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Les angles morts de l’avènement du notaire tiers de confiance dans le métavers

Quels sont les enjeux soulevés par le métavers pour le notaire et le notariat en général ? Quelles incidences pour l'authenticité, la souveraineté de l'Etat que le notaire représente, mais aussi pour la confiance et l'indépendance, piliers de la pratique ?


Par Ghizlane LOUKILI, docteur en droit privé spécialité droit du numérique
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©Gettyimages

Introduction

Si l’origine du terme Web 3.0 est attribuée à Gavin Wood, co-fondateur de la blockchain Ethereum (What Is Web3 ? Here’s How Future Polkadot Founder Gavin Wood Explained It 2014, 4 janvier 2022, Copyright Lexbase p. 7/9), la publicité du séquençage de notre espace-temps numérique est, quant à elle, unanimement reconnue à l’entrepreneur Chris Dixon. L’idée du Web 3.0 est en outre étroitement liée à celle des métavers, expression désormais consacrée pour désigner les univers virtuels (Ph. Fuchs, Théorie de la réalité virtuelle – les véritables usages. Les presses des Mines, 2018).

Notons que ces derniers ne sont pas si nouveaux. Jean Claude Heudin retrace la chronologie du premier environnement virtuel à « Habitat » (C. Morningstar et R. Farmer, « The Lessons of Lucasfilm’s Habitat », in Cyberspace : First Steps, MIT Press, 1990), conçu en 1985 pour Lucas Film Game sous la forme d’une ville du nom de Populopolis (J.-C. Heudin, Les créatures artificielles – Des automates aux mondes virtuels : Odile Jacob, 2008, p. 211). S’ensuit le WebWorld qui se transforma en Alpha World, considéré comme le plus ancien monde virtuel « collaboratif » créé en 1995, puis le désormais célèbre Second Life (E. Gent, Lessons from a Second Life, IEEE Spectr., vol. 59, no 1, p. 19‐19, janvier 2022) qui défray[a] les médias avec l’implantation de plusieurs grandes entreprises, de publicitaires, et l’annonce de plusieurs millions de comptes d’utilisateurs. D’après ses concepteurs, le jeu s’inspire du Metaverse décrit dans la nouvelle Snow Crash de Neal Stephenson (N. Sterphenson, Le Samouraï virtuel, Robert Laffont, coll. Ailleurs et Demain, 1992, p. 29), laquelle inspirera quelques années le terme générique des univers virtuels.

Dans la sphère du droit, l’absence de définition juridique unanime du phénomène est le premier constat à dresser: les métavers n’ont pas davantage de définition juridique que les NFTs, mais partagent une proposition commune : celle de projeter la réalité des interactions sociales dans le numérique, au travers d’une expérience immersive. Pour être plus précis, ce dernier, « se définit comme un monde virtuel en trois dimensions au sein duquel l'utilisateur peut interagir par le biais d'un avatar. Pour résumer, il s'agit d'un monde parallèle au monde physique, mais aussi le prolongement de celui-ci (Gilbert, 3D Virtual worlds and the metaverse: Current status and future possibilities, ACM Comput. Surv., vol. 45, n° 3, p. 1‐38, juin 2013.)». Ce nouveau support de développement de relation sociales et juridiques est un espace à investir par les notaires pour des raisons diverses. Il permettra aux notaires d’être au plus près de ses clients et prospects, mais aussi l’échange entre la communauté de notaires et les clients potentiels de leurs études qui détiennent des cryptoactifs et ont besoin de conseils en la matière, à tire d’exemple.

Lors de la première école au monde dédiée aux métiers du métavers à Paris en octobre 2022, le métier de notaire a fait l’objet d’une attention particulière, les projections parlent de « métanotaire » qui remplirait ses missions au travers d’un avatar. Marion Simon-Rainaud, Les Échos, 11 mars 2022, « La première école exclusivement dédiée au metaverse ouvre ses portes à Paris ».

