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Défense des salariés et dirigeants dans l’enquête interne : analyse de la proposition de loi Gauvain

En mars dernier, un collectif d’avocat publiait un rapport en faveur de la protection des salariés et des dirigeants soumis à une enquête interne (voir BRDA 7/21 inf. 29). Une proposition de loi reprend aujourd’hui certaines de ses recommandations. Dorothée Hever, avocate à l’origine de ce groupe de travail, analyse ces dispositions.


Par Dorothée HEVER, avocate au barreau de Paris, exerce au sein du cabinet Visconti & Grundler en matière de droit pénal des affaires
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©iStock

L’enquête interne est l’investigation mise en place au sein d'une société, concernant des faits susceptibles de constituer une infraction pénale, au cours de laquelle l’entité procède elle-même à la collecte de documents qui lui paraissent pertinents ainsi qu'à l’audition de ses employés et dirigeants pour tenter d’éclaircir les faits concernés. En mars dernier, un collectif d’avocat a souligné les risques inhérents à une telle procédure en ce qui concerne le respect des droits de la défense des personnes – salariés ou dirigeants – soumis à une telle enquête.

Une proposition de loi, déposée le 19 octobre 2021 par le député Raphaël Gauvain, reprend certaines des recommandations qui figuraient dans ce rapport.

Une importante avancée pour les personnes physiques exposées au sein des enquêtes internes

Indéniablement, cette proposition de loi constitue une avancée considérable pour les droits de la défense des personnes physiques visées par des enquêtes internes.

En effet, la proposition vient encadrer des enquêtes qui se déroulent à ce jour en France en l’absence de toute protection législative pour les personnes physiques dont la responsabilité pénale est recherchée.

Il importe à ce titre de rappeler que ces enquêtes présentent effectivement, en pratique, un risque pénal tangible pour ces personnes physiques. En particulier, en cas d’identification de responsabilités individuelles au cours d’une enquête interne mise en place dans le cadre d’une négociation avec des autorités (françaises ou étrangères), il existe un risque direct de poursuites pénales initiées contre elles par les autorités en question.

S’agissant des droits consacrés, la proposition de loi prévoit de manière très complète que :

  • toute personne convoquée dans le cadre d’une enquête interne ne peut être librement entendue que si cette convocation lui a été notifiée dans un délai raisonnable ;

  • la personne doit avoir été informée, à l’occasion de cette notification :

    • du droit de mettre fin à l’audition lorsqu’elle le souhaite ;

    • du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;

    • du droit de se faire accompagner par un avocat choisi par elle ;

    • le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;

    • de la durée maximale de l’audition.

  • toute audition donne lieu à la rédaction d’un procès-verbal, relu et signé par la personne auditionnée, à l’issue de l’audition, étant précisé que lorsque l’audition s’est tenue sur plus d’une journée, la personne auditionnée peut demander un délai supplémentaire pour relire et signer le procès-verbal ;

  • la personne auditionnée peut formuler des observations écrites qui doivent être annexées au procès-verbal d’audition ;

  • les personnes contre laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle ont participé aux faits sur lesquels portent l’enquête interne peuvent demander à consulter les éléments du dossier les concernant directement, dès réception de la convocation, et au moins trois jours ouvrables avant la tenue de l’audition ;

  • les personnes contre lesquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont participé aux faits concernés sont informées de la clôture de l’enquête.

Un outil de régulation des enquêtes étrangères extraterritoriales

Le Député Raphaël Gauvain a, depuis plusieurs années, à cœur de lutter contre les enquêtes extraterritoriales d’autorités de poursuite étrangères (en particulier américaines) qui, dans le cadre de la poursuite de leurs missions, peuvent s’approcher d’une entité soupçonnée d’avoir commis certains manquements ou infractions et lui proposer de coopérer avec elle, cette coopération consistant à mettre en place une enquête interne. Ainsi, dans son rapport du 26 juin 2019 intitulé « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », le Député Raphaël Gauvain dénonçait déjà les enquêtes internes échappant à tout contrôle du juge, rythmées par la pression qu'exercent certaines autorités étrangères afin d'obtenir de la part de l'entreprise à la fois un maximum d'éléments pour construire un dossier contre elle et la dénonciation des personnes physiques responsables au sein de l'entreprise. Il y indiquait notamment : « les entreprises faisant l’objet d’une enquête pour délinquance économique aux États-Unis expérimentent, depuis plusieurs décennies, une justice négociée. […]. Ces enquêtes ne sont limitées ni dans leur objet, ni dans le temps, ni dans l’espace, les autorités américaines pouvant à tout moment les étendre à d’autres faits, allonger la période concernée ou s’intéresser à des activités menées dans d’autres États ».

