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Conventions internationales : n’est pas forcément résident l’assujetti qui croit l’être !

Le Conseil d’Etat a jugé qu’une personne exonérée d’impôt n’a pas la qualité de résident au sens conventionnel et ne peut revendiquer les avantages de la convention applicable. Eric Lesprit, associé du cabinet Taj, livre son analyse sur cette clarification de la définition de résident correspondant à l’assujetti payeur effectif de l’impôt.


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Par deux arrêts attendus, rendus le 9 novembre 2015, le Conseil d’Etat est venu solder un vieux débat portant sur la définition du résident, dans le cadre des conventions fiscales (CE 9-11-2015 n° 370054 et 371132 : FR 51/15 inf. 7 p. 14).

La question portait en effet sur le point de savoir si ce résident, identifié par les conventions fiscales suivant le modèle de l’OCDE comme « l’assujetti » à l’impôt dans un Etat, pouvait être considéré comme tel à la condition d’avoir effectivement payé l’impôt ou bien si, comme plusieurs jugements et arrêts l’avaient considéré jusqu’à présent, la seule condition d’entrer dans le champ de l’impôt était suffisante, quand bien même une exonération avait conduit à ne pas payer d’impôt dans l’Etat de résidence revendiqué.

Est résident d’un Etat celui qui en paie l’impôt

Le Conseil d’Etat a tranché, à l’occasion de ces deux arrêts portant sur la convention franco-allemande du 21 juillet 1959 pour l’un et sur la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995 pour l’autre. Les deux cas d’espèces s’intéressaient à la situation d’organismes de nature particulière : un organisme de retraite allemand exonéré d’impôt sur les sociétés en Allemagne et des fonds de pension espagnols également exonérés d’impôt sur les sociétés en Espagne.

Dans ces deux affaires, le Conseil d’Etat a considéré, en s’appuyant sans doute sur la méthode d’interprétation littérale des conventions, que ces organismes, n’ayant pas payé d’impôt dans les Etats dans lesquels ils sont établis, ne peuvent prétendre à l’application des dispositions des conventions dont ils entendaient se prévaloir.

A défaut de disposer déjà des conclusions du rapporteur public, Madame Nicolazo de Barmon, une lecture à chaud, concentrée sur l’arrêt portant sur l’organisme allemand, permet de deviner le raisonnement du Conseil d’Etat. Elle permet également d’en tirer les conséquences pour les opérateurs économiques.

Le Conseil d’Etat s’appuie sur le but et l’objectif des conventions

La jurisprudence conduisait jusque-là à considérer, au contraire de l’argumentation traditionnellement mise en avant par l’administration fiscale, que nul n’était besoin de payer effectivement l’impôt dans un Etat pour en être résident. Les juges considéraient que, dès lors que ce résident entrait dans le champ de l’impôt, peu importait qu’il ait effectivement payé l’impôt ou qu’il en ait été exonéré puisqu’il était bien assujetti.

Les dispositions des conventions, issues de la rédaction de l’article 4 de la convention modèle de l’OCDE, ne sont guère explicites sur ce point précis. Les commentaires de l’OCDE sur le premier paragraphe de cet article ne sont pas plus éclairants. Ils indiquent (il est intéressant de noter qu’ils retiennent précisément l’exemple des organismes de retraite) que de nombreux Etats considèrent comme résident une personne assujettie à l’obligation fiscale illimitée, même si l’Etat ne lui applique pas effectivement l’impôt. Mais ils indiquent également que dans certains Etats, cette même personne n’est pas considérée comme assujettie si elle est exonérée d’impôt en vertu de la législation fiscale nationale (paragraphes 8.6 et 8.7 des commentaires sous l’article 4 de la convention modèle de l’OCDE). La réponse ne peut donc être trouvée dans ces commentaires de l’OCDE.

Aussi, au cas d’espèce, les juges de première instance comme ceux de la Cour administrative d’appel, s’en étaient-ils tenus à une lecture stricte des dispositions de la convention, conforme à la jurisprudence habituelle. Dans son arrêt du 4 avril 2013, la Cour administrative d’appel de Versailles articulait son raisonnement en deux temps, retenant d’abord que la loi allemande considère les organismes en cause comme des assujettis à l’impôt de manière illimitée (ce qu’avait attesté l’administration fiscale allemande), observant ensuite qu’aucune disposition de la convention subordonne l’assujettissement au fait de ne pas en être exonéré (n° 11VE00141, 3e ch., min. c/ Caisse de prévoyance Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk : RJF 11/13 n° 1069).