Dans cette étude dédiée aux zones d’ombre de ce mariage nous nous intéresserons à la remise en cause des principes de la profession lors de l’adaptation au métavers (I) ainsi que le réexamen des outils à la disposition du métanotaire (II).

I - Le métavers l’occasion de réexaminer les principes de la profession.

A - L ’authenticité numérique décriée.

Dans une étude récente consacrée à l'authenticité, le professeur Yves Gaudemet en a rappelé la spécificité par une formule éloquente : l'authenticité est un « acte de puissance publique attaché à une autorité publique et vecteur de sécurité juridique », dans le même sens, il poursuit que « les aménagements apportés à l'acte authentique au nom de la modernité et de l'efficacité, sous la bannière de l'électronique, de plus en plus distancié des parties et du ou des notaires qui instrumentent, posent la question de leur compatibilité avec [...] [l']âme [de l'authenticité][...] - question qui n'est pas seulement d'ordre théorique mais engage d'une certaine façon l'avenir du notariat et son monopole de l'acte authentique ».(Y. Gaudemet, L'acte authentique et la légalité : JCP N 2022, n° 28, 1194.).

Ici, une incompatibilité de l’authenticité et de la distanciation des parties est justement soulignée jetant le discrédit sur les fondements de ce corpus de règles de l’authenticité numérique des actes.

En effet, la maîtrise est à parfaire dans le cadre de l'authentification à distance, situation dans laquelle le contrôle n'est pas absolu lorsque la comparution des parties a lieu en visioconférence, sans notaire à leurs côtés. Effectivement, dans le cadre des comparutions entièrement à distance (AACD puis PND), deux sociétés étrangères qualifiées par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), à savoir la société allemande IDnow et la société américaine Docusign, certifient l'identité des parties et leur délivrent la signature électronique qualifiée exigée par les décrets de 2020.

Une telle intermédiation d'acteurs privés dans le processus d'authentification a été analysée par beaucoup comme un partage des missions notariales, alors que l'article 1371 du Code civil attache la force (probatoire) de l'acte authentique à « ce que l'officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté ».

Cette remise en cause totale ou partielle de l’authenticité comme elle résulte de l’arsenal juridique en présence est une question qui mérite d’être posée à l’aune de la naissance du métanotaire elle permettrait de dresser avec plus de rigueur et de sécurité juridique l’intervention du notaire dans le monde virtuel. En effet, cette distance problématique pourrait être réduite dans le métavers en raison de la présence des protagonistes et du notaire en simultanée sous la forme de leur avatar.

B - La question de la souveraineté.

Le notariat n’est pas seulement un utilisateur mais aussi un des principaux acteurs du numérique, et a toujours eu à cœur de développer ses propres instruments.

Un paradoxe réside cependant dans la cohabitation de l’idéologie libertarienne des nouvelles technologies et la confiance publique placée dans l’État.

Le monde numérique se concevant comme un monde déterritorialisé, met en branle la souveraineté de l’État. Or, pour la sécurité juridique nécessaire au métier de notaire fortement lié à la puissance publique, il n’est censé y avoir qu’un seul monde, quand bien même il s’agit d’un monde hybride, phygital, afin que l’authenticité des actes ne puisse être remise en cause.

La capacité d’instrumenter des notaires est une compétence territoriale, originellement conçue comme l’obligation de résidence à la localisation de l’office, elle a été assouplie graduellement avant d'être définitivement abrogée par le décret (D. n° 88-815, 12 juill. 1988, art. 7). Même si l'article 4 de la loi de Ventôse subsiste, l'obligation de résidence ne concerne plus que la localisation de l'office, et non plus l'habitation proprement dite du notaire. Cette localisation a été essentielle pour la détermination de la compétence territoriale d'instrumentation du notaire. Cette règle à caractère d'ordre public est sanctionnée par la nullité de l'acte authentique ( D. n° 71-942, 26 nov. 1971, art. 9).

