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Protection des lanceurs d’alerte : une nouvelle directive transposée à l’échelle de l’UE en 2021

Le 7 octobre 2019, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté une directive sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union. Cette directive devra être transposée dans le droit des pays membres pour une entrée en vigueur en 2021. Statut du lanceur d’alerte, nouvelles procédures de signalement, protection de l’informateur… le point avec Patrice Grenier, fondateur du cabinet Grenier Avocats et Pauline Guillaume, Avocate à la Cour.


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La Quotidienne : Pourquoi une directive européenne pour renforcer la protection des lanceurs d’alerte ?

Patrice Grenier et Pauline Guillaume : Plusieurs affaires ont dernièrement mis en lumière des insuffisances quant à la protection des lanceurs d’alerte. Il aura par exemple fallu une longue bataille judiciaire pour qu’Antoine Deltour, dans la fameuse affaire Luxleaks, soit totalement acquitté des faits qui lui étaient reprochés par la Cour de cassation luxembourgeoise début 2018.

Face à cette situation, la société civile s’est largement mobilisée pour demander une meilleure protection des lanceurs d’alerte tant au niveau national qu’européen. Dans ce contexte, l’Union européenne s’est emparée du sujet et ses travaux ont abouti à l’adoption, en fin d’année dernière, de la directive (UE) 2019/1937 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union.

Cette directive permet une harmonisation des législations nationales, qui sont aujourd’hui très inégales d’un Etat membre à un autre (seuls 10 pays de l'UE disposent d'une législation complète en la matière) et garantit un niveau de protection élevé aux lanceurs d’alerte au sein de l’Union.

Il faut savoir que l’Union européenne était déjà intervenue pour protéger les lanceurs d’alerte mais dans le domaine financier uniquement. Avec cette nouvelle directive, les Etats membres devront mettre en place un cadre juridique de protection générale des lanceurs d’alerte, comme c’est le cas en France depuis la loi Sapin II.

La Quotidienne : De quelle manière cette directive européenne élargit-elle le champ d’application de cette protection par rapport à la loi Sapin II ?

Patrice Grenier et Pauline Guillaume : Pour rappel, la qualité de lanceur d’alerte protège contre toute mesure de représailles telle qu’un licenciement, et contre toute action judiciaire pour violation d’un secret d’affaires ou pour diffamation par exemple.

Pour se voir reconnaître le statut de « lanceur d’alerte » instauré par la loi Sapin II, le signalant doit être une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, une infraction, une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. En outre, le lanceur d’alerte doit être un salarié de l’entreprise concernée par les manquements révélés ou un collaborateur extérieur ou occasionnel de celle-ci. La loi Sapin II prévoit également que le lanceur d’alerte doit respecter, hors cas de danger grave et imminent ou présence d'un risque de dommages irréversibles, une procédure très encadrée avec une obligation de signaler les faits en interne, en les reportant à son employeur ou au référent désigné par l’entreprise pour recevoir les signalements, avant de s’adresser aux autorités si son alerte n’est pas traitée correctement dans un délai raisonnable. Le respect de cette procédure conditionne l’obtention du statut protecteur.   

Avec la transposition de cette directive, la protection s’étendra aux autres personnes susceptibles d’obtenir de telles informations « dans un contexte professionnel », y compris, au moins, les actionnaires et membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance (y compris les membres non exécutifs) de l’entreprise, et le personnel de ses sous-traitants et fournisseurs. Un ancien salarié ou un candidat à un poste dans l’entreprise pourra aussi en bénéficier. De plus, il est intéressant de noter que deux critères de la définition du lanceur d’alerte de la loi Sapin II ne figurent pas dans la directive : le désintéressement et le fait d’avoir eu personnellement connaissance des faits révélés.

