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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Fiscal/ Impôt sur les sociétés

Le caractère obligatoire de l’ACCIS en question

Dans un contexte de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et pour faire écho aux travaux BEPS de l’OCDE, la Commission européenne a décidé de relancer en octobre 2016 le projet d’assiette commune consolidée à l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Ce projet soulève de délicats enjeux pour les entreprises, notamment au regard de son caractère désormais obligatoire pour les plus grandes multinationales.


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L’ACCIS devrait permettre aux entreprises de calculer leur base imposable selon un mode de calcul harmonisé au niveau européen. Le groupe européen étant appréhendé de manière unitaire, les transactions intragroupes seraient neutralisées et le résultat consolidé réparti en fonction d’une formule de répartition comprenant trois facteurs (immobilisations corporelles, main d’œuvre et chiffre d’affaires), chacun pondéré d’un tiers. Une fois l’assiette imposable répartie, les Etats membres resteraient libres d’imposer la part qui leur revient en appliquant leur taux national d’IS.

Aujourd’hui présentée par la Commission (Plan d’action de la Commission européenne, COM (2015) 302 final, 17 juin 2015) comme la solution globale aux transferts de bénéfices, l’ACCIS permettrait ainsi de supprimer les disparités entre les systèmes nationaux et de garantir une imposition plus proche du lieu où les bénéfices sont réalisés.

L’ACCIS, un système obligatoire pour les entreprises ayant un CA d’au moins 750 M€

Pour tenir compte de ce nouveau contexte, l’assiette commune, à l’origine optionnelle pour toutes les entreprises, deviendrait obligatoire pour les multinationales présentant un chiffre d’affaires de 750 millions d’euros. Il s’agirait avant tout d’éviter que celles qui se livrent à des stratégies fiscales agressives ne puissent avoir le choix de décider d’opter ou non pour l’ACCIS, en fonction de ce qui pourrait être le plus avantageux pour elles.

Effets de l'existence d'un tel seuil

Si l’objectif de la Commission est de cibler les grandes multinationales davantage susceptibles de recourir à des schémas d’optimisation agressive, la frontière posée par le seuil de 750 M€ pose une série de questions qu’il importe de mettre en lumière.

Une frontière artificielle

Le seuil de 750 M€ créé une frontière quelque peu artificielle qui ne correspond à aucune réalité économique.

En effet, la taille d’une entreprise mesurée au travers de son seul chiffre d’affaires ne reflète pas tout de ses réalités, que ce soit sur sa charge fiscale effective, sur le poids du marché européen dans son activité globale ou encore sur la manière dont elle est organisée et structurée.

Ainsi, des entreprises de taille intermédiaire (ETI) peuvent avoir le même niveau de complexité que des grandes multinationales, avec de nombreuses filiales implantées dans différents États membres. Leur quotidien ressemble donc davantage à celui de grands groupes…

Des distorsions de concurrence

Le seuil de 750 M€ risque de créer des distorsions de concurrence entre les grandes multinationales et les groupes de plus petite taille. En effet, ces derniers, s’ils opèrent dans plusieurs Etats membres, devront examiner s’ils ont un intérêt ou non à opter pour l’ACCIS. Or une telle situation nécessite, pour ces entreprises, d'avoir les moyens d'évaluer les conséquences de ce choix, ce qui implique d’être bien accompagnées et conseillées d’un point de vue technique. Un coût supplémentaire s’imposerait à elles.

En outre, les entreprises pour lesquelles le système demeurerait optionnel devraient opter pour une période de cinq exercices fiscaux (article 2, paragraphe 3 de la directive), prolongée automatiquement pour des périodes successives de cinq exercices fiscaux (sauf en cas de notification expresse de la part de l’entreprise). Ces cinq années n’offrent pas toujours la flexibilité nécessaire aux entreprises qui opèrent en Europe et qui connaissent d’importantes restructurations dans le cadre de nouvelles orientations stratégiques.

Par ailleurs, ce seuil pourrait également faire émerger de nouvelles distorsions de concurrence entre entreprises opérant au sein d’un même secteur d’activité.

Certains secteurs seraient sans doute plus impactés que d’autres. Tel pourrait être le cas pour le secteur de la grande distribution en France. Ainsi, l’ACCIS risquerait de créer des distorsions entre les groupes organisés de manière intégrée et les groupes décentralisés, structurés avec des établissements franchisés. Les premiers rentreraient ainsi plus rapidement dans le champ d’application de l’ACCIS, quand les seconds en seraient exclus du simple fait de leur organisation décentralisée.

De nouveaux contentieux ?

Ce double système fiscal (obligatoire et optionnel) risque de poser des problèmes en termes de croissance, avec des effets de seuil. Certaines entreprises pourraient décider de ne pas trop se développer pour rester juste en dessous du seuil imposé, estimant qu’elles n’ont pas intérêt à opter pour l’ACCIS.

Jouant ainsi des règles en présence, ces acteurs pour lesquels le système demeurerait optionnel pourraient être plus avantagés que les autres (et inversement), entraînant ainsi une discrimination entre entreprises opérant dans un même secteur d’activité.

De nouveaux contentieux risquent d’émerger, notamment sur la question de savoir si ce double système fiscal serait compatible avec le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt et les charges publiques.

Le seuil de 750 M€ : débat sur son niveau et son existence

A l’origine des discussions lors de l’élaboration de la nouvelle proposition de directive de 2016, le seuil aurait été fixé à 750 M€ pour s’aligner sur celui retenu par l’OCDE dans le cadre du reporting pays par pays (Country-by-Country reporting). Il ne correspond en revanche ni aux seuils figurant dans les régimes d’intégration fiscale dont sont dotés de nombreux pays européens, ni à ceux figurant dans la directive comptable (selon la directive comptable n°2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels et consolidés de certaines formes d’entreprises). Pour certains, le système ACCIS devrait demeurer totalement optionnel pour ne pas créer de barrières supplémentaires à la croissance des PME. Pour d’autres, le système ACCIS devrait au contraire être obligatoire pour tous (comme pour le député européen Alain Lamassoure).

Certains préconisent d’abaisser le seuil de 750 M€ à 40 M€ pour s’aligner sur la directive comptable, puis de le réduire progressivement à zéro (selon le député européen Paul Tang).

D’aucuns vont même plus loin en suggérant que le système ACCIS soit obligatoire dès le premier jour de son application (Propos du député Alain Lamassoure lors du petit-déjeuner débat du 18 octobre 2017, « Quelle Europe fiscale pour les entreprises ? », Institut Friedland).

Pour conclure, le seuil de 750 M€ invite à s’interroger sur l’esprit même du dispositif. Le projet ACCIS peut-il offrir un terrain de jeu équitable (« level playing field ») aux entreprises opérant en Europe ? La question mérite d’être posée tant les impacts sont à nuancer au regard des distinctions opérées entre acteurs.

Pour en savoir plus : https://www.institut-friedland.org/publications/quelle-europe-fiscale-pour-les-entreprises

Par Delphine SIQUIER-DELOT, Analyste Senior, Institut Friedland



© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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