Cette disposition peut faire obstacle à l’intégration de la profession dans le métavers à moins de mettre en place un métavers souverain et d’alléger la règle.

Au regard de la technique contractuelle, le métavers est constitué avant tout de produits ou de services mis à disposition par des plateformes privées. Les règles du contrat auront donc vocation à s’appliquer. Ces règles qui seront soigneusement rédigées par des cabinets américains, seront-elles négociables ? Cette prévalence de la soft law est problématique à de multiples égards. Même si les terms sont la règle, cela ne veut pas dire que les lois étatiques sont écartées mais la rédaction se réalisera de façon à préserver les intérêts des multinationales. Voir en ce sens, La legal tech Septeo va faire son entrée par le biais de sa filiale Septeo Notaires (ex Genapi), lesnotaires dans le numérique.

Cette initiative se fera en deux temps. Dans un premier temps, elle s’incarnera sur Spatial avec une e-workroom Septeo Notaires. Dans un second temps, courant 2023, le service sera pleinement opérationnel avec notamment un e-bâtiment accessible à tous, joueurs ou notaires, via Sandbox. (https://itrmanager.com/communique/46806/septeo-notaires-ex-genapi-se-lance-sur-le-metaverse)

Le service public notarial, producteur d’actes authentiques, présent sur l’ensemble du territoire national contribue à préserver la souveraineté de l’État, cette dernière ne saurait se plier aux volontés des GAFAMI, l’intégration du métavers souverain est la seule option possible à l’exercice de la fonction sur ce support.

L’histoire de la construction de l’État est indissociable de sa main mise sur le notariat comme producteur de l’acte authentique. Les notaires sont producteurs de vérité officielle et les mentions de l’acte notarié sont tenues pour vraies. À ce titre, ils sont des acteurs de la souveraineté de l’État et ne peuvent être remplacés par la Blockchain. L’utilité de la Blockchain réside alors dans l’assurance que l’information est infalsifiable. Par son appropriation de la Blockchain, le notariat n’a fait que préserver le monopole de la vérité officielle.

Pour toutes ces raisons la mise en place d’un métavers souverain pour les besoins et pour un développement secure de la profession est une nécessité.

II - Le métavers l’occasion de réexaminer les outils dévolus à la profession.

A - La question de la confiance et de l’indépendance des notaires.

La transformation numérique du métier de notaire est confrontée à de nombreux enjeux concernant la protection des données, la signature numérique, l’automatisation de certaines tâches. Les notaires sont non seulement quotidiennement confrontés à la digitalisation de leurs activités, qui oblige à l’investir en cybersécurité, miser sur l’intelligence artificielle ou la blockchain, pour anticiper les premiers pas dans le métavers.

Il tombe sous le sens en observant la pratique que les entreprises de services du numérique (ESN) sont indispensables à l’exercice du notaire en raison des logiciels qu’elles mettent à disposition. Notons que les ESN sont devenues les « SS2I » de la profession (pour « société de services et d’ingénierie en informatique »). Ce recours incontournable aux logiciels met la profession dans une situation de dépendance vis-à-vis de quelques ESN. Le caractère féodal de l’écosystème numérique notarial s’est intensifié au fur et à mesure des années. Cette question mérite l’attention du législateur car elle se répercutera avec force dans le métavers. Ici encore la question du métavers souverain revient avec force est permettrait de reprendre la main perdue dans ce bras de fer avec ces intermédiaires pour organiser les interférences avec des SS2I sous l’égide de l’Etat dans le cadre d’un métavers public.

B - La question de la confiance dans la profession de notaire.

