Une enseigne de vêtements ayant décidé d’augmenter la surface de vente d’un responsable de magasin, d’un directeur adjoint et d’un responsable rayon leur propose une modification de leur taux de commissionnement afin de tenir compte de l’augmentation prévisionnelle des ventes liée à cette nouvelle surface de rayon. Les intéressés ayant refusé, l’employeur les licencie.
La cour d’appel juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse, estimant que la modification proposée par l’employeur reposait sur un motif économique et qu’il aurait dû en conséquence appliquer la procédure spécifique prévue dans ce cas par l’article L 1222-6 du Code du travail, ce qu’il n’avait pas fait.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, mais par un motif relevé d’office et substitué à celui des juges d’appel.
La volonté de garantir l’égalité de rémunération ne justifie pas de modifier le contrat de travail
L’employeur faisait valoir dans son pourvoi que le licenciement n’avait pas une nature économique mais avait pour finalité d’éviter une augmentation disproportionnée de la rémunération des salariés par rapport à celle d’autres vendeurs occupant un poste ayant une surface de vente identique et effectuant un travail de valeur égale, autrement dit de garantir l’égalité de rémunération avec les autres vendeurs de l’entreprise.
L’argument est rejeté par la Cour de cassation. La rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à la personne du salarié constitue un licenciement pour motif économique. En d’autres termes, à côté du motif personnel et du motif économique, il n’existe pas de « troisième motif ».
A notre avis : Il faut réserver les cas dans lesquels une disposition légale institue une cause de licenciement « sui generis » qui ne relève pas du régime du licenciement pour motif économique, bien que la cause de la rupture du contrat soit étrangère à la personne du salarié.
Tel est notamment le cas lorsqu’un transfert d’entreprise s’opère entre un employeur privé et un service public administratif (C. trav. art. L 1224-3) ou dans la situation inverse (C. trav. art. L 1224-3-1). Le refus par le salarié de la modification qu’implique ce changement met fin au contrat de travail et constitue alors, en soi, une cause réelle et sérieuse de licenciement sans qu’il soit nécessaire de justifier d’un motif économique (Cass.soc. 30-9-2009 n° 08-40.846 FS-PBR : RJS 12/09 n° 899 ; Cass. soc. 2-12-2009 n° 07-45.304 FS-PB : RJS 2/10 n° 153). Mais ces dispositions particulières dérogent au droit commun du licenciement pour motif économique.
L’employeur doit justifier d’une cause économique valable
La Haute Juridiction n’en approuve pas pour autant la cour d’appel dans son analyse. Elle juge, en effet, que le licenciement pour motif économique était en l’espèce sans cause réelle et sérieuse puisqu’il n’était pas allégué que la réorganisation, consistant en la modification du taux de rémunération variable applicable au sein du magasin, résultait de difficultés économiques ou de mutations technologiques ou qu’elle était indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise.
Cette solution s’inscrit dans le prolongement de deux décisions récentes.
Dans la première, la Cour de cassation a invalidé un licenciement, faute pour l’employeur de démontrer que la réorganisation du service invoquée à l’appui de la proposition de modification résultait de l’une des causes susvisées, actuellement énumérées à l’article L 1233-3 du Code du travail (Cass. soc. 11-7-2018 n° 17-12.747 FP-PB : RJS 10/18 n° 601).
Dans la seconde, elle a écarté le moyen d’un repreneur qui voulait faire juger qu’une impossibilité de maintenir les conditions contractuelles antérieures du fait de la suppression du lieu où s’accomplissait le travail après un transfert d’entreprise suffisait à constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, en cas de refus par le salarié de la modification nécessaire de son contrat (Cass. soc. 17-4-2019 n° 17-17.880 FS-PB : RJS 7/19 n° 414).
A noter : Bien que rendue dans le cadre juridique antérieur à l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016, cette décision nous paraît transposable au cadre juridique actuel.
En effet, la loi Travail a simplement complété la liste des causes possibles de licenciement économique figurant à l’article L 1233-3 du Code du travail, en ajoutant aux difficultés économiques et aux mutations technologiques deux autres causes consacrées par la jurisprudence, à savoir la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et la cessation d’activité.
Pour en savoir plus sur le motif économique du licenciement : voir Mémento Social nos 47230 s.