Le droit à la preuve est un principe consacré par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH 10-10-2006 n° 7508/02 ; CEDH 13-5-2008 n° 65097/01), selon lequel une atteinte à la vie privée peut être justifiée par l'exigence de protection des droits de la défense, à certaines conditions. Dans un arrêt destiné à la plus large publication, la chambre sociale de la Cour de cassation en fait application dans une affaire où l’employeur reprochait à une salariée d’avoir divulgué des informations confidentielles sur Facebook.
La salariée a publié sur son « mur » Facebook, accessible seulement à ses « amis », c’est-à-dire aux personnes que l’intéressée a accepté de voir rejoindre son réseau, une photographie d’une nouvelle collection de mode qui avait été présentée exclusivement aux commerciaux de la société et qui n’avait pas été rendue publique. Informé de cette publication, l’employeur a licencié la salariée pour faute grave, lui reprochant un manquement à son obligation contractuelle de confidentialité, d’autant plus grave que ce mur était accessible à des personnes travaillant pour des entreprises concurrentes. La salariée contestait son licenciement en faisant valoir que l’employeur n’était pas autorisé à accéder au contenu de son compte Facebook, dont le caractère privé ne semble pas débattu.
Un procédé d’obtention de preuve qui n’est pas jugé déloyal
La Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut pas avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve.
En l’espèce, des captures d'écran de la publication litigieuse avait été spontanément communiquées à l’employeur par un courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de l’intéressée. La Haute Juridiction considère que la cour d’appel de Paris, sur la base de ces constatations, a pu en déduire que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal.
Les circonstances de l’obtention des éléments de preuve relèvent cependant de l’appréciation des juges du fond, et le libellé de la motivation de la Cour laisse entendre que la cour d’appel de Paris aurait pu en décider autrement.
A noter : Dans le même sens, la cour d'appel de Rouen avait déjà jugé que l'employeur ne peut pas être considéré comme ayant eu accès à des informations de manière déloyale s'il produit des captures d'écran du compte Facebook d'un salarié réalisées par une personne habilitée à consulter ce compte et qui les lui a spontanément transmises (CA Rouen 26-4-2016 n° 14/03517).
L’atteinte à la vie privée de la salariée est caractérisée …
La Cour de cassation le reconnaît, la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constitue une atteinte à la vie privée de l'intéressée.
En principe, l’employeur ne devrait donc pas être admis à s’en prévaloir comme élément de preuve d’une faute qu’il entendrait sanctionner. Les pièces devraient être jugées irrecevables et être écartées des débats (voir en ce sens Cass. soc. 20-12-2017 n° 16-19.609 F-D : La Quotidienne du 15 février 2018). La Cour de cassation ouvre cependant une brèche à certaines conditions.
Cass. soc. 20-12-2017 n° 16-19.609 F-D
… mais justifiée par le droit à la preuve de l'employeur
Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Après avoir énoncé ce principe, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a fait ressortir que la production par l'employeur d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était :
- indispensable à l’exercice du droit à la preuve d’une part, car l’employeur ne disposait que de ces éléments pour établir le grief de divulgation par la salariée d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes. Il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte ;
- proportionnée au but poursuivi, à savoir la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.
La cour d’appel de Poitiers avait déjà fait application du droit à la preuve pour juger recevables les captures d’écran produites par l’employeur aux fins de preuve des griefs motivant un licenciement : l’employeur reprochait au salarié, éducateur dans une association d'aide aux personnes handicapées mentales, d'avoir eu sur Facebook des échanges (non accessibles à des tiers) avec un résident handicapé dont il avait la charge, qui présentaient un caractère humiliant pour ce dernier et pouvaient être regardés comme un acte de maltraitance susceptible d'engager la responsabilité de l'association (CA Poitiers 4-5-2016 n° 15/04170). Dans cette affaire, le but poursuivi était la protection des personnes handicapées dont l’association employeur avait la charge.
A notre avis : Le droit à la preuve ne devrait permettre la recevabilité d'éléments de preuve portant atteinte à la vie privée du salarié qu'à condition que l'employeur ne dispose d'aucun autre élément de preuve à même d'établir un comportement du salarié d'une particulière gravité. On peut se demander si cet arrêt annonce des évolutions dans un domaine proche, en particulier concernant les messageries électroniques personnelles, couvertes par le secret des correspondances. L’employeur tente parfois d’en produire des éléments pour prouver un comportement déloyal du salarié, jusqu’à présent sans succès (voir notamment Cass. soc. 23-10-2019 n° 17-28.448 F-D : La Quotidienne du 3 décembre 2019).
Aliya BEN KHALIFA
Pour en savoir plus sur l'étendue des pouvoirs de l'employeur en matière de cybersurveillance : voir Mémento Social nos 56045 s
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