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Convention multilatérale : quelle approche pour la France ?

La convention fiscale multilatérale issue des travaux de l’OCDE a d’ores et déjà été signée par 70 juridictions. Elle aura pour effet de modifier directement certaines des conventions fiscales bilatérales conclues par la France. Explications de Renaud Jouffroy et Guillaume Glon, avocats associés PwC Société d’Avocats.


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Née du projet BEPS, la convention multilatérale a été signée à Paris le 7 juin dernier (voir La Quotidienne du 24 mai 2017). Elle va modifier une grande partie des conventions fiscales conclues par la France. A l’issue de la conférence Fiscalis 2017 qu’ils ont organisée le 23 juin dernier sur le thème de la convention multilatérale, Renaud Jouffroy et Guillaume Glon, avocats associés au sein de PwC Société d’Avocats, rappellent les fondamentaux de la convention et font le point sur la position retenue par la France.

Quelle est la genèse de la convention multilatérale ?

Renaud Jouffroy : La convention multilatérale ou instrument multilatéral (IM) est l’un des aboutissements du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) mené au niveau de l’OCDE. Les travaux effectués dans le cadre de ce projet ont principalement vocation à se concrétiser par l’adoption de mesures nationales, mais ils prévoient également, dans le cadre de l’action 15, la modification des conventions fiscales internationales. L’OCDE est arrivée dès 2014 à la conclusion qu’une convention multilatérale serait le meilleur moyen d’intégrer de façon rapide et homogène les actions de BEPS dans l’ordre international. Un groupe ad hoc s’est mis au travail et les travaux ont débouché rapidement, puisque l’IM a été publié le 24 novembre 2016. La cérémonie de signature s’est déroulée le 7 juin 2017. L’IM a pour l’instant été signé par 70 juridictions.

Comment se présente-telle ?

R.J. : l’IM est un texte de 50 pages et 39 articles, qui se divise 7 parties :

- Partie I : Champ d’application et interprétation des termes (art. 1-2)

- Partie II : Dispositifs hybrides (art. 3-5)

- Partie III : Utilisation abusive des conventions fiscales (art. 12-15)

- Partie IV : Mesures visant à évier le statut d’établissement stable (art. 16-17)

- Partie V : procédure d’arbitrage (art. 18-26)

- Partie VII : Dispositions finales (art. 27-39)

L’OCDE a publié sur son site un certain nombre de documents explicatifs, dont une notice explicative de 95 pages.

Pour bien comprendre la logique de l’IM, il faut savoir que cet instrument comporte différentes catégories de mesures : certaines correspondent au standard minimum de BEPS ; d’autres correspondent à une logique de renforcement des standards existants ou encore à des recommandations ou bonnes pratiques. Lorsqu’une disposition de l’IM reflète un standard minimum, cette disposition s’impose aux signataires de l’IM. Certains standards minimums peuvent cependant être mis en œuvre de différentes manières : l’IM comporte alors un système d’options permettant au signataire de choisir l’approche qui lui convient le mieux. D’autres options permettent d’aller plus loin que l’application pure et simple des standards de BEPS. Ces options sont alors généralement susceptibles de faire l’objet de réserves, ce qui signifie que les Etats signataires peuvent choisir de ne pas les appliquer.

Quand la convention s'applique-t-elle ?

R.J. : L’IM a vocation à se superposer aux conventions fiscales bilatérales et à en modifier certaines dispositions.

Préalablement à la signature de l’IM, chaque Etat signataire aura notifié à l’OCDE la liste provisoire des conventions fiscales bilatérales dont il accepte la modification : ce sont les conventions couvertes.

Pour chacune des conventions couvertes, l’Etat concerné doit en outre fournir la liste des mesures de l’IM qu’il entend retenir, avec ses options et ses réserves.

L’IM s’appliquera si les deux Etats parties à une même convention bilatérale ont notifié cette convention à l’OCDE et ont opté pour l’application des mêmes mesures, dans les mêmes termes, c’est-à-dire en retenant les mêmes options. Ces mesures se substituent alors à celles de la convention couverte. Le fait pour une partie de formuler une réserve à l’égard d’une mesure de l’IM bloque généralement l’application de cette mesure. Ce sont les stipulations de la convention bilatérale qui demeurent alors applicables.

La convention a-t-elle déjà pris effet ?

R.J. : Non, pas encore. La convention doit d’abord entrer en vigueur. Pour cela elle doit être ratifiée par au moins cinq Etats signataires. Elle entrera alors en vigueur, pour ces cinq Etats, trois mois calendaires après la dernière des cinq ratifications. Pour chaque signataire ratifiant par la suite, elle entrera en vigueur le premier jour du mois suivant l’expiration d’une période de 3 mois calendaires à compter de la date de dépôt des instruments de ratification par cet Etat.