En outre, le lanceur d’alerte aura le choix entre signaler, en premier lieu, les faits à son supérieur hiérarchique ou au référent éthique de l’entreprise, et saisir directement les autorités. Autrement dit, le lanceur d’alerte n’aura plus l’obligation de signaler d’abord les faits en interne avant de contacter les autorités pour prétendre au statut de lanceur d’alerte. Cette possibilité nous paraît essentielle dans les cas où le risque de représailles est fort, si le lanceur d’alerte craint que sa hiérarchie soit déjà informée voire cautionne les faits découverts ou s’il existe un risque de dépérissement des preuves.

La directive élargit également les mesures de protection et de soutien aux tiers qui sont en lien avec le lanceur d’alerte et qui risqueraient de faire eux-aussi l’objet de représailles dans un contexte professionnel, tels que des collègues ou des proches du lanceur d’alerte. Les partenaires commerciaux de l’entreprise qui emploieraient un lanceur d’alerte seront également protégés contre des représailles commerciales (par exemple, résiliation anticipée d’un contrat de prestations de services).

Enfin, la directive prévoit que les Etats membres devront mettre en place des structures d’accompagnement des lanceurs d’alerte tant sur le plan juridique, financier que psychologique. Aujourd’hui en France, le Défenseur des droits accompagne les lanceurs d’alerte dans leur démarche mais n’a pas la compétence pour leur offrir un soutien financier. La Maison des lanceurs d’alerte, organisation de la société civile mise en place en octobre 2018 à l’initiative de 17 organisations, propose également un accompagnement sur tous les plans du lanceur d’alerte. La transposition de la directive devrait permettre d’accorder davantage de moyens à ces organismes.

La Quotidienne : Quel est l’intérêt pour les organismes privés et publics de mettre en place et d’accompagner ce dispositif d’alerte ?

Patrice Grenier et Pauline Guillaume : Nous constatons aujourd’hui que les organisations sont encore majoritairement inconfortables sur la manière d’appréhender les lanceurs d’alerte. Si le lanceur d’alerte peut déstabiliser, il révèle des pratiques illégales, déloyales voire dangereuses pour la vie humaine ou l’environnement. Celles-ci constituent autant de pratiques qui pourront avoir des répercussions négatives sur l’entreprise (sanctions judiciaires ou administratives, exclusion des marchés publics, rupture de contrats de la part de clients qui exigent un niveau élevé d’éthique des affaires, boycott citoyens et campagnes de « name and shame » sur les réseaux sociaux…).

Ainsi, grâce à son intervention, le lanceur d’alerte permet à l’entreprise d’agir rapidement et de remédier aux dysfonctionnements révélés ou, dans le meilleur des cas, de les prévenir. Il permet à l’entreprise d’être à même de décider de la stratégie à adopter pour gérer une situation critique, en arbitrant par exemple entre traiter le risque en interne et/ou saisir les autorités compétentes. En somme, ce dispositif d’alerte lui offre la possibilité de mieux maîtriser ses risques, notamment judiciaires et réputationnels.

La Quotidienne : Selon vous, comment faire pour que les citoyens et les entreprises s’approprient le dispositif et le fassent vivre ?

Patrice Grenier et Pauline Guillaume : Si un tel dispositif peut constituer une réelle opportunité pour l’entreprise, encore faut-il que celui-ci fonctionne correctement.

Une entreprise qui ne reçoit pas de signalement, ce n’est pas forcément bon signe ! Cela peut être la conséquence d’une mauvaise communication de son dispositif auprès des collaborateurs ou d’un manque de confiance envers ce dispositif.

L’entreprise doit tout d’abord désigner une personne au profil adéquat pour recevoir et traiter les signalements (qui peut être interne et/ou externe à l’entreprise) et lui fournir les moyens nécessaires pour mener à bien ses enquêtes une fois saisie d’un signalement. Ce référent éthique doit en outre bénéficier d’une certaine position et indépendance vis-à-vis de la direction de l’entreprise. Il doit en effet être à même de conseiller de manière sérieuse et en toute objectivité sur les mesures à mettre en œuvre pour remédier aux dysfonctionnements qui ont été révélés.

