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Quelques mots sur le projet de réforme du droit des contrats

Les entretiens du droit des sociétés des Avocats Conseils d’entreprises (ACE), qui se sont déroulés le 12 novembre 2015, ont eu pour thème les incidences du projet de réforme du droit des contrats sur les cessions d’entreprise. Les interventions sont publiées au BRDA 1/16. Retrouvez ici l’une d’elles, dans laquelle le Professeur Couret dresse le « portrait-robot » du projet de réforme.


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1. L’objectif de cet article liminaire est de jeter un éclairage rapide sur la réforme à venir des obligations avant que l’on entre dans l’examen technique de certaines dispositions. Essayons de répondre à quelques questions simples :

  • - Pourquoi une réforme ?

  • - Suivant quelle méthode ?

  • - Que trouve-t-on dans cette réforme ?

  • - Que n’y trouve-t-on pas que l’on aurait pu y trouver ?

Pourquoi une réforme ?

2. On a déploré  le vieillissement du Code civil : la discordance aujourd’hui est évidente entre le Code civil et le droit positif des contrats. Dans bien des cas, on est loin des objectifs initiaux des rédacteurs du Code. Le juge n’est plus sur bien des points la bouche de la loi.

On a stigmatisé les silences du Code civil, et notamment son peu d’intérêt pour la période précontractuelle qui est essentielle en matière de fusions et acquisitions (M&A). La durée dans la formation du contrat n’est pas intégrée : le Code attache la perfection à l’échange des consentements. Le vocabulaire anglais a investi cet espace et, avec le vocabulaire, la tentation vient vite de raisonner avec la logique d’autres droits. Or le vocabulaire n’est jamais neutre. Il véhicule des concepts, comme l’a remarquablement montré Claude Hagège (« Contre la pensée unique », Ed. Odile Jacob, 2012). De même, la question de l’exécution des obligations est datée et appelle d’autres formulations. Le fait que le véritable droit des obligations n’est pas dans le Code a été souvent déploré. Ce droit se trouve dans les recueils de jurisprudence ou, de manière plus concrète, dans les ouvrages de doctrine. Mais ces ouvrages sont inévitablement construits sur des bases subjectives car ils sont le reflet des convictions de l’auteur.

L’actuel droit des obligations n’est plus facilement accessible

Les conséquences de ces constats sont que le droit des obligations n’est plus facilement accessible (question de l’intelligibilité de la loi) ; il n’offre pas une sécurité suffisante aux acteurs, notamment par manque de prévisibilité ; il ne permet pas de réaliser une véritable justice contractuelle, peut-être également est-il insuffisamment attractif.

Suivant quelle méthode ?

3. Le projet se situe à la confluence de tendances lourdes si on l’aborde sous un angle méthodologique. Quatre illustrations de ces tendances peuvent être données.

4.Le support choisi pour la réforme. On ne reviendra pas longtemps ici sur le choix de la réforme par voie d’ordonnance, méthode qui a été très largement discutée et contestée par le Sénat. Mais, comme on l’a déjà beaucoup rappelé, la tradition française en matière de Codes est plutôt autoritaire. Un débat sera toutefois ouvert lors de la discussion de la loi de ratification. Le recours à la technique de l’ordonnance tend à se généraliser dès lors que la matière abordée a un très fort contenu technique.

5.La volonté de mettre en exergue des principes généraux. Ce sont d’abord ici les articles 1102 et 1103 du projet. Art. 1102 : « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ».  Art. 1103 : « Les contrats doivent être formés et exécutés de bonne foi ».

Ensuite, on trouve des principes généraux qui sont « noyés » dans les développements. Ainsi, l’article 1111, al. 1 : « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations sont libres. Ils doivent satisfaire aux exigences de bonne foi ». Ainsi encore l’article 1130 : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Cette volonté est intéressante. On retrouve des tendances fortes en ce sens dans les codes étrangers et plus encore dans les codes dits « savants » (cf. M. Mekki : D. 2015 p. 816).

6. La recherche conjointe de la consolidation et de l’innovation. L’ordonnance est le fruit d’un dialogue entre les sources (M. Mekki, précité).

Un des éléments de ce dialogue réside dans le fait que, sur bien des questions, l’ordonnance consacre des solutions jurisprudentielles. On peut évoquer le cas de la rupture des pourparlers qui a donné lieu à une jurisprudence très riche. On peut citer encore la jurisprudence relative aux vices du consentement. Sur l’erreur, sur le dol, le projet opère ici une « codification». De même, s’agissant du contenu du contrat, la jurisprudence de 1995 concernant les contrats-cadres et l’abus dans la fixation du prix trouvent place dans l’article 1163 du projet.

On est frappé par la place accordée aux définitions

7.Le tropisme de la pédagogie. On est frappé par la place accordée aux définitions. L’utilité de ces dernières n’apparaît pas de manière évidente et l’on a un peu le sentiment à la lecture de certaines que l’on retrouve le fatras de définitions inutiles qui figure dans bon nombre d’actes aujourd’hui. Bien sûr, la loi se veut didactique car cela rentre dans l’objectif de rendre le droit plus accessible. Toute une série de dispositions est consacrée à la définition des contrats (art. 1101 à 1110, chapitre I, Dispositions préliminaires). A cela on pourra objecter que l’on a en fait allongé seulement une liste : les articles 1101 à 1106 de l’actuel Code civil contiennent également les définitions dans un corps de dispositions préliminaires.

De même, on trouve à l’article 1217, al. 1 du projet une liste des sanctions auxquelles le créancier victime d’une inexécution totale ou partielle peut recourir : la suspension de l’exécution, l’exécution forcée en nature, la réduction du prix, la résolution du contrat, la réparation. Cette liste est pédagogique mais ne va pas jusqu’au bout d’une logique didactique : il n’y a par exemple aucune hiérarchie évidente entre ces sanctions.