L’on a pu prétendre que le « cyberespace » pouvait se passer des notaires, notamment avec l’essor de la Blockchain, qui est un outil de sécurité informatique, mais pas synonyme de confiance. Cette architecture décentralisée où tous les participants détiennent et contrôlent de l’information (du moins, dans le cas des des blockchains publiques) est aussi caractérisé par l’anonymat : personne ne connait l’identité des autres. Il est impossible d’identifier les individus qui sont à l’origine des transactions. De plus, il y règne une atmosphère de méfiance où des opportunistes peuvent sévir. La Blockchain est pavée de mauvaises intentions... Il n’y a ni confiance institutionnelle, ni confiance interindividuelle.

La politique de confiance de la blockchain notariale a conduit à la mise en place d’une autorité de confiance numérique pour la fourniture de ces services. L’outil va désormais pouvoir se déployer dans diverses applications métiers, développées par le notariat et ses partenaires, au bénéfice des notaires et de leurs clients. Grâce à son organisation et l'usage de mécanismes de cryptographie très élaborés, la blockchain permet de certifier qu'une transaction est fiable et certaine. La blockchain notariale porte à court terme sur : la traçabilité de l'alimentation et de la consultation des datarooms électroniques ; le dépôt des datarooms électroniques dans le coffre-fort électronique de l'office ; le service sécurisé de transfert de fichiers volumineux ; la traçabilité des mouvements des actions des sociétés non cotées.

Au demeurant, la blockchain est porteuse d’une faille, car elle n’assure pas l’exactitude des informations enregistrées en son sein qui lui sont extérieures. À défaut de vérification des données avant leur enregistrement, celles-ci peuvent être fausses. Le registre de la blockchain devient un faux infalsifiable. Les notaires pourraient jouer ce rôle d’oracle pour la blockchain, leur participation tombe sous le sens car assurent déjà cette fonction auprès de l’État en établissant les actes authentiques, cette intervention n’est possible que pour la blockchain privé.

Les smarts contracts

Les smart contracts peuvent aussi être un outil dans l’exercice de la fonction de Métanotaire et avec encore plus d’efficacité avec une intelligence artificielle capable de vérifier et de mettre en œuvre les conditions de formation des contrats. Aujourd’hui, le blockchain ne connait aucun cadre juridique qui lui est affecté.

Le premier secteur impacté par le développement du métavers serait l’immobilier, et pour cause : en novembre 2021, une société leader sur le marché de l’investissement dans l’immobilier virtuel a acquis en cryptomonnaie plusieurs terrains numériques de Decentraland pour un montant équivalent à 2,43 millions de dollars. Le mois suivant, c’était au tour d’une entreprise concurrente d’acheter un terrain The Sandbox pour la somme record de 4,3 millions de dollars. En février 2022, le groupe français Carrefour a sauté le pas en achetant lui aussi plusieurs parcelles dans le même métavers. Les contrats de vente immobilière dans le métavers sont un eldorado pour les notaires.

La question des NFTs 

En effet, ici, le notaire à un rôle à jouer dans l’authentification de ces derniers, rôle largement embrassé par les avocats jusqu’à maintenant.

En matière successorale et matrimoniale, le métavers peut simplifier le règlement de successions, notamment dans le cadre des successions internationales. Ses fonctionnalités permettraient la réunion des héritiers lorsqu’ils vivent dans différents pays mais aussi des professionnels qui auraient besoin d’être mis en relation, notamment lorsque la succession comporte des biens situés à l’étranger. Mêmes remarques concernant les mariages mixtes entre une personne Française et une autre de nationalité étrangère et les mariages contractés à l’étranger : le métavers pourrait simplifier entre autres la procédure de divorce et la rendre plus « humaine » que ne les « simples » réunions en visioconférence actuelles.

Conseils :

- Une bonne connaissance de l’univers numérique et une formation continue dans le domaine pour en connaitre les particularités.

- Un champ d’action plus large que le blockchain.

- Des caractéristiques propres à assurer la confiance numérique.

- Un métavers souverain français ou européen pour le respect des principes régissant la profession de notaire comme représentant de la puissance publique.

Ghizlane Loukili, docteur en droit privé spécialité droit du numérique

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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