranchies de tout contrôle, fût-ce en application du droit commun ? Ou doit-on penser que, délibérément écartées du champ du contrôle organisé par le Code de commerce, ces conventions retombent sous l’emprise du droit commun ? Dans ce cas, à notre avis, la première alternative devrait pouvoir être soutenue car le droit commun n’a pas vocation à combler un vide volontairement créé par le législateur lorsqu’il s’est emparé de la question des conflits d’intérêts dans ces sociétés.

7. On le voit, la réponse n’est pas simple et elle est soumise à l’aléa de la jurisprudence, en espérant que les tribunaux n’appliqueront pas systématiquement le droit commun des contrats au détriment de la sécurité juridique. En attendant, les praticiens ont intérêt à évacuer en amont les risques d’une invasion du droit des sociétés par le droit commun des contrats.

Pour en savoir plus : voir notre ouvrage Réforme du droit des contrats



© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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