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Le droit d’usage d’un nom de domaine internet est un actif incorporel

Faisant application des principes dégagés par la jurisprudence Sife, le Conseil d’Etat juge que le droit d’utiliser le nom de domaine d’un site internet est un élément incorporel de l’actif immobilisé.

CE 7-12-2016 no 369814


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1. Le Conseil d’Etat juge que les critères traditionnels fixés par la jurisprudence Sife pour la définition des immobilisations incorporelles doivent être mis en oeuvre à propos du droit d’utiliser le nom de domaine d’un site internet.

Au cours d’un contrôle fiscal, l’administration avait, en l’espèce, réintégré au bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit 2003 la valeur d’un nom de domaine que le contribuable avait fait enregistrer en 2001 auprès de l’Association française pour le nommage internet en coopération (Afnic). Elle estimait que ce droit répondait à la définition des éléments d’actif incorporel immobilisé.

Le litige soulevait donc la question de savoir si, et dans quelles conditions, il convient d’appliquer les principes dégagés par la jurisprudence Sife à ces droits. On rappelle que trois conditions doivent normalement être réunies pour que des droits incorporels soient qualifiés comme des éléments incorporels de l’actif immobilisé : ils doivent constituer une source régulière de profit du titulaire, être consentis pour une période suffisamment longue et présenter un caractère cessible (CE 21-8-1996 no 154488 : BIC-IV-11950).

Conformément à sa jurisprudence (CE 15-6-2016 no 375446 : FR 35/16 [2]), la Haute Assemblée limite à la dénaturation son contrôle de l’appréciation souveraine portée par les juges du fond sur le point de savoir si ces trois critères sont réunis.

Les droits sont accordés à titre exclusif par l’Afnic

2. L’existence d’une source régulière de profits tirée de l’exploitation du nom de domaine en cause ne faisait guère de doute. Le Conseil d’Etat relève à cet égard que l’enregistrement des noms de domaine auprès de l’Afnic confère à leur titulaire un droit exclusif d’exploitation. Le caractère exclusif des droits détenus est en effet traditionnellement pris en considération pour apprécier le caractère immobilisable des droits incorporels (voir, par exemple, CE 12-2-1988 no 62547 : BIC-IV-11960).

Les droits sont renouvelés automatiquement

3. S’agissant du critère lié à la pérennité des droits, la jurisprudence n’a pas fixé de seuil de durée minimale pendant laquelle l’entreprise doit en rester titulaire pour que la qualification d’immobilisation soit retenue. Elle apprécie de façon pragmatique, en fonction du contexte juridique, si les droits sont appelés à être maintenus dans le patrimoine de l’entreprise de manière durable. A propos, par exemple, de contrats de distribution, ou de contrats de licence d’exploitation de produits de la propriété industrielle, il a été jugé qu’ils peuvent être regardés comme pérennes lorsque l’entreprise peut dès l’origine escompter leur poursuite durant une période suffisamment longue, compte tenu des conditions posées pour leur résiliation par le cocontractant (CE 24-9-2014 n° 348214 : BIC-IV-12048 fv). En revanche, le caractère durable des droits est écarté lorsque la résiliation à chaque échéance annuelle peut intervenir à la seule initiative du cocontractant et sans indemnité (CE 8-7-1985 no 41276 : BIC-IV-12555).

Or ainsi que le souligne le rapporteur public dans la présente affaire, Emilie Bockdam-Tognetti, le droit d’utilisation d’un nom de domaine initialement accordé pour un an peut être renouvelé de façon automatique, sous la seule réserve du paiement des droits correspondants. L’exclusivité des droits est alors garantie pour 10 ans. S’appuyant sur ces éléments, le Conseil d’Etat estime que la Cour n’a pas dénaturé les faits en jugeant que la condition de pérennité était satisfaite.

En l’espèce, la transmission des droits équivaut à une cession

4. Le critère le plus délicat à manier est celui de la cessibilité. Cette exigence a été écartée dans certaines circonstances, la jurisprudence ayant estimé qu’il n’était pas indispensable que certains droits soient cessibles pour être qualifiés comme des immobilisations incorporelles (voir, par exemple, CE 3-11-2003 no 232393 : BIC-IV-11450 à propos d’un engagement de non-concurrence ou CE 28-12-2007 no 284899 : BIC-IV-11835 à propos d’une cession de marque attachée à un domaine viticole). Notons par ailleurs que cette condition de cessibilité ne figure pas dans la définition comptable des éléments d’actif immobilisé en vigueur depuis 2005. Mais, en l’espèce, l’acquisition des droits litigieux était antérieure.

5. La cour administrative d’appel avait considéré que la faculté de cession des droits d’utilisation du nom de domaine n’était pas une condition de son immobilisation, tout en relevant que la réglementation alors applicable autorisait son titulaire à transférer ses droits (CAA Paris 30-4-2013 no 12PA02246 et 12PA02678 : BIC-IX-17975).

Emilie Bockdam-Tognetti fait une analyse quelque peu différente : elle considère que le critère de cessibilité n’a pas lieu d’être écarté en l’espèce, mais elle souligne que la reconnaissance de la cessibilité des droits est indépendante des modalités suivant lesquelles leur transmission peut être effectuée. Le seul fait que le contexte juridique s’oppose à la réalisation d’une vente au sens du droit civil n’implique pas nécessairement qu’ils doivent être regardés comme incessibles.

En l’occurrence, la réglementation en vigueur à l’époque des faits interdisait la réalisation d’une cession directe du droit d’exploiter un nom de domaine. Mais une entreprise pouvait renoncer au renouvellement de son droit et obtenir le versement d’une indemnité par l’entreprise souhaitant reprendre cette exploitation. En l’espèce, un schéma financier complexe avait abouti à l’indemnisation du précédent titulaire du droit d’utilisation du nom de domaine par des sociétés étrangères membres du même groupe que la requérante. Suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d’Etat estime que cette transaction a produit des effets équivalents à ceux d’une cession.

En l’espèce, les droits doivent être inscrits pour leur valeur vénale

6. Compte tenu de la particularité de la présente affaire tenant à la circonstance que l’indemnité n’avait pas été versée par l’entreprise nouvellement titulaire de l’autorisation d’exploiter le nom de domaine, celle-ci est regardée comme ayant acquis les droits à titre gratuit. Le Conseil d’Etat confirme en conséquence qu’ils devaient être inscrits à l’actif immobilisé pour leur valeur vénale, conformément aux dispositions de l’article 38 quinquies de l’annexe III au CGI.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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