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Professionnels libéraux : le paiement tardif des cotisations ne prive plus des droits à pension de retraite

Les cotisations de retraite de base des professionnels libéraux acquittées plus de 5 ans après leur date d’exigibilité, mais avant la liquidation de la pension, doivent être prises en compte pour le calcul des droits. Ainsi vient d’en décider la Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence en la matière.

Cass. 2e civ. 2-6-2022 n° 21-16.072 FS-BR, C. c/ Cipav


Par Valérie BALLAND
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©Gettyimages

L’article R 643-10 du CSS, applicable à l’ouverture des droits et à la liquidation de la pension de retraite de base des professionnels libéraux, dispose que, lorsque les cotisations arriérées n’ont pas été acquittées dans le délai de 5 ans suivant la date de leur exigibilité, les périodes correspondantes ne sont pas prises en considération pour le calcul de la pension de retraite.

Cette disposition porte-t-elle atteinte au droit au respect des biens tel qu’il résulte de l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ? Telle était la question posée à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans cet arrêt opposant un professionnel libéral retraité à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (Cipav).

Aux termes de ce texte, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions, ou des amendes.

La perte des droits à pension pour paiement hors délai des cotisations…

En l’espèce, l’assuré s’était vu priver par sa caisse d’une partie de sa retraite de base en raison du non-paiement dans le délai légal imparti de cotisations d’assurance vieillesse arriérées.

Faisant une stricte application de l’article R 643-10 du CSS, et dans le droit fil de la jurisprudence de la deuxième chambre civile en la matière (Cass. 2e civ. 10-12-1992 n° 90-11.706 P ; Cass. 2e civ. 17-12-2015 n° 14-29.323 F-D : RJS 3/16 n° 209), la cour d’appel a donné gain de cause à la Cipav.

Elle a ainsi considéré que le délai de 5 ans, bien supérieur au délai de grâce maximal que le juge civil peut accorder à un débiteur, ne paraît pas être d'une rigueur excessive à l'endroit du cotisant et lui permet de régulariser effectivement sa dette pour préserver ses droits futurs. Si le retard de paiement de cotisations peut, de manière générale en droit de la sécurité sociale, entraîner des majorations de retard et des pénalités, ce mécanisme n'exclut pas en matière de retraite l'existence d'une sanction plus lourde touchant à l'étendue des droits à pension acquis.

La cour d’appel en a déduit que le versement de l'intégralité des cotisations est un préalable légal à l'ouverture des droits à la pension de retraite et que la réduction du montant de cette pension de retraite au regard des cotisations versées plus de 5 ans après leur date d'exigibilité instituée par l'article R 643-10 du CSS n'est pas incompatible avec la protection du droit de propriété instituée par le droit européen.

Invoquant l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’assuré faisait valoir, à l’appui de son pourvoi, que le dispositif de l'article R 643-10 du CSS constitue une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés au régime, en ce qu'il porte une atteinte à la substance de leurs droits à pension, en les privant de pension de retraite s'ils ne justifient pas du paiement de leurs cotisations dans les 5 ans suivant leur date d'exigibilité, et ce, alors même qu'ils ont déjà réglé des majorations et pénalités de retard. Une ingérence qui contrevient notamment au caractère contributif des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse, dont le régime d'assurance vieillesse des indépendants fait partie. Pour lui, l'intérêt légitime attaché au recouvrement des contributions sociales, comme l'équilibre financier des régimes concernés, ne justifient pas une atteinte disproportionnée aux droits des assurés, telle la privation totale d'une allocation de subsistance venant en contrepartie de cotisations effectivement versées, même avec plus de 5 ans de retard, durant des périodes d'activité.

… constitue une atteinte disproportionnée au droit de propriété des assurés

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation donne raison à l’assuré et casse l’arrêt d’appel, opérant ainsi un revirement par rapport à sa jurisprudence antérieure. Après avoir rappelé au préalable les termes de l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la Haute Juridiction considère tout d’abord que le droit individuel à pension d'une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application de ces dispositions, qui impliquent un rapport raisonnable de proportionnalité, exprimant un juste équilibre entre ce droit individuel et les exigences de financement du régime de retraite considéré.

Elle estime ensuite que le dispositif de l’article R 643-10 du CSS, en tant qu'il exclut toute prise en considération, pour le calcul de la pension de retraite de base, des cotisations acquittées plus de 5 ans après leur date d'exigibilité, constitue une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés à ce régime en portant atteinte à la substance de leurs droits à pension. Si cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne, accessibles, précises et prévisibles, poursuit un motif d'intérêt général dès lors qu'elle contribue à l'équilibre financier de ce régime de retraite par répartition et qu'elle est de nature à inciter les cotisants à la célérité dans le paiement de leurs cotisations obligatoires, les points acquis en contrepartie du paiement des cotisations doivent toutefois être regardés comme l'étant au fur et à mesure de leur versement.

Dès lors, le défaut de prise en compte des cotisations payées au-delà du délai de 5 ans suivant leur date d'exigibilité, mais avant la liquidation du droit à pension, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu'elle poursuit et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En conséquence, la cour d’appel aurait dû écarter, en l’espèce, l'application de l'article R 643-10 du CSS. 

A noter :

La deuxième chambre civile abandonne ici sa jurisprudence faisant une interprétation stricte de l’article R 643-10 du CSS (voir ci-dessus). Elle se démarque également de l’analyse de la chambre sociale qui, dans un arrêt de 2001, avait retenu que l’article R 643-14 du CSS (devenu depuis lors R 643-10) ne méconnaissait pas les exigences du droit au respect des biens au sens du droit européen (voir ci-dessus). La chambre sociale avait en effet décidé que n’était pas attentatoire à ce droit le règlement d'un régime de retraite par répartition, tenu d'assurer son équilibre financier et dont les prestations sont versées chaque année au moyen des cotisations recouvrées, qui prévoyait que les cotisations versées avec plus de 5 années de retard ne seraient pas prises en considération pour la détermination des droits à pension (Cass. soc. 11-5-2001 n° 99-20.420 FS-P : RJS 7/01 n° 951).

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Cass. 2e civ. 2-6-2022 n° 21-16.072 FS-BR, C. c/ Cipav

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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