Que trouve-t-on qui soit fondamentalement nouveau dans cette réforme ?

8. La reconfiguration est d’abord architecturale : ainsi, on remarque une sous-section 1 consacrée aux négociations qui regroupe les articles 1111 à 1126-8. On sort de la logique du Code civil ancien, qui raisonnait sur une formation instantanée du contrat. C’est un symbole.

Mais surtout, la reconfiguration a pour objet des solutions apportées à des questions de fond.

Ainsi, la contrainte économique est érigée en violence morale par l’article 1142. Il peut être mis fin au contrat (article 1196) en cas d’imprévision. L’exécution forcée du contrat peut être refusée au motif de la disproportion et la notion de clause abusive est généralisée (article 1169).

Peut-être moins spectaculaire mais proche de nos préoccupations, la promotion de la bonne foi au rang de condition de validité de l’acte juridique dans l’article 1111 mérite d’être relevée.

Spectaculaire encore est la promotion de l’exécution forcée en nature (art. 1221), qui intéresse directement le M&A. Il y a donc renversement du principe exprimé par l’ancien article 1142. La nouveauté au plan des principes est au moins en apparence frappante. Moins peut-être au regard de la jurisprudence antérieure. La Cour de cassation dans le passé a décidé en plusieurs occasions qu’une obligation de faire est en tout état de cause susceptible d’une exécution en nature sauf impossibilité matérielle, juridique ou morale. La limite est une mise en péril d’une liberté essentielle du débiteur. La réforme apporte un fondement légal qui pourra permettre au juge d’intervenir plus sûrement, et elle introduit un correctif qui va laisser au juge un large pouvoir d’appréciation : l’exécution en nature pourra être écartée si son coût est manifestement déraisonnable. Ce juge semble pouvoir être le juge des référés, comme le laisse penser l’emploi de l’adjectif  « manifestement ».

9. Car une des conséquences de plusieurs dispositions sera la forte promotion du rôle du juge. On retrouve ici un mouvement qui accorde un rôle central et actif au juge perçu comme tiers impartial et désintéressé. Le juge était la « bouche » de la loi. Le juge se voit reconnaître la légitimité pour exercer sa mission de régulateur de la vie sociale. Bien des formules employées vont permettre au législateur de passer la main au juge, qui statuera en équité sous couvert d’une sorte d’habilitation légale : le « coût manifestement déraisonnable » (art. 1221) que l’on a évoqué il y a un instant, le « comportement » de l’auteur qui permet de manifester la volonté de s’engager (art. 1113, al. 2), le « déséquilibre significatif » de l’article 1169.

Le juge pourra réécrire le contrat

La possibilité pour le juge de réécrire le contrat qui est contenue dans le nouvel article 1169 est susceptible de faire fuir les opérateurs du commerce international : la prévisibilité du contrat sera menacée et l’attractivité de notre droit pourrait en souffrir.

Que n’y trouve-t-on pas que l’on aurait pu y trouver ?

10. D’abord un texte a disparu, qui organisait l’articulation droit commun/droit spécial de la vente. C’est l’article 1107 du Code civil : « Les contrats, soit qu’ils aient une dénomination propre, soit qu’ils n’en aient pas, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies sous les titres relatifs à chacun d’eux ; et les règles particulières aux transactions commerciales sont établies par les lois relatives au commerce ».

La cause, un élément utile dans bien des litiges

Ensuite, il est une grande oubliée : la cause. Lorsque sa disparition est regrettée, on pourrait croire qu’il s’agit de souffrances d’intellectuels inconsolables devant la disparition d’une notion qui a suscité une littérature innombrable. Pourtant, on constate en parlant avec des avocats plaidants que la cause était un élément utile dans bien des litiges. Mais peut-être aussi une menace pour la sécurité juridique. Laurent Aynès nous dit ainsi que la cause « est devenue au fil du temps une menace pour la sécurité contractuelle, plutôt qu’un instrument d’équilibre. Il est temps de supprimer cette marque de méfiance à l’égard de l’acte de volonté » (Dr. et Patr. n° 247, mai 2015 p. 56).

On n’y trouve pas non plus de référence à la notion de conflit d’intérêts. L’occasion était fournie d’introduire dans notre droit un principe général relatif à cette problématique : des commentateurs ont déploré ce manque de hardiesse du législateur (cf. M. Fabre-Magnan RTD civ. 2015 p. 639 s.).

Enfin, le droit spécial de la vente n’est pas revu, mais peut-on reprocher au législateur quelque chose en ce domaine ?

11. Au final, quel regard faut-il porter sur cette réforme ? « La vertu est un sommet entre deux abîmes », dit Saint Augustin. Le premier abîme est celui de la résistance au changement, dont on ne peut sous-estimer l’importance. Le second serait celui d’un gouvernement des juges. A sa manière, le projet est plutôt équilibré et il ne mérite pas l’accusation d’indignité dont certains ont essayé de dire qu’elle était sa caractéristique première. Il est sans doute perfectible. Reste donc à savoir quelles leçons les rédacteurs de l’ordonnance tireront des améliorations qui ont été çà et là suggérées.

Alain COURET, Professeur à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne Avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre

Alain Couret est Professeur de droit privé à l’Université Paris I et avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre. Spécialiste de droit des sociétés et de droit financier, il participe à la rédaction des Mémentos Sociétés commerciales et Groupes. Il dirige le département doctrine juridique de CMS BFL et exerce également une activité d’arbitrage.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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