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[DOSSIER SPECIAL] Prix Jean Carbonnier 2021

Le prix Jean Carbonnier 2021 a été remis à Cecilia Rizcallah pour sa thèse « Le principe de confiance mutuelle en droit de l'Union européenne : un principe essentiel à l'épreuve d'une crise des valeurs ». Dans ce dossier, retrouvez les interviews de la lauréate, de Jean-Michel Sommer, président du jury et de Valérie Sagant, directrice de l'IERDJ.


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©Lefebvre-Dalloz

La Quotidienne : Cécilia Rizcallah, vous venez de remporter le Prix Jean Carbonnier 2021 pour votre thèse « Le principe de confiance mutuelle en droit de l’Union européenne : Un principe essentiel à l’épreuve d’une crise des valeurs ». Pouvez-vous nous en résumer le sujet ?

Cécilia Rizcallah : Ma thèse porte donc sur le principe de confiance mutuelle en droit de l’Union européenne. J’ai choisi de travailler sur ce thème car je me suis rendue compte, au cours de mes études en droit de l’Union, que ce principe était omniprésent et semblait jouer un rôle fondamental pour la coopération entre les états membres de l’Union européenne. En effet, on le sollicite tant en droit du marché intérieur, qu’en droit pénal européen, en droit de la coopération judiciaire civil et en droit de l’asile. Il y justifie une coopération renforcée entre les états membres de l’Union européenne.

Sa portée ne me semblait néanmoins pas tout à fait claire, en manque de conceptualisation. Le principe de confiance mutuelle constituait donc à mes yeux un principe encore obscur, bien qu’il soit utilisé de manière quotidienne en droit de l’Union européenne.

Dans les discours relatifs à cette confiance mutuelle, il était au demeurant expliqué que ce principe était fondé sur le fait que l’ensemble des Etats partagent un socle de valeurs communes, énumérées à l’article 2 du TUE, qui comprennent notamment les droits fondamentaux, l’Etat de droit et la démocratie… C’est parce que les Etats membres partagent les valeurs de démocratie, d’état de droit et de droits fondamentaux qu’ils sont appelés à se faire confiance.

Or, dans les faits, il m’apparaissait assez clairement que l’Union européenne traversait une crise des valeurs, en ce sens que de plus en plus d’États remettent en cause les valeurs libérales supposées cimenter le projet européen.

C’est précisément cette aporie qui m’a poussée à me lancer dans une thèse sur le sujet : il est demandé aux États membres de l’Union européenne de se faire mutuellement confiance parce qu’ils sont supposés partager les mêmes valeurs. Pourtant, dans les faits, l’Union européenne traverse une crise des valeurs, et le devoir de confiance ne semble pas être remis en cause en conséquence.

Il me semblait donc nécessaire de conceptualiser le principe de confiance mutuelle et de s’interroger sur son bien-fondé au regard de la crise qui menace les valeurs supposées le cimenter. Et j’ai donc commencé ce travail par la réalisation de cette thèse.

La Quotidienne : Quelles sont plus précisément les différentes parties constitutives de votre travail de recherche ?

Cécilia Rizcallah : J’ai commencé, dans la première partie de ma thèse, à tenter de définir le principe de confiance mutuelle de manière transversale en droit de l’Union. Pour ce faire, j’ai analysé l’ensemble des « lieux d’apparitions » de la confiance mutuelle, aussi bien dans les documents politiques que dans la jurisprudence de la Cour de justice.

Sur la base de cette étude, j’ai proposé une définition transversale et interdisciplinaire du principe de confiance mutuelle.

Selon ma thèse, le principe de confiance mutuelle se définit par la présomption de compatibilité « des solutions juridiques » nationales qu’il impose. Peuvent entrer dans la catégorie de « solution juridique nationale » aussi bien des normes nationales à portée générale, que des actes juridiques, des pratiques ou des situations juridiques passées ou futures, répétées ou ponctuelles.

De manière générale, les États membres sont tenus de considérer dans leurs relations horizontales, « sauf circonstances exceptionnelles », que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux garantis par ce droit.

Afin de mieux saisir la portée du principe de confiance mutuelle, je me suis également appuyée sur des travaux relatifs à la notion de confiance en sociologie. Sur la base notamment des travaux de Niklas Luhman, j’ai démontré que la confiance agissait comme un « réducteur de la complexité ». Cette complexité résulte en droit de l’Union de l’existence de plusieurs ordres juridiques qui régissent un même espace européen. Traduite en principe juridique, la confiance fluidifie ainsi la coopération entre les États membres. Il permet en effet une coopération facilitée entre les autorités nationales en rendant superflu le contrôle mutuel systématique.

La fluidité ainsi gagnée implique néanmoins la prise volontaire d’un risque, qui concrétisé, résulte dans une perte. La mise en œuvre du principe de confiance mutuelle s’apparente en effet à un pari, qui peut se solder par une perte.  – On pari que les Etats membres respectent les valeurs communes – Cette ouverture à la sociologie m’a donc permise de mieux identifier le rôle ainsi que les dangers suscités par le principe étudié.

Dans la deuxième partie de la thèse, j’ai analysé le lien qui unit le principe de confiance mutuelle et les valeurs fondatrices de l’Union.

Le premier titre de cette partie démontre que le principe de confiance mutuelle est effectivement fondé, selon le discours des institutions de l’Union, sur la prémisse selon laquelle l’ensemble des États membres partagent un socle de valeurs communes.

Toutefois, en examinant la situation dans les Etats membres, j’ai constaté la faiblesse de la capacité « instituante » de cette prémisse : en effet, bien que l’affirmation selon laquelle les États membres partagent une communauté de valeurs puisse participer à son émergence, force est en réalité d’observer qu’elle n’en constitue pas la garantie.

