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Règlement Successions : choix de la loi d’un État tiers pour régir sa succession

Un ressortissant d’un État tiers résidant dans un État membre de l’UE peut choisir la loi de cet État tiers, sauf lorsque cet État tiers a conclu avec l’État membre de résidence un accord bilatéral avant l’entrée en vigueur du règlement qui ne permet pas un tel choix.

CJUE 12-10-2023 aff. 21/22, OP c/ Notariusz Justyna Gawlica


Par David LAMBERT, Avocat à Paris
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©Gettyimages

Une ressortissante ukrainienne résidant en Pologne où elle est copropriétaire d’un bien immobilier souhaite faire établir par un notaire polonais un testament authentique où elle désigne comme loi applicable à la succession le droit ukrainien. Le clerc du notaire ayant refusé d’établir l’acte, elle saisit un tribunal polonais d’un recours contre ce refus. Le tribunal interroge la Cour de justice sur deux questions d’interprétation du règlement 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, dit « règlement Successions ».

Selon l’interprétation du notaire, le choix de la loi applicable à la succession en vertu de l’article 22 du règlement ne serait ouvert qu’aux ressortissants des États membres de l’Union. La Cour de justice écarte évidemment cette interprétation, rappelant que l’article 22 vise toute personne, sans distinguer selon sa nationalité. Elle rappelle notamment que le choix de la loi d’un État tiers est permis par le règlement, ainsi que cela ressort de plusieurs dispositions de celui-ci et notamment de son article 20, qui rappelle le caractère dit « universel » des règles de conflits de lois posées par le règlement, à savoir qu’elles peuvent désigner comme applicable aussi bien la loi d’un État membre que celle d’un État tiers. Elle en conclut fort logiquement qu’un ressortissant d’un État tiers résidant dans un État membre de l’Union européenne peut choisir la loi de cet État tiers comme loi régissant l’ensemble de sa succession.

La deuxième question est plus intéressante. La Pologne et l’Ukraine ont conclu un accord bilatéral le 24 mai 1993 qui prévoit des règles de conflits de lois en matière de succession (applicables semble-t-il uniquement dans les situations impliquant les deux États parties) : loi nationale du défunt pour la succession mobilière, loi de situation de l’immeuble pour la succession immobilière. Ces règles ne permettent donc pas le choix de la loi applicable. Or l’article 75 du règlement prévoit que le règlement n’affecte pas l’application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties à la date de l’adoption du règlement et qui portent sur des matières régies par celui-ci. Dès lors, il faut appliquer l’accord entre l’Ukraine et la Pologne, mais la requérante soutenait que la possibilité de choisir la loi applicable prévue par le règlement n’était pas incompatible avec l’accord. La Cour juge cependant que le règlement ne s’oppose pas à ce que, lorsqu’un État membre a conclu, avant l’adoption du règlement, un accord bilatéral avec un État tiers qui désigne la loi applicable en matière de successions et ne prévoit pas expressément la possibilité d’en choisir une autre, un ressortissant de cet État tiers résidant dans l’État membre en cause ne puisse pas choisir la loi dudit État tiers pour régir l’ensemble de sa succession.

A noter :

La première réponse apportée est évidente et n’appelle pas de commentaires particuliers, selon David Lambert, coauteur du Mémento Successions et Libéralités. La seconde résulte logiquement de l’article 75 du règlement et du texte de l’accord en question. On ne saurait sérieusement soutenir que, même si le texte de l’accord conclu entre la Pologne et l’Ukraine ne prévoyait pas de possibilité de choisir la loi applicable à sa succession, cette possibilité n’était pas exclue et donc qu’un tel choix, permis par le règlement, ne serait pas incompatible avec l’accord en question. Le raisonnement suivi par la Cour est en revanche plus intéressant, et discutable. Elle rappelle en effet sa jurisprudence selon laquelle, lorsque le législateur de l’Union prévoit que l’application d’un règlement « n’affecte pas » les conventions internationales existantes, cela signifie que celles-ci s’appliquent en cas de concours de règles avec un tel règlement (CJCE 4-5-2010 aff. 533/08, TNT Express Nederland BV). Elle indique cependant que l’article régissant les relations entre le règlement et les conventions internationales ne peut avoir une portée qui soit en conflit avec les principes qui sous-tendent le règlement. L’objet du règlement serait de supprimer les entraves à la libre circulation de personnes pouvant être confrontées à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontalières. Le droit de choisir la loi applicable à sa succession ne saurait en revanche être considéré comme un principe qui sous-tend le règlement. La Cour relève cependant que l’objectif général du règlement se rattache au principe de l’unité de la succession mais ce principe n’est pas absolu. Le règlement prévoit en effet un certain nombre de règles qui aboutissent en pratique à appliquer plusieurs lois à la succession. La Cour relève en particulier que l’article 12, paragraphe 1, du règlement introduit expressément une dérogation à ce principe en permettant à la juridiction compétente de ne pas statuer sur des biens situés dans des États tiers, par crainte que la décision ne soit pas reconnue ou qu’elle ne soit pas déclarée exécutoire dans ces États tiers. Il en découle que le législateur de l’Union a expressément entendu respecter, dans certains cas particuliers, le modèle de scission de la succession pouvant être mis en œuvre dans les rapports avec certains États tiers. Dès lors, l’application de l’accord entre l’Ukraine et la Pologne, même si elle prive de la possibilité de choix de la loi applicable à sa succession un ressortissant d'un État tiers vivant dans un État membre, est conforme au règlement et au droit de l’Union.

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