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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Social/ Rupture du contrat de travail

Reconnaissance du coemploi dans un groupe : possible mais exceptionnel

La chambre sociale de la Cour de cassation confirme, par trois décisions du 6 juillet 2016, que seule une ingérence « anormale » d’une société d’un groupe dans la gestion économique et sociale d’une autre société de celui-ci peut caractériser une situation de coemploi.

Cass. soc. 6-7-2016 no 14-26.541 FS-PB ; Cass. soc. 6-7-2016 no 14-27.266 FS-PB ; Cass. soc. 6-7-2016 no15-15.481 FS-PB


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Par trois arrêts du même jour, la Cour de cassation se prononce à nouveau sur la notion jurisprudentielle de « coemploi » au sein de groupes de sociétés, dans le cadre de litiges visant à faire déclarer des sociétés mères ou dominantes responsables solidairement des conséquences financières de licenciements économiques faisant suite, soit à des réorganisations, soit à une mise en liquidation judiciaire, d’entreprises ou établissements implantés en France. Alors qu’une partie de la doctrine s’interroge sur l’opportunité d’un abandon de la notion spécifique de coemploi hors lien de subordination juridique, la Haute Juridiction opte pour le statu quo et maintient sa jurisprudence admettant la qualification de coemployeur d’une société mère ou dominante du fait d’une ingérence abusive dans la gestion économique et sociale d’une autre société du groupe.

Mais on voit bien, à la lecture des arrêts du 6 juillet 2016, que cette notion est sous haute surveillance et que la chambre sociale entend la délimiter précisément, via son contrôle de la motivation des décisions des juges du fond, appelés à la plus grande rigueur dans l’analyse des indices permettant de caractériser une situation de coemploi.

La Cour de cassation confirme les critères restrictifs du coemploi

A partir de fin 2013, et spécialement de l’arrêt « Molex » du 2 juillet 2014, la chambre sociale, faisant preuve de pragmatisme au regard de la réalité du fonctionnement des groupes de sociétés, a entendu limiter à des situations exceptionnelles la reconnaissance d’une situation de coemploi au sein d’un groupe (hors constatation d’un lien de subordination juridique qui demeure le critère classique de la notion de coemploi).

Difficile en effet pour les sociétés d’un groupe d’être totalement autonomes dans leur choix d’organisation et de gestion, de ne pas avoir des intérêts communs, de ne pas être guidées par les options stratégiques de la société mère et soumises de ce fait à un contrôle de cette dernière. L’appartenance à un groupe entraîne nécessairement une domination de certaines sociétés sur d'autres, qui leur sont structurellement subordonnées sans qu’elles perdent pour autant leur autonomie juridique. Aussi la Haute Juridiction a-t-elle, dans l’arrêt précité, posé un attendu de principe selon lequel, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un coemployeur à l'égard du personnel employé par une autre que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière (Cass. soc. 2-7-2014 n° 13-15.208 FS-PB). Pour être claire, la  ligne ainsi tracée entre, d’une part, les interventions admissibles parce que relevant de la domination structurelle inhérente au fonctionnement d’un groupe et, d’autre part, l’ingérence abusive du fait qu’elle prive la société employeur de son autonomie, n’en est pas moins difficile à appréhender en pratique.

Les arrêts rendus par la Cour de cassation le 6 juillet 2016, tous trois promis à publication au bulletin des arrêts des chambres civiles et au bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC), en sont d’intéressantes illustrations et méritent à ce titre l’attention.

Pas de coemploi si la domination est uniquement structurelle

L’affaire « Continental » (n° 14-27.266) comportait deux aspects : légitimité ou non du licenciement économique des salariés du site de Clairoix par la filiale française du groupe ; qualité ou non de coemployeur de la société mère de droit allemand.

Sur le premier point la Cour de cassation valide l’appréciation des juges du fond ayant conclu à l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements économiques consécutifs à la fermeture de l’établissement de Clairoix : il n’était justifié ni de difficultés économiques, ni d’une menace pesant sur la compétitivité du secteur d’activité du groupe. Rappelons en effet que, dans le cadre d’un groupe, la cause réelle et sérieuse du licenciement économique s’apprécie au niveau du secteur d’activité du groupe auquel la société appartient (Cass. soc. 10-2-2010 n° 08-41.109 F-D ; Cass. soc. 12-1-2012 n° 09-72.203 F-D). Constat des juges amiénois : la fermeture du site de production de Clairoix et la rupture consécutive de l'ensemble des contrats de travail des salariés s’y trouvant affectés ne répondait qu’au seul souci d’accroître la rentabilité du secteur pneumatique du groupe. Or, selon une jurisprudence constante, ce seul motif de rentabilité ne peut constituer une cause légitime de licenciement économique (notamment Cass. soc. 14-12-2011 n° 10-23.753 FS-D ; Cass. soc. 5-3-2014 n° 12-25.035 FS-D).

