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Harcèlement moral : la Cour de cassation refait le point sur l'office du juge du fond

Avant de se pencher sur l'existence d'un harcèlement moral, les juges du fond ne peuvent pas exiger d'un salarié qu'il prouve avoir subi un préjudice en résultant, lequel n'est pas automatique. D'autant qu'en matière de harcèlement moral, l'appréciation de l'importance du préjudice peut parfois résulter de la seule constatation des faits.

Cass. soc. 15-2-2023 n° 21-20.572 F-B, B. c/ Sté Serviclean


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©Gettyimages

Un salarié protégé se prétend victime de harcèlement moral

Un salarié, embauché en qualité d'agent qualifié propreté, et titulaire d'un mandat de délégué du personnel, a fait l'objet d'une mesure de mutation disciplinaire puis a été l'objet d'une procédure de licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire. Saisi, l'inspecteur du travail refuse d'accorder l'autorisation de licencier. Le salarié a donc repris son poste avec un avertissement de l'employeur. 

Le salarié a alors saisi la juridiction prud'hommale afin d'obtenir des dommages et intérêts au titre d'un harcèlement moral. En appel, la cour a écarté sa requête. La Cour de cassation est saisie. 

Quelle est la démarche du juge ?

L'intérêt principal de cet arrêt est de rappeler la démarche qui s'impose aux juges du fond lorsqu'ils sont saisi d’une demande fondée sur un harcèlement (moral, en l’occurrence, mais il en irait de même pour un harcèlement sexuel, puisque ces deux sortes d’agissements illicites relèvent du même article L 1154-1 du Code du travail), tout en soulignant les erreurs que le juge du fond ne doit pas commettre. 

La Cour de cassation censure ainsi la cour d'appel et renvoie aux principes qui régissent le mode de preuve partagée applicable en matière de harcèlement et déjà affirmés par des décisions antérieures (Cass. soc.  8-6-2016 n° 14-13.418 PBRI ; 8-7-2020 n° 18-24.320 FS-PB). Elle rappelle les trois étapes que doit observer le juge : 

  • vérification de la matérialité de tous les éléments invoqués ; 

  • analyse de ces faits afin de déterminer s’ils permettent de présumer un harcèlement ; 

  • si tel est le cas, examen des justifications produites par l’employeur afin de prouver que sa décision repose sur des éléments objectifs et étrangers à tout harcèlement. 

En l’espèce, le salarié invoquait de nombreux griefs à l’encontre de son employeur qui étaient de nature à faire présumer un harcèlement si leur matérialité était établie : suppression d’une prime, intégrée au salaire ; nombreuses sanctions dont une mutation disciplinaire illicite au regard de son mandat de délégué du personnel ; engagement d’une procédure de licenciement ; non-paiement de salaires ; méconnaissance de ses mandats et de son statut protecteur. 

Mais, au lieu de se prononcer sur ces éléments, la cour d’appel a rejeté la demande en retenant uniquement qu’il n’était pas justifié d’un préjudice, lequel ne pouvait pas être « automatique ». Cette motivation ignore bien le régime probatoire propre à la matière, qui oblige le juge à se prononcer sur les faits qui lui sont soumis comme constitutifs d’un harcèlement et sur les explications que fournit pour sa part l’employeur mis en cause.  

A noter :

La même règle s'applique en matière de discrimination, relevant d’un régime probatoire similaire en vertu de l’article L 1134-1 du Code du travail. La chambre sociale a ainsi cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui, sans analyser les faits qui lui étaient soumis en vue de caractériser une discrimination liée à l’âge, à l’activité syndicale et à la santé d’un salarié, s’était bornée, pour rejeter sa demande, à constater que ce dernier ne justifiait pas d’un préjudice moral (Cass. soc. 6-7-2022 n° 21-12.073 F-D) alors que la cour d’appel devait au préalable rechercher si les faits présentés ne laissaient pas supposer l’existence d’une discrimination et, dans l’affirmative, si l’employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (dans ce sens :  Cass. soc. 29-6-2011 n° 10-15.792 FS-PB). 

Derrière cette justification, le raisonnement de la cour d'appel était probablement que si la preuve d’un préjudice ne peut pas être apportée, l’action du salarié ne peut pas aboutir, de sorte qu’il serait alors vain de vérifier si les éléments invoqués étaient bien de nature à caractériser un harcèlement moral, d’autant que la doctrine du « préjudice nécessaire » a été abandonnée en 2016 (Cass. soc. 13-4-2016 n° 14-28.293 FS-PBR). C’est sans doute à ce retour au pouvoir souverain d’appréciation du préjudice reconnu aux juges du fond que faisait référence l’arrêt d’appel en énonçant qu’il n’existait pas de préjudice automatique. 

Cependant, outre qu’un certain nombre d’exceptions ont été depuis admises, on peut considérer que la caractérisation du préjudice - qui peut être moral - et l’appréciation de son importance peuvent résulter de la seule constatation de faits dont il ne serait pas raisonnable de déduire qu’ils n’ont occasionné aucun dommage psychologique ou professionnel. 

En outre, il doit être tenu compte des exigences de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui assimile le harcèlement à une forme de discrimination et prescrit aux Etats membres de prévoir des sanctions qui peuvent comprendre le versement d’indemnité à la victime et qui doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives ». Il se peut donc que la jurisprudence soit amenée un jour à juger qu’un harcèlement moral avéré ouvre droit à réparation, comme elle l’a fait en matière de dépassement de la durée maximale du travail, au visa de la directive n° 2003/88/CE et en considération de l’interprétation de la CJUE, déduisant l’existence d’un préjudice d’une atteinte à la sécurité et à la santé du salarié (Cass. soc. 26-1-2022 n° 20-21.636 FS-B).  Et, à cet égard, il est difficilement contestable qu’un harcèlement moral affecte en soi la santé et la sécurité de celui ou de celle qui en subit les effets.

Documents et liens associés

Cass. soc. 15-2-2023 n° 21-20.572 F-B, B. c/ Sté Serviclean

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