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Procédure de « pre-trial discovery » : une nouvelle étape dans la communication de pièces vers les Etats-Unis

La procédure américaine de « discovery » permet à une partie de demander la production de preuves situées sur le territoire français. Les règles sur la protection des données personnelles et la loi de blocage peuvent constituer un obstacle à cette procédure, vient de juger un tribunal américain. Explications par Me Mongin-Archambeaud.


Par Lucie MONGIN-ARCHAMBEAUD, Avocat associé Cabinet Osborne Clarke
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©Gettyimages

Avocat associé au sein du département Contentieux/Ethique des affaires du cabinet Osborne Clarke, Lucie Mongin-Archambeaud connaît tous les types de contentieux susceptibles de survenir dans le cadre de la vie de l’entreprise (contentieux commerciaux, corporate et pénaux) et conseille les dirigeants et les entreprises sur les problématiques d’éthique des affaires (enquêtes internes, système d’alerte, conflits d’intérêts, loi Sapin 2).

Lorsque des entreprises françaises sont impliquées dans des procès à l’étranger, et plus particulièrement aux Etats-Unis, des demandes de documents ou d’informations se trouvant sur le territoire français peuvent leur être adressées.

La procédure de discovery aux Etats-Unis

Chaque partie peut exiger la divulgation d’éléments de preuve, mais aussi d’éléments « pouvant être susceptibles de faciliter l’établissement de preuves », quel que soit le lieu où se trouvent ces preuves (Federal rules of civil procedure rule 26).

C’est la procédure de « pre-trial discovery », qui permet à une partie de demander à l’entreprise défenderesse ou à des tiers des documents ou des éléments d’information pertinents dans le cadre de la recherche de preuves pouvant être utilisées dans un procès, quand bien même la production de ces éléments lui serait défavorable.

La partie requise est alors tenue de transmettre tous les éléments de preuve dont elle dispose, faute de quoi elle s’expose à de sanctions sévères, le juge américain ayant la possibilité de (Federal rules of civil procedure rule 37) :

  • considérer les faits allégués comme établis au détriment de l’entreprise défenderesse ;

  • juger la défenderesse par défaut sans possibilité pour elle de faire valoir ses droits de la défense ;

  • surseoir à statuer dans l’attente de l’exécution de la procédure de discovery ;

  • même condamner la défenderesse pour outrage à la justice (« contempt of court »).

Toutefois, lorsque les documents sont demandés à une partie étrangère, cette production de pièces aux Etats-Unis peut se révéler contraire à une loi étrangère (sur cette question, L. Mongin-Archambeaud et L. Champetier,Collecte de preuves : de la procédure américaine de « discovery » à l'entraide internationale : RJDA 5/21 p. 411).

La juridiction américaine procède alors à l’analyse des intérêts en présence afin de déterminer si l'intérêt des Etats-Unis d’obtenir une communication de documents l’emporte sur l'intérêt de la partie étrangère de se conformer à la loi étrangère applicable.

Une décision récente ordonnant la communication de pièces

Une décision récente et définitive rendue par le Tribunal du district du sud de New York du 23 mai 2022 est particulièrement éclairante quant à la manière dont les juridictions américaines appréhendent la loi française à cet égard.

Les décisions en matière de droit de la preuve dans les litiges franco-américains sont suffisamment rares pour mériter d’être commentées.

L’on se souvient de l’accord intervenu en 2014 entre BNP Paribas et le US Department of Justice (DOJ) notamment, aux termes duquel BNP Paribas a accepté de s’acquitter d’un montant total de 8,97 milliards de dollars pour régler de manière définitive l'enquête portant sur certaines transactions en dollars concernant des pays soumis aux sanctions des Etats-Unis.

Dans le cadre de cet accord, BNP Paribas a reconnu sa responsabilité (« guilty plea ») pour avoir enfreint certaines lois et réglementations des Etats-Unis relatives à des sanctions économiques à l’encontre de certains pays et aux enregistrements des opérations liées.      

En 2016, une action civile a été engagée par des victimes du génocide au Soudan. Réclamant réparation du préjudice subi, ces dernières ont demandé la dépseudonymisation de documents français qui avaient été transmis au DOJ dans le cadre de l’enquête pénale.

