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Panorama jurisprudentiel de la responsabilité des constructeurs pour 2023

Tour d’horizon 2023 de la jurisprudence rendue en matière de droit de la construction avec Aurélie Dauger, avocate associée, spécialisée en droit de la construction chez LPA Avocats.


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©Gettyimages

Y-a-t-il du nouveau sur la responsabilité civile décennale des constructeurs ?

Aurélie Dauger : Il y a du nouveau, oui et non car les grands principes sont rappelés mais des précisions intéressantes sont aussi apportées.

C’est le cas par exemple pour les vices apparents à la réception.

Nous savons que s’ils ne sont pas portés en réserve, ils sont purgés, de sorte que toute indemnisation est ensuite impossible.

Nous savons aussi que le caractère apparent du vice s’apprécie par rapport à la personne du maître d’ouvrage lui-même, et non du technicien qui l’assiste.

C’est ce principe qui a été rappelé le 1er mars 2023.

En revanche, sur ce même thème, quelques mois plus tard, le 25 mai, cette même chambre a précisé, et cela, c’est une nouveauté, que peuvent être considérés comme des vices apparents, les désordres en germe à la réception, qui étaient prévisibles dans leur ampleur et leurs conséquences.

Alors qu’est-ce-qu’un désordre « en germe à la réception », c’est ce qu’il va maintenant falloir déterminer, de sorte que nous repartons pour quelques années de nouveaux débats.

Au-delà de cette décision, deux arrêts des 30 mars et 13 avril 2023 ont rappelé que celui qui n’est pas propriétaire de l’ouvrage affecté de désordres, tel que le preneur à bail, ne peut exercer l’action en garantie décennale.

Et puis, dans une décision du 7 décembre 2023, la haute juridiction a rappelé un point important sur la dichotomie entre la responsabilité légale des constructeurs et l’assurance qui y est attachée.

En effet, si le champ d’assurance obligatoire est circonscrit à la réparation des désordres matériels, la responsabilité légale des constructeurs ne s’arrête pas à cela et s’entend de l’ensemble des conséquences dommageables des désordres causés à l’ouvrage, qu’elles soient matérielles ou immatérielles, sans qu’il soit possible de limiter cette responsabilité.

S’il y a beaucoup de rappels, y a-t-il néanmoins eu une nouveauté sur la notion d’ouvrage ?

A. D. : En effet, la notion d’ouvrage a été précisée à l’occasion de deux décisions.

Dans la première, ce sont les contours de l’ordonnance de 2005 qui ont été précisés.

Cette ordonnance, qui est traduite à l’article L.243-1-1 du Code des assurances, est celle qui écarte de l’obligation d’assurance un certain nombre d’ouvrages qui sont pour l’essentiel des ouvrages de génie civil (comme les ouvrages maritimes lacustres fluviaux, aéroportuaires, héliportuaires, ferroviaires) ou encore les parcs de stationnement, les voieries, les ouvrages de stockage et de distribution d’énergie ainsi que leurs éléments d’équipement « sauf si l’ouvrage ou l’élément d’équipement est accessoire à un ouvrage soumis à ces obligations d’assurance ».

C’est sur cette exception qu’est revenue la Cour de cassation dans un arrêt du 22 juin 2023 en précisant qu’un ouvrage non visé à l’article L.243-1-1 du Code des assurances reste soumis aux obligations d’assurance c’est-à-dire de responsabilité et de dommages, même s’il est l’accessoire d’un ouvrage qui en est exclu.

Dans cette espèce, il s’agissait d’un bassin d’orage, non visé dans la liste légale, accessoire d’un centre de tri et de valorisation des déchets, qui lui est expressément exclu par l’alinéa 1 de cet article.

Ceci n’est finalement rien d’autre que l’application du principe selon lequel toute exception s’entend de manière restrictive.

Le second arrêt est relatif à la grande question de savoir ce qu’est un ouvrage puisque la loi Spinetta n’a pas défini cette notion.

Plus de 40 ans plus tard, la jurisprudence en a brossé les contours qui doivent évoluer en fonction des évolutions techniques et précisément à propos des capteurs photovoltaïques installés sur une toiture existante qui ne participaient pas à l’étanchéité de l’ouvrage mais destinés à produire de l’électricité en vue de sa revente. Nous avons maintenant une réponse claire : il s’agit d’un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil et non d’un élément d’équipement au sens de l’article 1792-7 du Code civil c’est-à-dire ayant pour fonction exclusive de permettre l’exercice d’une activité professionnelle, qui échappe aux garanties légales des constructeurs.

Les conditions de mobilisation de la responsabilité civile décennale nous conduisent à aborder l’actualité de l’assurance obligatoire qui y est attachée. Pouvez-vous nous en dire plus ?

A.D. : L’assurance obligatoire est le pendant de la responsabilité civile décennale et il y a ici une volonté de sécurité qui transparait.