De plus, et c’est un des points les plus importants à notre sens, l’entreprise doit communiquer largement sur l’existence du dispositif et la procédure de signalement auprès de ses collaborateurs et autres parties prenantes à qui le dispositif serait rendu accessible. Les syndicats ont également un rôle important à jouer à tous les niveaux : élaboration, communication mais aussi utilisation du dispositif. Ils pourraient en effet être amenés à accompagner les salariés qui souhaiteraient émettre une alerte.

Le dispositif doit également assurer la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte et des personnes visées par l’alerte et les alertes doivent être traitées rapidement et avec rigueur, tout en veillant à tenir informé le lanceur d’alerte tout au long de la procédure y compris des dispositions prises par la direction pour faire cesser le trouble illicite. Les mesures et les sanctions devront évidemment être fermes, quitte, dans certains cas, à informer les autorités des faits signalés.

Finalement, ce qu’il est important d’avoir à l’esprit, c’est que l’entreprise doit jouer un rôle actif dans le traitement des alertes. En effet, un bon dispositif, crédible et efficace, incitera davantage les salariés à révéler les faits en interne plutôt qu’à l’extérieur de l’entreprise et celle-ci saura en tirer tous les bénéfices associés. 

La Quotidienne : Selon vous, la mise en place de ce dispositif n’appelle-t-elle pas une rationalisation rendue nécessaire par l’empilement des mécanismes d’encadrement des alertes ?

Patrice Grenier et Pauline Guillaume : Depuis la loi Sapin II, les entreprises de plus de 50 salariés ont l’obligation de mettre en place un système de recueil des signalements relatifs à une infraction, une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général (signalements qui touchent donc potentiellement tous les domaines). Cette même loi impose aux entreprises de plus de 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros de se doter d’un dispositif d'alerte interne destiné à recueillir les signalements relatifs à l'existence de comportements contraires au code anticorruption de l’entreprise. La loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 impose quant à elle aux entreprises de plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde de mettre en place un tel dispositif pour les signalements relatifs cette fois-ci aux risques d’atteintes aux droits humains ou à l’environnement qui pourraient se produire dans le cadre de leurs activités mais aussi de celles de tous les acteurs de leur chaîne d’approvisionnement (filiales, fournisseurs, sous-traitants…) en France et à l’étranger. De plus, en dehors de ces obligations légales, certaines entreprises ont pu mettre en place, sur une base volontaire, un dispositif de recueil des signalements relatifs à des conduites contraires à leur code ou charte éthique.

Ces dispositifs d’alerte couvrent donc des domaines très variés. De plus, les différentes lois ont précisé certaines modalités pour la mise en place de ces dispositifs. Par exemple, le dispositif d’alerte « général » ou de « droit commun » doit être accessible aux salariés de l’entreprise mais aussi aux collaborateurs extérieurs ou occasionnels (ce qui n’est pas expressément prévu pour les autres dispositifs). S’agissant du dispositif « devoir de vigilance », la loi précise qu’il doit être établi en concertation avec les syndicats. Celui-ci a également vocation, au vu des risques concernés, à s’étendre à d’autres parties prenantes de l’entreprise (riverains, consommateurs…).  

Les entreprises soumises à plusieurs procédures de signalement peuvent mettre en place un seul canal pour l’ensemble des signalements mais à condition que ce dispositif unique réponde aux critères et objectifs des différentes lois sans oublier le référentiel relatif aux dispositifs d’alertes professionnelles de la CNIL.

Pour finir, il nous paraît indispensable que les entreprises communiquent auprès de leurs salariés sur les conditions pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte puisque tous les signalements de comportements non-éthiques effectués via ce dispositif n’entreront pas forcément dans le champ d’application de la protection du lanceur d’alerte…

Propos recueillis par Angeline DOUDOUX

Par Patrice GRENIER, fondateur du cabinet Grenier Avocats



et Pauline GUILLAUME, Avocate à la Cour



© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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