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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Fiscal/ Plus-values des particuliers sur titres de sociétés

Est-il conforme à la Constitution d'exclure certaines plus-values en report du bénéfice de l'abattement pour durée de détention ?

Une plus-value placée en report avant 2013, dont le report expire après cette date, est exclue par la loi du bénéfice de l'abattement pour durée de détention. Dans une décision du 10-2-2016, le Conseil d'Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité de ces dispositions à la Constitution. Florent Ruault nous livre son analyse de la décision.


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Lorsqu'elle a commenté le nouveau régime d'imposition des plus-values mobilières (désormais soumises au barème progressif de l'impôt sur le revenu sur une assiette réduite d'un abattement pour durée de détention pouvant aller jusqu'à 85 %), l'administration fiscale a entendu priver certains contribuables de l'abattement. En particulier, selon son interprétation, l'abattement ne s'appliquerait pas aux plus-values en report qui deviennent imposables à compter du 1er janvier 2013 si leur origine est antérieure à cette même date, au motif qu'elles ont été constatées sans abattement.

Rappelons que les plus-values en report sont constatées à l'occasion de certaines opérations par lesquelles des titres détenus dans une société A sont "échangés" contre des titres d'une société B (en général, les titres de la société A sont apportés à la société B). Aujourd'hui, la loi soumet la majorité des échanges de titres à un régime différent du report, celui du sursis d'imposition (dans lequel aucune plus-value n'est constatée au moment de l'échange), mais prévoit l'application du report pour les apports qu'un contribuable consent à une société dont il a le contrôle (exception prévue par l'article 150-0 B ter du CGI). Par ailleurs, la loi a prévu différents régimes de report dans le passé, et ces régimes restent applicables jusqu'à l'expiration du report (qui intervient en principe à la cession des titres reçus en échange). Rappelons d'ailleurs que le régime du sursis n'est devenu la règle générale en cas d'échange qu'à compter du 1er janvier 2000, les échanges réalisés avant cette date relevant d'un régime de report.

La doctrine administrative se borne à expliciter la loi...

L'administration a ainsi commenté au BOFiP (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-10 n° 370, 2 juillet 2015) la taxation des plus-values mises en report avant le 1er janvier 2000 : l'assiette de la plus-value (ou moins-value) placée en report d'imposition est déterminée à la date de l'opération concernée par ce mécanisme de report, suivant les règles en vigueur à cette date ; le report a pour effet de décaler l’imposition effective à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux de la plus-value, ce qui conduit à appliquer les règles de taxation en vigueur au moment de l’expiration du report (avec une imposition au barème progressif de l'IR pour les plus-values dont le report d'imposition expire à compter du 1er janvier 2013).

Elle a également indiqué que « s'agissant d'une règle d'assiette, les abattements prévus au 1 de l'article 150-0 D du CGI et à l'article 150-0 D ter du CGI ne s'appliquent pas » (BOI précité n° 370 et BOI-RPPM-PVBMI-30-10-30-20 n° 150 et 480, 2 juillet 2015).

Plus largement (pas seulement pour les plus-values mises en report avant 2000), le BOFiP déclare l'abattement inapplicable « aux gains nets de cession, d'échange ou d'apport réalisés avant le 1er janvier 2013 et placés en report d'imposition dans les conditions prévues au II de l'article 92 B du CGI, au I ter de l'article 160 du CGI et à l'article 150 A bis du CGI dans leur rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2000, à l'article 150-0 C du CGI dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006, à l'article 150-0 D bis du CGI dans sa rédaction en vigueur du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 ainsi qu'à l'article 150-0 B ter du CGI » (BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10 n° 130, 20 avril 2015).

Dans un premier temps, l'interprétation de l'administration n'a pas été remise en cause par le Conseil d'Etat qui, le 12 novembre 2015 (décision n° 390265 : RJF 2/16 n° 142), a décidé que la doctrine exprimée au BOFiP n'est pas contraire à la loi, et qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur ce sujet.

... mais cette loi est-elle conforme à la Constitution ?

Mais les contentieux se sont poursuivis, et, le 10 février 2016 (décision n° 394596), le Conseil d'Etat a finalement reconnu le caractère sérieux de la question posée par des requérants qui faisaient valoir que la loi ne tient pas compte du caractère particulier des plus-values en report et qu'ils pouvaient légitimement attendre que ces plus-values en report soient imposées dans les mêmes conditions que des plus-values réalisées à la date de l'expiration du report.

Le Conseil d'Etat a donc transmis une QPC au Conseil constitutionnel, qui rendra sa décision dans un délai de trois mois.

Par prudence, les contribuables qui seraient privés de l'abattement à raison de plus-values dont le report a pris fin à compter du 1er janvier 2013 doivent agir pour sauvegarder leurs droits, ce qui suppose :

- pour les contribuables qui n'ont pas appliqué l'abattement pour durée de détention : de former une réclamation pour bénéficier de l'abattement, sans attendre que le Conseil constitutionnel se prononce, dès lors que le Conseil limite l'effet de certaines de ses décisions aux impositions déjà contestées à la date à laquelle il rend sa décision,

- pour les contribuables qui ont appliqué l'abattement pour durée de détention à des plus-values en report : si l'administration leur propose de rectifier leur imposition au motif que l'abattement ne s'applique pas, il faut contester la rectification en évoquant en tant que de besoin la décision du Conseil constitutionnel attendue sur ce sujet ; et si l'administration a déjà notifié la rectification, il faudrait soumettre la question au tribunal administratif avant l'expiration du délai prévu pour saisir le juge de l'impôt d'une contestation.

Il convient de rappeler que les chances de succès existent pour ce contentieux qui s'inscrit dans la suite de la décision n° 2015-515 QPC du 14 janvier 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a ouvert l'abattement pour durée de détention aux compléments de prix relatifs à des cessions antérieures à 2013 (RJF 1/16 n° 70). Dans cette décision récente, le Conseil constitutionnel a en effet décidé que les principes d'égalité devant les charges publiques et devant la loi doivent conduire à appliquer l'abattement aux plus-values à la seule condition que la durée de détention fixée par la loi ait été respectée à la date de la cession, même si l'abattement n'existait pas à la date de cette cession.

L'imposition des compléments de prix est certes un peu différente dès lors en particulier que leur assiette imposable est déterminée au titre de l'année de leur perception, alors que l'assiette des plus-values en report est déterminée au moment de l'événement ayant déclenché la mise en report. Il serait cependant discutable que cela suffise à empêcher l'application de l'abattement. En effet, dans sa décision précitée du 12 novembre 2015, le Conseil d'Etat a décidé que l'abattement ne doit pas s'appliquer au moment de la détermination de la plus-value, mais seulement dans un second temps, au moment où le contribuable détermine les moins-values qu'il souhaite imputer sur sa plus-value imposable. L'abattement s'appliquant seulement au solde de chaque plus-value après déduction des moins-values disponibles, on comprend qu'il s'applique seulement lors de la détermination de l'impôt sur le revenu (au moment de l'expiration du report). Mais il convient de rappeler que cette règle implique aussi que les réclamations ne sont pas toujours judicieuses pour les contribuables ayant réalisé des moins-values, et qu'un calcul précis mérite d'être fait.

Florent Ruault, avocat chez CMS Bureau Francis Lefebvre, traite des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale. En étroite relation avec les avocats du Cabinet intervenant dans ce domaine, il suit et analyse les évolutions du droit fiscal pour formuler des conseils pratiques. Il contribue à la fixation de la doctrine du Cabinet en matière fiscale.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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