En effet, dans un arrêt du 11 mai, la 3ème chambre civile a dû se pencher sur le cas d’un entrepreneur qui n’avait pas souscrit la fameuse assurance de responsabilité civile obligatoire.

Il s’agit d’une faute pénalement sanctionnée en vertu de l’article L 243-3 du Code des assurances.

A côté de cette sanction pénale, subsiste la sanction civile pour autant que la victime ait un préjudice. Et c’est là que l’arrêt est intéressant car la haute juridiction a considéré que la non-souscription d’une assurance obligatoire constitue un préjudice certain pour le maître d’ouvrage puisqu’il est alors privé de « la sécurité procurée par l’assurance en prévision des sinistres », de sorte qu’il doit être indemnisé.

Le préjudice est donc totalement décorrélé de l’existence ou non d’un désordre.

Nous allons donc très loin dans la sécurité, ce qui n’est si étonnant puisque c’était aussi l’objectif de la loi Spinetta.

4. Cette décision peut être vue comme une nouvelle traduction de l’application du principe de précaution devenu omnipotent et même constitutionnel ; a-t-il d’autres traductions dans le droit prétorien de cette année ?

A.D. Le principe de précaution a en effet d’autres traductions pour l’application de la responsabilité des constructeurs au travers de la notion d’impropriété à destination.

Depuis le milieu des années 1980, nous savons que, par exception, l’impropriété à destination peut être caractérisée en l’absence de désordres, par exemple lorsque l’ouvrage n’est pas conforme aux règles parasismiques.

Depuis, la jurisprudence a ancré cette dérogation, qui a eu des échos dans d’autres domaines, tels que ceux qui ont été jugés à la fin de l’été dernier, puisque le même jour, 14 septembre 2023, la haute juridiction a retenu que constituaient une impropriété à destination :

- à la fois un risque d’incendie causé par des infiltrations d’eau affectant une installation photovoltaïque ;

- et le risque sanitaire encouru par les occupants d’un immeuble confrontés à un risque de développement de légionellose imputable à un défaut de conformité de la tuyauterie et ce, même si aucun cas de cette maladie ne s’était déclaré durant le délai d’épreuve de la garantie décennale.

On considère donc dans ces hypothèses que le risque est tel qu’il ne faut pas attendre la survenance du dommage pour indemniser et cette application ne cesse de se déployer dans d’autres domaines.

Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

A.D. : Et bien il y a eu également, un peu plus tôt dans l’année le 1er mars, une autre décision qui faisait état de risques rendue cette fois dans le domaine du trouble anormal de voisinage, qui a été considérée comme constitué en cas de risque de chute d’arbres du fait d’une tempête.

Là aussi, le simple risque sécuritaire caractérise l’anormalité du trouble.

Cette notion de trouble anormal de voisinage est importante en droit de la construction, voyez-vous des évolutions dans son application et son régime ?

A.D. : Vous avez raison, il s’agit d’une notion importante puisqu’elle fonde tous les recours liés aux nuisances de chantier par exemple.

Or, là encore, cette notion d’anormalité n’est pas définie légalement et nous avançons à tâtons au fil de la jurisprudence qui a retenu cette année, le 9 novembre 2023, que l’anormalité n’était pas caractérisée du fait de la modification d’un plan local d’urbanisme qui a permis la construction d’un lotissement à l’origine d’un préjudice de perte de vue pour un riverain, dès lors que le droit à la vue n’était pas garanti dans un milieu urbain ou un lieu d’urbanisation.

C’est une décision qui n’est pas neutre pour les maîtres d’ouvrage qui construisent un nouvel ouvrage ou une surélévation qui induit une perte de vue ou d’ensoleillement.

Une autre décision du 11 janvier 2023 porte sur la réparation de ce trouble anormal de voisinage en précisant que la victime de trouble anormal de voisinage du fait de travaux initiés par l’ancien propriétaire riverain peut rechercher la responsabilité de celui-ci in solidum avec le nouveau propriétaire.

Cela étant, sur ce sujet, l’évolution est ailleurs et légale.

Le trouble anormal de voisinage va s’inscrire dans le Code civil ?

A.D. : Absolument. Le trouble anormal de voisinage a cette caractéristique qu’il s’agit d’un principe de responsabilité de plein droit, prétorien né de l’adage selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».

Une proposition de loi n° 1602 a pour objectif de créer un nouvel article dans le Code civil, 1253, pour consacrer ce principe et rapatrier dans le même code son exception sur la préexploitation, figurant à l’article L 112-16 du Code de la construction et de l’habitation.

La rédaction est toutefois à parfaire pour la raison que le maître d’ouvrage est expressément cité, ce qui pourrait laisser penser que la réalisation d’un chantier créé intrinsèquement un trouble anormal de voisinage, alors que la jurisprudence a martelé le principe inverse depuis de nombreuses années.

Vigilance donc qui passe notamment par un bon encadrement contractuel.

Nous avons parlé tout à l’heure de l’assurance de responsabilité civile décennale ; l’assurance dommages-ouvrage a-t-elle connu des évolutions en 2023 ?