L’arrêt d’appel est en revanche censuré pour avoir reconnu la qualité de coemployeur de la société mère de droit allemand et l’avoir condamnée in solidum avec la société Continental France. Cette dernière devra donc assumer seule l’indemnisation des salariés dont le contrat a été rompu sans cause réelle et sérieuse ainsi que le remboursement à Pôle emploi des indemnités d’assurance chômage éventuellement versées aux intéressés.

A l’appui de sa décision et par une motivation très développée, la cour d’appel avait retenu que la société mère de droit allemand exerçait un contrôle étroit et constant sur sa filiale française détenue à 100 %, lui dictait les choix stratégiques et les décisions importantes en matière de gestion économique et sociale en fonction de ses intérêts et de ceux du groupe, de sorte que la filiale, bien que disposant de dirigeants propres, était dépourvue d’autonomie réelle. Etait ainsi notamment relevé le fait que la société mère était à l’origine de la décision de restructuration et de fermeture de l’établissement de Clairoix ayant abouti à la suppression de plus de 1 100 emplois, qu’elle avait assumé sa décision tant devant les salariés de la filiale que les autorités politiques françaises et s’était fortement impliquée dans la procédure de licenciement collectif pour motif économique, notamment pour l’élaboration des différents accords de méthode aux termes desquels elle s’était engagée sur l’exécution par la société Continental France de ses obligations et de la gestion des procédures de reclassement.

La Cour de cassation n’a pas adhéré à ce raisonnement. Après avoir rappelé le principe dégagé dans l’arrêt « Molex », elle précise que ne suffit pas à caractériser une situation de coemploi le fait que la politique du groupe déterminée par la société mère a une incidence sur l’activité économique et sociale de sa filiale, que cette société a pris dans le cadre de cette politique des décisions affectant le devenir de sa filiale, et s’est en outre engagée à garantir l’exécution des obligations de cette dernière liées à la fermeture du site et à la suppression des emplois.

La Haute Juridiction rend une décision de même nature dans l’affaire « Sté Proma SSA » (n° 14-26.541 FS-PB) où la qualité de coemployeur d’une société de droit italien était soulevée à la suite de la mise en liquidation judiciaire d’une filiale française du groupe et du licenciement pour motif économique du directeur d’une usine de cette filiale.

Après rappel, là encore,  du principe issu de l’arrêt « Molex », la Haute Juridiction censure l’arrêt de la cour d’appel qui avait déduit une situation de coemploi d’indices liés au fait que les dirigeants de la filiale provenaient du groupe, agissaient en étroite collaboration avec la société mère, que la politique du groupe déterminée par cette dernière influait notamment sur la stratégie commerciale de la filiale, et que la société mère s’était engagée au cours du redressement à prendre en charge le financement du plan de sauvegarde de l'emploi.

Avec ces deux arrêts la chambre sociale reste dans la ligne de sa jurisprudence. Elle avait en effet déjà exclu qu’une situation de coemploi puisse être déduite d’indices tels que la détention par la société mère de l’entier capital de la filiale (Cass. soc. 5-2-2014 n° 12-29.703 F-D), le fait que la société mère a conservé un pouvoir de direction sur l’un de ses cadres dirigeant placé à la tête de la filiale (Cass. soc. 25-9-2013 n° 12-14.353 FS-D), que les dirigeants de celle-ci proviennent du groupe, que la société mère prend dans le cadre de la politique du groupe des décisions affectant le devenir d’une filiale, qu’elle s’engage à lui fournir les moyens nécessaires au financement des mesures sociales liées à la fermeture d’un site (Cass. soc. 2-7-2014 n° 13-15.208 précité), ou qu’elle renonce à lui apporter son concours financier pour éviter sa mise en liquidation judiciaire, tout en s’impliquant dans les recherches de reclassement au sein du groupe des salariés de la filiale (Cass. soc. 10-12-2015 n° 14-19.316 FS-PB). 

Mais il y a coemploi en cas d’ingérence « anormale »

Limitée aux situations d’ingérence abusive dans la gestion économique et sociale d’une société du groupe, privant celle-ci de ses prérogatives et de sa réelle autonomie, l’existence d’un coemploi est de plus en plus rarement admise. Mais plus rarement ne signifie pas plus jamais.