Les victimes avançaient que la dépseudonymisation du nom des salariés, des clients de la banque et des entités concernées leur permettrait d’obtenir des informations utiles à la résolution du litige.

Au contraire, BNP Paribas considérait notamment que la loi de blocage comme la réglementation liée aux données personnelles s’opposaient à la dépseudonymisation.

Pour trancher la question de la dépseudonymisation des informations, le Tribunal a évalué la contrariété des intérêts en présence.

Il s’est fondé sur l’arrêt Aérospatiale de 1987 (Société Nationale Industrielle Aérospatiale v. US District Court for the Southern District of Iowa, 482 U.S. 522) par lequel la Cour suprême a déterminé plusieurs critères sur la base desquels le juge du fond pouvait se livrer à une analyse des intérêts en présence (« Comity test »), notamment :

  • l’importance des documents ou des informations demandées dans la résolution du litige (« the importance to the litigation of the documents or other information requested ») ;

  • le degré de précision de la demande (« the degree of specificity of the request ») ;

  • l’existence de moyens alternatifs pour se procurer l’information (« the availability of alternative means of securing the information ») ;

  • le risque que l’absence de communication ferait courir aux intérêts américains ou le risque que la communication engendre pour les intérêts majeurs du pays dans lequel se trouvent les informations sollicitées (« the extent to which noncompliance with the request would undermine important interests of the United States, or compliance with the request would undermine important interests of the state where the information is located »).

Il a également pris en considération la bonne foi avec laquelle les parties s’opposaient à la procédure de discovery ainsi que le sérieux des sanctions encourues en cas de divulgation (First Am. Corp. V. Price Waterhouse LLP, 154 F.3d 16 (2d Cir. 1998)).

Dans sa décision, le Tribunal a jugé que les deux premiers critères tendaient au refus de communication des informations dans la mesure où les plaignants n’avaient pas démontré l’importance de la dépseudonymisation dans la résolution du litige.

Concernant le troisième critère, la décision est particulièrement intéressante en ce qu’elle reconnaît que les demandeurs disposaient d’un autre outil leur permettant d’obtenir les pseudonymes contenus dans les documents, par le biais de la Convention de La Haye.

Mais c’est surtout au regard du quatrième critère, à savoir la comparaison des intérêts en présence des Etats-Unis face à ceux de la France, et la question des difficultés auxquelles serait confrontée BNP Paribas en cas de communication des documents, que la décision est particulièrement intéressante.

L’obstacle du transfert de données personnelles

L’un des experts sollicités par BNP Paribas, le Professeur Noëlle Lenoir, a insisté sur l’importance de la réglementation en matière de données personnelles sur les plans national (Loi 78-17 du 6-1-1978, dite « Loi informatique et libertés ») et européen (Règl. UE 2016/679 du 27-4-2016, dit « RGPD »).

Jusque-là, les juridictions américaines semblaient faire fi de cette réglementation.

A titre d’exemple, dans des procédures de « discovery » exigeant la communication de documents concernant des citoyens du Royaume-Uni et de Pologne impliqués dans un litige aux Etats-Unis, les juridictions ont jugé que l’importance des documents pour le litige américain était supérieure à la nécessité de se conformer au RGPD (Rollins Ranches LLC v. Watson, No. 0 :18-cv-03278, 2020 BL 19242 [D.S.C. 22 May 2020] ; Giorgi Global Holdings v. Wieslaw Smulski, No. 17-4416, 2020 BL 190347 [E.D.P.A. 21 May 2020]).

Dans l’affaire commentée, le Tribunal a au contraire été convaincu de l’importance de cette réglementation pour plusieurs raisons.

Le tribunal a été convaincu de l'importance de la réglementation sur les données personnelles

Tout d’abord, il a rappelé que le droit à la protection des données personnelles était un droit fondamental au sein de l’Union européenne (Charte des droits fondamentaux de l'UE du 18-12-2000 art. 8 et Traité UE art. 16-1).

