Une banque consent à une société pour les besoins de son activité une ouverture de crédit en compte de 200 000 € et, deux ans plus tard, elle lui accorde une ouverture de crédit complémentaire de 100 000 €. Le lendemain, le dirigeant de la société et son épouse, directrice financière, se portent caution solidaire à hauteur de 120 000 € pour une durée de 5 ans. Après la mise en liquidation judiciaire de la société, la banque poursuit les cautions en paiement. La femme invoque alors un vice du consentement, soulignant qu'elle a souscrit le cautionnement sous la violence, et explique avoir été soumise à une pression financière forte et contrainte de régulariser le cautionnement au seul profit de la banque car, si elle refusait, la société stoppait son activité.
La cour d’appel d'Orléans refuse d’annuler le cautionnement pour violence.
Il y a contrainte susceptible de vicier le consentement donné par une partie, juge la cour, lorsque l'autre partie exploite une situation de faiblesse ou de dépendance économique en retirant de la convention un avantage manifestement excessif. La contrainte s'apprécie au regard de la vulnérabilité de la partie qui la subit, de l'existence de relations antérieures entre les parties ou de leur inégalité économique.
En l'espèce :
- la facilité de caisse supplémentaire de 100 000 € avait été consentie à la société représentée par son dirigeant, à la demande de cette dernière. Il n'était ni anormal ni fautif que ce concours bancaire ait été garanti par le cautionnement des époux tous deux impliqués dans la société en qualités respectives de dirigeant et de directeur financier, et la banque n'en avait pas retiré un avantage manifestement excessif puisqu'elle avait consenti en contrepartie un concours sollicité par la société ;
- si la société avait été placée en redressement judiciaire 10 mois après l'octroi du crédit complémentaire, un plan avait toutefois été d'abord arrêté, ce qui démontrait que des perspectives de redressement existaient ;
- le seul fait que le cautionnement ait été souscrit au siège de la société n'établissait en rien que la banque aurait extorqué la signature du dirigeant et de son épouse ; l’octroi de ce cautionnement était d'ailleurs prévu dans la convention de découvert conclue la veille au siège de la banque.
Par suite, l'épouse caution n’avait pas apporté la preuve d'une situation de dépendance économique et de son exploitation abusive par la banque.
A noter : Aux termes de l’ancien article 1112 du Code civil, il y a violence lorsqu'elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu'elle peut lui inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent.
La nullité du cautionnement pour violence n’est prononcée que dans des conditions exceptionnelles. A ainsi été annulée la garantie souscrite par l'épouse du dirigeant d'une société qui avait d'abord refusé de signer l'acte de cautionnement, puis avait fini par s'y résoudre dans l'espoir que la société familiale, en situation très difficile, serait sauvée (Cass. com. 28-5-1991 n° 89-17.672 PB : RJDA 8-9/91 n° 680).
Mais le plus souvent les juges refusent de prononcer la nullité : soit parce que la contrainte n'était pas de nature à faire pression sur une personne raisonnable, notamment quand la caution est un dirigeant (CA Versailles 27-2-2003 n° 01-5881 : RJDA 5/04 n° 619), soit qu'elle n'était pas sous un état de dépendance économique (Cass. com. 28-1-2014 n° 13-10.292 F-D : Gaz. Pal. 2014.som.19 mars note Albiges ; CA Paris 25-10-2013 n° 13/13273 : RJDA 3/14 n° 270), soit que la pression des appels incessants de son banquier était justifiée par la nécessité de finaliser un acte de cautionnement pour garantir un concours bancaire à la société, dont le gérant était le fils de la caution (Cass. com. 22-1-2013 n° 11-17.954 F-D : GP 2013.som.1094 note Albiges).
En pratique, les dirigeants sociaux ne peuvent donc pas invoquer l'état de nécessité ou la pression de circonstances économiques pour demander l'annulation du cautionnement. L’arrêt ci-dessus, dans le droit-fil de cette jurisprudence, étend cette solution aux cautions salariés qui ont un rôle important dans la direction de l’entreprise (directeur financier en l’occurrence).
Aux termes de l’article 1140 du Code civil issu de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, il y a violence lorsqu'une partie s'engage sous la pression d'une contrainte qui lui inspire la crainte d'exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. Et l'article 1143 précise qu'il y a violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. L'application de ces textes au cas d'espèce n'aurait pas plus permis, à notre avis, à l'épouse caution d'obtenir l'annulation de son engagement.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Sociétés commerciales n° 15007
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