De manière cohérente avec cette position, la proposition de loi semble bien englober dans son périmètre les enquêtes internes mises en place dans le cadre d’une coopération avec une autorité de poursuite étrangère. En ce sens, la proposition pose une obligation d’information du procureur de la République ou du juge d’instruction français de l’ouverture de l’enquête interne. Les autorités de poursuite françaises étant naturellement informées des enquêtes internes mises en place dans le cadre d’une discussion avec elles, il semble que cette obligation ait donc bien été insérée dans le texte pour viser les cas d’ouverture d’une enquête interne ouverte en présence d’une enquête publique étrangère, afin d’assurer une information des autorités publiques françaises.

Il est cependant quelque peu regrettable :

  • d’une part, que les enquêtes étrangères ne soient pas explicitement visées par le texte. En particulier, tel que rédigé à ce jour (nécessité de se trouver dans une situation dans laquelle la personne morale est « mise en cause pour un ou plusieurs délits»), le texte pourrait être, à tort, interprété comme ne faisant référence qu’aux enquêtes internes mises en place dans le cadre d’une négociation avec une autorité de poursuite française. En effet, les statuts attribués aux « mis en cause » par des autorités étrangères peuvent diverger, a minima en leurs nuances, de ceux existant en droit français et la notion de « délit » pourrait être comprise comme ne faisant référence qu’à la seule catégorie d’infractions prévues par le droit français ;

  • d’autre part, que le texte ne s’applique pas aux enquêtes menées par des autorités administratives (telles que la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) américaine, à titre d’exemple). L’exposé des motifs de la proposition indique en ce sens que le nouvel encadrement « ne concerne donc pas les enquêtes internes diligentées par une personne morale en l’absence de toute procédure pénale ».

Une mise en œuvre pratique délicate en l’absence de sanction

La sanction « naturelle » du non-respect de ces nouveaux droits semblerait être la nullité (du procès-verbal établi dans l’irrespect des droits, ou, à défaut de procès-verbal, de l’acte retranscrivant ou résumant les déclarations recueillies, voire encore éventuellement des actes subséquents de l’enquête interne se fondant sur les propos recueillis, comme le rapport d’enquête interne).

Cependant, la sanction de la nullité se heurte en l’espèce à un problème majeur : celui de la quasi-impossibilité d’en faire état utilement.

En effet :

  • en présence d’une enquête française, la seule occasion de soulever une nullité pour la personne physique entendue, dans le cadre de l’enquête interne, en violation des nouveaux droits, serait lors de son renvoi devant une juridiction de jugement.

    Or, d’une part, le recours fréquent à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) pour la personne physique après la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) pour la personne morale exclut la possibilité de soulever une telle nullité (impossibilité de la soulever devant le juge de l’homologation et très faible probabilité qu’une personne physique renonce à une CRPC uniquement pour pouvoir soulever une nullité lors de son renvoi devant le Tribunal correctionnel).

    D’autre part et surtout, l’intérêt des nouveaux droits est d’anéantir tout document / procès-verbal faisant état des déclarations d’une personne physique entendue en violation de ses droits de la défense avant la conclusion du rapport final d’enquête et de la CJIP, le contenu de ceux-ci étant déterminant pour le sort des personnes physiques.

  • en présence d’une enquête étrangère, la situation est encore plus délicate. Il est en effet tout à fait improbable qu’un avocat étranger soulève et obtienne l’application d’une nullité française devant un tribunal étranger pour la violation du texte français, même en envisageant une éventuelle application de la loi française selon les règles du droit international privé. Il est rappelé en ce sens notamment que la loi de blocage française est régulièrement écartée par les juges américains, la considérant inopérante.

Il aurait été possible, éventuellement, d’envisager un nouveau cas de saisine du juge des libertés et de la détention (JLD), similaire à la procédure prévue pour constater l’irrégularité de la perquisition d’un organe de presse ou d’un cabinet d’avocat afin de procéder à la suppression de toute référence aux documents retranscrivant les déclarations des personnes physiques dans l’enquête interne en violation des droits prévus.  

En l’état, le texte ne prévoit aucune sanction du non-respect des nouveaux droits de la défense. Leur application pratique devra donc être observée avec d’autant plus de prudence.

En tout état de cause, il semble souhaitable que ce nouvel ensemble de droits de la défense proposé aujourd’hui par le Député Raphaël Gauvain devienne un standard, un modèle à appliquer en pratique dans tout type d’enquêtes internes.  

Par Dorothée HEVER, avocate au barreau de Paris, exerce au sein du cabinet Visconti & Grundler en matière de droit pénal des affaires

Pour en savoir plus sur cette question : écouter notre podcast 

Visionnez également nos vidéos 

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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