La Cour avait bien perçu l’objectif d’élimination de la double imposition, revendiqué à l’article 1 de la convention, qui sous-entendait un assujettissement effectif à l’impôt (« la convention a pour but de protéger les résidents (…) contre les doubles impositions… »). L’administration fiscale en faisait d’ailleurs le cœur de sa position. Mais le juge d’appel avait décliné cette argumentation après une lecture attentive de la convention, faute d’avoir trouvé une stipulation expresse la prévoyant. La Cour avait donc considéré que cet objectif général ne lui permettait pas de déroger aux règles clairement énoncées par cette convention, qui renvoient à une appréciation sur le fondement des règles nationales.

De son côté, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à retenir une lecture de l’article 2 de la convention franco-allemande (repris de l’article 4 de la convention modèle de l’OCDE) éclairée par le contexte de la convention elle-même, ainsi que par son objet et son but. Il parvient naturellement ainsi à une conclusion opposée à celle retenue par la Cour de Versailles : une fois exonéré dans un Etat, à raison de son statut ou de son activité, l’intéressé ne peut être regardé comme assujetti à cet impôt au sens de la convention ni, par voie de conséquence, comme résident de cet Etat pour l’application de la convention.

Au demeurant, le Conseil d’Etat semble trouver dans les dispositions mêmes de la convention la confirmation de son approche : l’article 25 b de la convention franco-allemande prévoit que certains organismes peuvent bénéficier d’une partie des stipulations de celle-ci, alors qu’ils ne sont pas assujettis à un impôt visé par la convention (« (…) le 4 de l’article 25 b de la convention précise, s’agissant des organismes de placement collectif en valeurs mobilières, qu’ils peuvent bénéficier de certaines stipulations de celle-ci, alors même qu’ils ne seraient pas assujettis à un impôt visé à l’article 1er de la convention »). Ainsi, la convention prévoirait-elle expressément que ces organismes peuvent bénéficier de certaines de ses dispositions, bien qu’ils ne puissent en principe se prévaloir de cette convention puisqu’ils ne sont pas assujettis à l’impôt. Toutefois, dès lors que la question porte précisément sur la qualification d’assujetti, cette précision ne semble en réalité pas utile.

Une lecture littérale des conventions combinée à leur but et à leur objectif

Une aide à la compréhension de l’analyse suivie par le Conseil d’Etat pourrait être trouvée dans les conclusions du rapporteur public, Olivier Guiard, devant le Tribunal administratif de Poitiers, ce dernier ayant suivi lesdites conclusions et ainsi rendu un jugement conforme à l’approche retenue par le Conseil d’Etat (TA Poitiers 5-2-2015 n° 1200893, 1e ch., SARL Indigo Yacht : RJF 5/15 n° 392, concl. O. Guiard : BDCF 5/15 n° 57).

Après avoir fait référence à Philippe Martin, selon lequel le Conseil d’Etat privilégie la méthode d’interprétation littérale des conventions (« L’interprétation de conventions fiscales internationales », Philippe Martin, Dr. fisc. 24/13 c. 320), le rapporteur public a précisé que l’objet et le but de la convention peuvent être utilisés en combinaison avec cette lecture littérale. Or, en retenant cette combinaison, il parvient à la conclusion que la convention a pour objet de répartir le pouvoir d’imposition des personnes qui entrent dans le champ de la convention, afin d’éliminer les doubles impositions : aussi, si aucune clause ne restreint la faculté des Etats d’accorder une exonération d’impôt, rien ne suggère que les Etats signataires de la convention ont envisagé de renoncer à leur droit d’imposer des revenus par ailleurs non taxés.

Au terme de l’analyse d’Olivier Guiard, la qualité de résident fiscal ne saurait donc être reconnue à une personne qui, lorsque ses revenus se trouvent hors du champ d’application de l’impôt étranger ou sont exonérés de manière certaine et définitive, se trouverait en réalité en situation de double non-imposition (les conclusions retiennent le terme de « double exonération » mais cette formulation pourrait à notre avis prêter à confusion).

Cette analyse pourrait bien être celle retenue par le Conseil d’Etat. Ces principes ainsi rappelés se trouvaient en effet déjà présents dans l’arrêt Regazzacci, rendu en 2012 (CE 27-7-2012 n° 337656 et 337810 : INT-RU-112) et commenté à l’époque par Bruno Gouthière (FR 40/12 inf. 13 p. 24 « Résidence fiscale et assujettissement à l’impôt »). L’arrêt portait alors sur la situation d’une personne physique passible de l’impôt au Royaume-Uni mais, pour rester synthétique, uniquement sur les revenus rapatriés ou utilisés au Royaume-Uni. Le Conseil d’Etat avait alors considéré que cette personne était bien résidente du Royaume-Uni, dès lors qu’elle n’était pas exonérée définitivement de l’impôt sur le revenu.