A cet égard, si le droit est un « instrument de changement » propre à influencer les faits qu’il réglemente, il demeure cependant tributaire de son effectivité.

Or, l’enchaînement de défis majeurs auxquels sont confrontés l’Union et les États membres en matière économique, de sécurité, ou encore de migration a révélé des divisions profondes quant aux valeurs supposées cimenter le projet européen. Ces dissensions ont été jusqu’à entraîner l’existence de défaillances généralisées en termes de protection de ces valeurs dans certains États membres.

Le second titre de cette partie constate, quant à lui, que le système de limitation qui encadre le principe de confiance mutuelle ne permet pas toujours d’y faire exception en cas de risque de violation de ces valeurs. C’est en effet seulement dans certaines circonstances, dites « exceptionnelles », qu’un risque de violation des valeurs fondatrices peut justifier d’écarter le devoir de confiance. Bien que la communauté de valeurs constitue un fondement incertain, le devoir de confiance reste le principe. Ainsi, les Etats membres sont toujours appelés à collaborer étroitement, sans se contrôler mutuellement, alors qu’il existe des risques concrets de violation des valeurs. A titre d’exemple, le mécanisme du mandat d’arrêt européen continue d’être appliqué quasiment automatiquement, alors qu’il existe des violations notoires de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants dans les systèmes carcéraux d’un nombre croissant d’états membres.  

Ce constat, sur lequel se clôt la deuxième partie de la thèse, dévoile ainsi la fragilité théorique du principe de confiance mutuelle, ainsi que les menaces que celui-ci peut faire peser pour les droits fondamentaux des individus.

Après avoir démontré l’existence de ce problème, j’ai voulu poursuivre ma réflexion en apportant des pistes de solution : nous avons un principe qui joue un rôle dans presque tous les domaines du droit de l’Union. Son fondement est toutefois en crise, et en raison de cette situation, il met d’autres impératifs de la construction européenne en péril : en particulier, ceux tenant à la protection des droits fondamentaux et de l’Etat de droit.

La troisième partie de la thèse s’interroge dès lors d’abord sur la nécessité de maintenir le principe de confiance mutuelle. En d’autres termes, ma question était la suivante : vu la fragilité du fondement du principe de confiance mutuelle et les risques qu’il génère pour les valeurs fondatrices, est-il justifié de maintenir son utilisation ?   

Au terme de l’examen du rôle transversal du principe de confiance mutuelle, j’ai démontré par le premier titre de cette partie qu’il constitue un principe essentiel pour la construction européenne. Il permet en effet d’allier trois de ses impératifs primordiaux : l’unité, la diversité et l’égalité entre les États membres.

En pratique, le principe de confiance mutuelle permet en effet de reconnaître la fongibilité des solutions juridiques nationales, de sorte qu’elles puissent être exportées, sur un pied d’égalité, à travers l’espace européen. Malgré la sauvegarde des diversités substantielles et procédurales nationales, les frontières qui séparent les États membres sont fictivement estompées afin que – à gros traits – la solution juridique de l’État A ne rencontre pas d’obstacle pour pénétrer l’ordre juridique de l’État B. Le principe de confiance mutuelle permet, de cette manière, d’unifier les ordres juridiques nationaux qui demeurent distincts et égaux.

Comme nous l’avons déjà constaté, ce gain en fluidité a néanmoins un prix : le risque qu’il génère en raison de l’absence de contrôle mutuel des solutions juridiques. Ce risque, s’il se réalise, peut entraîner la contagion de solutions juridiques incompatibles avec les valeurs fondatrices au sein de l’espace européen sans frontières.

Ma thèse s’est alors achevée sur un terrain proprement prescriptif : au lieu de proposer l’abandon du principe de confiance mutuelle, qui constitue selon moi comme je le disais un principe essentiel de l’Union – j’ai proposé une nouvelle méthode d’application de ce principe qui permettrait de limiter les risques qu’il génère.

La Quotidienne : Pouvez-vous nous en dire plus sur cette nouvelle méthode d’application à laquelle vous avez aboutie à l’issue de votre travail ? 

Cécilia Rizcallah : Plus précisément, je propose de faire passer la confiance mutuelle du rang de postulat à celui de méthode.  Cette méthode est ancrée dans la discipline interdisciplinaire de l’analyse du risque qui offre des clés pour caractériser, apprécier et gérer les risques dans le cadre de politiques publiques.

D’une part, une méthode d’application « abstraite » pour les acteurs qui adoptent des actes de portée générale et abstraite mettant en œuvre le principe de confiance mutuelle a été proposée. L’exigence centrale posée par celle-ci requiert que soit laissée, dans ces instruments, une certaine marge de manœuvre pour les acteurs les appliquant au cas par cas lorsque les valeurs fondatrices de l’Union sont exposées.

D’autre part, une méthode d’application « concrète » a été développée à l’intention de ces acteurs qui sont appelés à appliquer, dans des cas particuliers, le principe de confiance mutuelle à travers la mise en œuvre d’instruments de droit de l’Union qui le concrétisent. Ici, la méthode aborde notamment la question de la charge de la preuve dans le cadre d’un litige où les droits fondamentaux seraient mis en danger par le principe de confiance mutuelle.

Si cette proposition de méthode ne résout certainement pas l’ensemble des difficultés soulevées par le principe de confiance mutuelle, j’espère avoir ainsi mis en lumière certains moyens qui permettraient de protéger davantage les valeurs fondatrices de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux.

Entretien avec Jean-Michel Sommer, président du jury du prix Jean Carbonnier 2021

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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