Lorsque deux Etats ont ratifié l’IM et que tous deux ont notifié à l’OCDE la convention bilatérale dont ils sont signataires, les modifications de cette convention pour les deux Etats prennent effet dans les délais suivants :

- pour les impôts prélevés à la source : le 1er janvier de l’année suivant la dernière des dates d’entrée en vigueur ;

- pour les autres impôts : pour les périodes d’imposition débutant à l’issue d’un délai de 6 mois à compter de la dernière des dates d’entrée en vigueur.

Que faut-il retenir de la position notifiée par la France ?

Guillaume Glon : La France a notifié 88 conventions à l’OCDE. Elle entend donc conférer à l’IM un champ d’application aussi large que possible.

Faut-il anticiper des modifications de nos conventions en ce qui concerne les dispositifs hybrides ?

G.G. : Les articles 3, 4 et 5 de l’IM traitent des dispositifs hybrides c’est-à-dire des traitements fiscaux asymétriques tels que doubles déductions, déductions assortie d’une non-imposition, etc … . Ces mesures de l’IM ont essentiellement pour objet d’éviter que les dispositions des conventions fiscales bilatérales ne fassent obstacle aux mesures de droit interne destinées à lutter contre ces situations. Ces trois articles ont fait l’objet de réserves de la part de la France qui juge satisfaisant en la matière son système d’élimination des doubles impositions (taxation assortie d’un crédit d’impôt).

Que faut-il retenir en matière de dispositifs anti-abus ?

G.G. : L’article 6 de l’IM correspond à un standard minimum qui implique la modification du préambule des conventions afin de préciser l’intention des parties et d’indiquer que ces dernières ont entendu éliminer la double imposition « sans créer de possibilités de non-imposition ou d’imposition réduite via des pratiques d’évasion ou de fraude fiscale/évitement ». S’agissant d’un standard minimum, il est adopté par la France.

L’article 7 de l’IM implique la mise en œuvre de mécanismes anti-abus. En la matière, la France a retenu le critère des objets principaux (Principal Purpose Test ou PPT) qui est la règle par défaut pour satisfaire au standard minimum. Il en résulte qu’un avantage au titre des conventions fiscales couvertes ne doit pas être accordé « s’il est raisonnable de conclure (…) que l’octroi de cet avantage était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction ayant permis, directement ou indirectement de l’obtenir ». Cette nouvelle règle anti-abus générale s’appliquera à la place de toutes les dispositions de la convention couverte qui mettent déjà en œuvre le critère des objets principaux, que ces règles soient générales ou spécifiques (par exemple clause contenue dans un article relatif aux dividendes). En revanche, elle ne remplacera pas les dispositifs spécifiques non fondés sur l’objet de la transaction, qui restent en vigueur (ex. clauses de LOB dans la convention France-Etats-Unis ou dans la convention France-Japon). Une mesure de sauvegarde permet en principe au contribuable de démontrer que l’octroi de l’avantage est conforme à l’objet et au but des dispositions de la convention fiscale couverte mais l’application concrète de cette mesure de sauvegarde soulève encore beaucoup d’incertitudes.

L’IM modifie-t-il la définition de l’établissement stable ?

G.G. : Les articles 12 et 13 de l’IM traitent des établissements stables. Ne faisant pas partie des standards minimum, les Etats ont le choix d’insérer ou non ces nouvelles règles dans leurs conventions. En l’occurrence, la France a retenu l’article 12 qui modifie la définition de l’établissement stable en qualifiant de tel une personne agissant « pour le compte d’une entreprise et ce faisant conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise ». A priori, cette nouvelle définition signe la disparition de certaines structures de commissionnaires mais, plus largement, de structures intra-groupes faisant intervenir des intermédiaires ou des prestataires de service à la vente. Cela étant dit, pour l’instant seule une minorité d’Etats (28) ont adopté cette nouvelle définition. Sa portée pratique devrait donc être relativement limitée. En ce qui concerne l’article 13 qui traite des activités préparatoires ou auxiliaires, la France retient une option qui ne modifie pas les règles actuelles et écarte de la définition d’établissement stable certaines activités expressément listées (installations de stockage ou d’exposition, locaux utilisés pour recueillir des informations, …) sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’elles présentent un caractère accessoire ou préparatoire. Par contre la France a souhaité appliquer certaines mesures destinées à lutter contre les pratiques visant à fragmenter des activités entre plusieurs entités pour éviter la qualification d’établissement stables.

D’autres mesures sont-elles à retenir ?

G.G. : Un important volet de l’IM (articles 16 à 26) a trait à la procédure amiable et à l’arbitrage avec l’objectif d’accroitre l’efficacité des mécanismes conventionnels de règlement des différends et de mettre en place une procédure d’arbitrage large, contraignante et obligatoire pour les Etats. La France a choisi d’appliquer la plupart de ces dispositions.

Propos recueillis par Marie-Hélène PINARD-FABRO, Avocat directeur, PwC Société d’avocats



Renaud Jouffroy, Avocat associé, PwC Société d’Avocats



Guillaume Glon, Avocat associé, PwC Société d’Avocats

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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