Le Conseil d’Etat avait donc déjà examiné la situation spécifique de l’intéressé en lui reconnaissant, en l’espèce, la qualité de résident, dès lors que le régime dont il relevait au Royaume-Uni n’avait pas pour objet d’exonérer définitivement l’impôt sur le revenu mais simplement de le différer. Notons pour l’anecdote que, afin de nourrir sa réflexion, le Conseil d’Etat avait également eu recours à la version anglaise de la convention mais les commentateurs avaient considérés à l’époque que la position du Conseil d’Etat avait tout de même une portée générale, hors ce cas d’espèce de la convention franco-britannique (Concl. F. Aladjidi : BDCF 11/12 n° 126).

Au demeurant, Bruno Gouthière relevait alors que la référence à l’objet de la convention, retenue par le Conseil d’Etat, n’était pas nouvelle puisqu’elle est tirée de la Convention de Vienne sur le droit des traités dont ce dernier fait application sans le dire, cette convention n’ayant pas été signée par la France.

Les conséquences pratiques de l’interprétation du Conseil d’Etat

Cette nouvelle définition du résident fiscal pourrait s’avérer lourde de conséquences pour nombre d’opérateurs économiques qui devront à l’avenir soigneusement examiner / réexaminer la situation des bénéficiaires étrangers de revenus versés par des entités françaises.

Il est en effet désormais clair que les sociétés percevant ces revenus, alors qu’elles bénéficient à l’étranger d’un régime particulier d’exonération, ne pourront plus se prévaloir du taux réduit conventionnel de retenue à la source. Tel pourrait être le cas de sociétés établies dans des Etats accordant des dispositifs dérogatoires, quand bien même leurs effets seraient limités dans le temps.

Un exemple concret permet d’illustrer cette situation : jusqu’à présent, les revenus mobiliers versés par une société française à une société établie au Maroc, dans une zone d’investissement bénéficiant d’une exonération d’impôt sur les sociétés, auraient pu prétendre au taux réduit de retenue à la source prévu par la convention franco-marocaine. Désormais, la société marocaine ne sera plus considérée comme résidente du Maroc et ces versements supporteront la retenue à la source au taux normal.

De la même manière, la retenue à la source de l‘article 182 B du code général des impôts, due par les opérateurs économiques français au titre des sommes payées à un prestataire de services étranger, devra être systématiquement versée dès que le prestataire n’aura pas été effectivement soumis à l’impôt. Cette situation pourrait au demeurant soulever des difficultés pratiques liées à l’accès à l’information de la situation fiscale détaillée dudit prestataire.

Par ailleurs, cette position du Conseil d’Etat conduira à renchérir le coût des rectifications en matière de prix de transfert portant sur des transactions réalisées avec des entités qui bénéficient de régimes dérogatoires ou d’exonération les conduisant à ne pas supporter effectivement d’impôt. Les retenues à la source qui accompagnent ces rectifications, au titre des dispositions de l’article 119 bis, 2 du code général des impôts, dès lors qu’elles constituent des revenus réputés distribués, ne pourront plus bénéficier du taux réduit conventionnel.

Enfin, il est permis de s’interroger sur la limite qui sera in fine retenue dans la mise en œuvre de cette nouvelle analyse : un exercice déficitaire ayant conduit une société à ne pas payer l’impôt dans l’Etat dans lequel elle est établie serait-elle alors considérée comme non assujettie, au sens désormais retenu par le Conseil d’Etat, et donc le bénéfice de la convention lui serait-il refusé ?

Gageons que ces arrêts susciteront de nombreux commentaires et des analyses beaucoup plus détaillées dans les mois à venir. Mais il est déjà permis d’observer que cette position, qui conduit ainsi à remettre en cause l’approche traditionnelle de l’assujetti en tant que sujet entrant dans le champ d’application de l’impôt, en vue d’éviter que les opérateurs échappent à l’impôt, peut être aisément rapprochée de l’actualité fiscale internationale de cette fin 2015, tant semble évidente sa proximité avec les objectifs des rapports BEPS, publiés le 5 octobre dernier par l’Organisation pour le Commerce et le Développement Economique (OCDE), dont l’intention clairement rappelée est de lutter désormais contre la double non-imposition.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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