En témoigne un autre arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2016 rendu dans l’affaire « 3 Suisses » (n° 15-15.481 FS-PB). Etait ici en jeu la qualification de coemployeur de deux sociétés d’un groupe de droit allemand et leur condamnation solidaire à indemniser, au titre d’un licenciement nul, les salariés de la filiale française « 3 Suisses France » licenciés pour motif économique dans le cadre d’une réorganisation du groupe visant à recentrer ses activités sur les ventes par internet, réorganisation s’étant soldée par la fermeture de tous les espaces boutiques ouverts en France par la filiale.

La chambre sociale approuve la décision de la cour d’appel de Douai d’avoir reconnu la qualité de coemployeur des deux sociétés en cause à partir d’une conjonction d’indices tels que notamment :La centralisation et le transfert au sein de la société mère des équipes informatiques, comptables et ressources humaines ; la perte d’autonomie décisionnelle de la filiale en matière de formation, de mobilité et de recrutement ; la prise en charge de tous les problèmes de nature contractuelle, administrative et financière rencontrés par la filiale ; le fait que le contrôle du service comptabilité clients de la maison mère s’exerçait jusqu'aux feuilles de caisse mensuelles que les responsables des boutiques de la filiale française devaient lui transmettre régulièrement ; ou encore la circonstance que le service juridique du groupe international était intervenu pour dénoncer les contrats conclus avec les retoucheuses à l’occasion de la fermeture de ces boutiques et qu’il s’était substitué à la filiale dans le cadre des poursuites pénales contre des salariés soupçonnés de détournement d’argent au préjudice de cette dernière.

On était donc bien ici dans un cas de confusion totale d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion abusive dans la gestion économique et sociale de la filiale, lui ayant fait perdre son autonomie et ses prérogatives d’employeur juridiquement indépendant. 

La responsabilité délictuelle : autre arme contre les ingérences fautives

Faire reconnaître la qualité de coemployeur d'une autre société du groupe, sans passer par la démonstration d'un lien de subordination juridique, demeure donc possible mais uniquement, comme on vient de le voir, dans des situations très exceptionnelles. Toutefois, les salariés licenciés pour motif économique peuvent aussi rechercher la responsabilité civile de cette autre société s'ils sont en mesure d'établir qu'elle a commis une faute ayant contribué à la suppression de leur emploi et donc à leur préjudice.

Cette voie est admise. La chambre sociale de la Cour de cassation reconnaît en effet le droit pour des salariés d'agir en responsabilité délictuelle contre une société qui n'est pas leur employeur (Cass. soc. 28-9-2010 n° 09-41.243 F-D). Elle a, par exemple, approuvé la condamnation sur ce terrain d'une société mère, qui avait pris des décisions ne répondant à aucune utilité pour elle et qui étaient uniquement profitables à l'actionnaire unique, ayant aggravé les difficultés économiques déjà existantes de la filiale et concouru à sa déconfiture et, ce faisant, à la disparition des emplois des salariés concernés (Cass. soc. 8-7-2014 n° 13-15.573 FS-PB et 13-15.845 FS-D).

En l'état actuel de la jurisprudence, l'action en responsabilité délictuelle est donc envisageable pour les salariés qui ne justifieraient pas d'éléments suffisants pour faire admettre la qualification de coemployeur d'une société du groupe autre que celle qui les emploie ou qui, tout simplement, préféreraient agir sur ce terrain.

Mais elle pourrait aussi devenir la règle si la chambre sociale de la Cour de cassation devait un jour abandonner la construction jurisprudentielle du coemploi au sein des groupes de société hors lien de subordination juridique. Elle ne l'a pas fait à l'occasion des arrêts du 6 juillet 2016 malgré les avis en ce sens de l'avocat général référendaire Raphaël Weissmann.

La doctrine soulève également parfois la question de l'opportunité d'un abandon de cette jurisprudence au profit d'une application des règles de la responsabilité civile. Selon certains auteurs cela aurait pour avantage de « couper court aux dérives des applications de la notion de coemployeur » mais présenterait aussi un inconvénient, « pour les salariés cette fois puisqu'ils ne pourront plus prétendre, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à l'indemnisation de licenciements déclarés sans cause réelle et sérieuse » (en ce sens : G. Loiseau, « Groupe de sociétés : le coemploi est mort, vive la responsabilité délictuelle » : JCP S n° 29 du 22 juillet 2014, 1311).

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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