A.D. : Le régime de l’assurance dommages-ouvrage est aujourd’hui bien balisé à la fois d’un point de vue légal et jurisprudentiel.

Cette année a été l’occasion de rappels néanmoins intéressants comme celui de l’auteur de la déclaration de sinistre à l’assureur dommages-ouvrage, qui doit être le propriétaire de l’ouvrage de sorte que le vendeur en l’état futur d’achèvement, maître d’ouvrage, n’a plus qualité à agir envers l’assureur dommages-ouvrage à compter de la vente, l’action attachée à la chose étant transférée au nouveau propriétaire.

A cet arrêt du 11 janvier 2023 succède un certain nombre d’autres cette fois relatif au moment de la déclaration de sinistre.

Il a précisé le 25 mai que le fait de déclarer un sinistre à l’assureur dommages-ouvrage quelques jours avant l’expiration du délai de la garantie décennale, ce qui est très souvent le cas, ne constituait pas une faute et ceci même si l’assureur dommages-ouvrage ne peut plus exercer son droit de subrogation.

De même, il a été rappelé le 7 décembre 2023, qu’il n’est pas possible d’assigner l’assureur dommages-ouvrage avant d’avoir purgé les 60 jours de la procédure légale amiable, sous peine d’irrecevabilité de son action.

Et puis il y a un dernier arrêt du 13 avril 2023, qui revient sur le principe bien connu de l’obligation d’affectation de l’indemnité aux travaux réparatoires. Si la victime du dommage ne le fait pas, l’assureur dommages-ouvrage peut demander à ce que l’indemnité lui soit restituée.

La particularité de cette espèce résidait dans le fait que l’action en restitution de l’assureur dommages-ouvrage était dirigée contre l’acquéreur d’un immeuble qui s’était vu consentir une réduction de prix de vente équivalente à l’indemnité versée au vendeur par l’assureur dommages-ouvrage qui avait conservé cette somme sans réaliser les travaux.

Des décisions sont-elles à noter au regard des difficultés que subit le secteur du bâtiment actuellement ?

A.D. : Absolument.

Je voudrais insister sur une décision qu’il faut avoir en tête lorsqu’on est en présence de la combinaison fréquente procédures collectives et sous-traitance.

En l’occurrence, à la suite du placement en liquidation judiciaire de l’entrepreneur principal, le sous-traitant avait formé, classiquement, une action directe contre le maître d’ouvrage pour être payé du solde de ses travaux.

Cette action, conformément à l’article 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, impose que le sous-traitant envoie au maître d’ouvrage, préalablement à toute action, la copie de la mise en demeure de payer à l’entrepreneur principal.

Dans son arrêt du 13 juillet 2023, la haute juridiction est venue préciser que lorsque l’entrepreneur principal fait l’objet d’une liquidation judiciaire, la recevabilité de l’action directe était conditionnée soit par une mise en demeure de l’entrepreneur principal antérieure à sa liquidation judiciaire, soit par sa déclaration de créance au passif de l’entrepreneur principal.

Indépendamment des questions de sous-traitance, y-a-t-il des décisions intéressantes sur les comptes entre le maître d’ouvrage et ses entreprises ?

A.D. : Ces sujets financiers sont bien sûr le nerf de la guerre.

Deux décisions du printemps 2023 relatives au paiement de travaux supplémentaires dans le cadre de marchés à forfait sont intéressantes.

Dans ce type de marché, les travaux supplémentaires sont pris en compte si et seulement si ils ont été expressément demandés par le maître d’ouvrage.

La preuve de l’accord du maître d’ouvrage est donc au cœur des débats.

La haute juridiction l’a rappelé dans un arrêt du 8 juin 2023, en indiquant que l’acceptation tacite du décompte général définitif de l’entreprise par le maître d’ouvrage, où figuraient ces travaux supplémentaires, ne valait pas acceptation expresse de ces travaux.

Quelques semaines auparavant, le 11 mai 2023, un arrêt dans le même sens a été rendu qui retient cette fois que l’accord exprès du maître d’ouvrage sur les travaux supplémentaires était caractérisé s’il notifie un décompte général à l’entreprise intégrant le coût de certains travaux supplémentaires qu’il avait précédemment contestés.

Un autre arrêt du 6 juillet dans une espèce où un maître d’ouvrage n’avait pas contesté de projet de décompte final qui lui avait été notifié par l’entrepreneur dans les délais prévus de sorte qu’il ne pouvait plus, par la suite, lui opposer les pénalités de retard ni le coût de reprise des désordres.

On ne dira donc jamais assez la vigilance à avoir par rapport aux délais couperets prévus par la norme Afnor NFP 03-001 à l’égard du maître d’ouvrage et la nécessité, si ce n’est d’y déroger, en tous les cas d’y être extrêmement attentifs.

Propos recueillis par Angeline DOUDOUX

Pour en savoir plus sur l'actualité immoblière : Retrouvez la brochure du cabinet LPA Avocats

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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