Ensuite, il a relevé le niveau particulièrement élevé de sanction encourue en cas de violation de la réglementation sur les données personnelles. Outre les textes sanctionnant pénalement la violation des données personnelles (C. pén. art. 226-22 et 226-22-1), il convient en effet de rappeler que :

  • la violation des dispositions du RGPD fait l’objet d'amendes administratives pouvant s'élever jusqu'à 20 millions d'euros, ou, dans le cas d'une entreprise, jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires annuel mondial total de l'exercice précédent (art. 83) ;

  • la Cnil a prononcé des amendes administratives d’un montant très important (746 millions d’euros pour Amazon le 15 juillet 2021, 35 millions d’euros pour H&M le 5 octobre 2020, ou encore 500 000 euros d’amende en novembre 2019 à l’encontre d’une société qui avait transféré des données personnelles vers des pays tiers qui n’assuraient pas le niveau de protection adéquat).

Enfin, l’arrêt Schrems II du 16 juillet 2020 (CJUE 16-7-2020 aff. 311/18 : RJDA 11/20 n° 621 ; R. Vandermeeren, Coup d’arrêt en matière de transfert de données personnelles : BRDA 18/20 inf. 25) a certainement joué un rôle dans la décision du Tribunal en renforçant l’obstacle tiré de l’interdiction du transfert de données personnelles.

La Cour de justice de l’Union européenne a en effet prononcé l’invalidation de l’accord « Privacy Shield » qui liait les Etats-Unis à l’Union européenne en vue de simplifier les transferts de données personnelles (CJUE 16-7-2020 n° 311/18 précité). Elle a justifié sa décision en indiquant que la législation américaine ne garantissait pas de manière adéquate la protection des données personnelles en provenance de l’UE.

L’obstacle d’une loi de blocage renforcée

La loi 68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication des documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, telle que modifiée par la loi 80-538 du 16 juillet 1980, dite « loi de blocage » (ou « loi Preuves »), pose une interdiction générale de communication d’informations qui pourrait porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité et aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public (Loi 68-678 26-7-1968 art. 1), et une interdiction spéciale qui tend à sanctionner le contournement des procédures d’obtention de preuves consacrées par la Convention de La Haye (Loi 68-678 art. 1 bis).

L’entreprise française qui se conforme à l’injonction de communication dans le cadre de la procédure de « pre-trial discovery » encourt une sanction pénale, à savoir six mois d’emprisonnement et une amende de 18 000 € pour les personnes physiques et de 90 000 € pour les personnes morales (Loi 68-678 art. 3).

Pour mémoire, dans l’affaire « Aérospatiale », la loi de blocage n’avait pas été considérée comme constituant un obstacle à l’obtention des preuves demandées et avait été écartée, notamment au motif qu’elle n’avait jamais été appliquée.

La juridiction américaine avait jugé que les intérêts des Etats-Unis d’obtenir une communication exhaustive de documents devaient l’emporter sur les intérêts des parties françaises de se conformer aux dispositions de la loi de blocage.

Depuis lors, ainsi que le Professeur Noëlle Lenoir le rappelait dans sa déclaration devant Tribunal du district du sud de New York, la situation juridique a évolué.

Dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour de cassation a appliqué, pour la première fois, les sanctions pénales prévues par la loi de blocage en condamnant un avocat français qui avait effectué des démarches dans le but de connaître les circonstances dans lesquelles le conseil d'administration d'une société française avait pris la décision d'acquérir une société étrangère « sans disposer d'un mandat autorisé prévu par la Convention de La Haye du 18 mars 1970 » (Cass. crim. 12-12-2007 n° 07-83.228).

Par ailleurs, ces dernières années, le Gouvernement français n’a cessé de manifester son intérêt renouvelé pour la loi Preuves (Rapport de R. Gauvain, « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », 26-6-2019 : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/194000532.pdf).

Le Parlement français a aussi réaffirmé l’importance attachée à cette loi en créant l’Agence française anticorruption (AFA) en 2016, qui a notamment pour mission de veiller à ce que les informations transmises à une autorité étrangère en cas de convention judiciaire d'intérêt public ne contreviennent pas à la loi Preuves.

Enfin, la création du Service de l’information stratégique et la sécurité économique (SISSE) en 2016, qui a le pouvoir de signaler au Parquet une violation de la loi Preuves, démontre l’importance de cette loi.

C’est logiquement que le Tribunal du district sud de New York a conclu à la légitimité du refus de dépseudonymisation en se fondant sur ces évolutions juridiques européennes récentes, en matière tant de données personnelles que de loi Preuves.

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© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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