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Preuve des heures de travail : l’employeur est recevable à opposer tout élément au salarié

Par un arrêt rendu le 7 février 2024, la Cour de cassation considère que l'absence de mise en place par l'employeur d'un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve quant à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies.

Cass. soc. 7-2-2024 n° 22-15.842 FS-B, D. c/ Sté Chouchane


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©Getty Images

Le régime dérogatoire en matière de preuve des heures de travail effectuées …

L’article L 3171-4 du Code du travail, qui régit les règles probatoires en matière de temps de travail, organise un système de preuve partagé. En substance, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, le juge décide si des heures supplémentaires ont été, ou non, effectuées au regard des éléments fournis par l’employeur et le salarié.

Ce système de preuve, dérogatoire aux règles de droit commun, permet de rétablir une certaine position d’égalité entre employeur et salarié en matière d’administration de la preuve.

Dans un arrêt rendu le 14 mai 2019, la Cour de justice de l’Union Européenne a jugé que, afin d'assurer l'effet utile des droits prévus par la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 et du droit fondamental consacré à l'article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les États membres doivent imposer aux employeurs l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (CJUE 14-5-2019 aff. 55/18).

Prenant en compte cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation considère, depuis une décision rendue le 18 mars 2020, que, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble des éléments de fait qui lui ont été soumis au regard des exigences légales et réglementaires applicables. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant (Cass. soc. 18-3-2020 n° 18-10.919 FP-PBRI).

Le système de preuve partagée quant à l’accomplissement des heures de travail impose-t-il alors à l’employeur de produire des éléments de preuve nécessairement issus d’un système objectif, fiable et accessible du temps de travail ?

Par un arrêt du 7 février 2024, la Cour de cassation répond par la négative.

… permet à l’employeur de produire tout élément en l’absence d’un système de contrôle fiable et objectif

Une salariée employée en qualité de coiffeuse avait saisi la juridiction prud’homale de demandes en résiliation judiciaire et en paiement de sommes au titre d’heures supplémentaires.

En l’espèce, la salariée produisait un tableau récapitulant ses heures, un décompte hebdomadaire et deux témoignages. De son côté, l’employeur versait au débat des bulletins de paie montrant le paiement d’heures supplémentaires autres que celles prévues contractuellement, un cahier de relevés d’heures mentionnant de manière manuscrite les heures accomplies par la salariée pour chaque jour de travail et des témoignages venant contredire ceux produits par la salariée.

La cour d’appel, au regard des éléments fournis par la salariée et l’employeur, avait débouté celle-ci de sa demande en paiement d’heures supplémentaires estimant que de telle heures n’avaient pas été accomplies.

La salariée s’était pourvue en cassation. Elle reprochait à la cour d’appel d'avoir retenu des éléments de preuve versés par l’employeur qui ne provenaient pas d’un système objectif, fiable et accessible de mesure de la durée du travail.

La Cour de cassation approuve la décision des juges du fond et indique explicitement, pour la première fois à notre connaissance, que l'absence de mise en place par l'employeur d'un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ne le prive pas du droit de soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve quant à l'existence ou au nombre d'heures accomplies.

Sans remettre en cause l’arrêt rendu par la CJUE le 14 mai 2019 repris dans l’arrêt, la décision signifie que, dans le cadre d’un litige se rapportant à la preuve du temps de travail, l’employeur, est recevable à opposer tout élément au salarié quand bien même celui-ci ne serait pas issu d’un système objectif et fiable de mesure du temps de travail, le juge demeurant ensuite libre dans l’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve apportés par chacune des parties.

A notre avis :

Cette décision se justifie ainsi au regard du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale. Elle s’inscrit également dans l’évolution jurisprudentielle du régime dérogatoire en matière de preuve des heures de travail effectuées. En effet, la Cour de cassation, dans son rapport annuel de l’année 2021, indiquait au sujet d’un arrêt rendu le 27 janvier 2021 que la cour d’appel doit « examiner les pièces produites par l’une et l’autre des parties, étant précisé que l’employeur ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, et [..] apprécier la portée des critiques formulées contre ces pièces, avant de décider, dans le cadre de son pouvoir souverain, si le salarié avait effectivement accompli des heures supplémentaires et, dans l’affirmative, de fixer la créance correspondante » (Cass. soc. 27-1-2021 n° 17-31.046 FP-PRI, rapport annuel 2021 p. 115). Il était donc déjà au moins implicitement reconnu que l’employeur peut produire aux débats des éléments ne provenant pas d’un système objectif, fiable et accessible de contrôle de temps de travail, ce qui correspond d’ailleurs à la pratique en matière de contentieux.

Documents et liens associés

Cass. soc. 7-2-2024 n° 22-15.842 FS-B, D. c/ Sté Chouchane

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