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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Affaires/ Capital social (y compris modification), comptabilité et patrimoine de la société

Un apporteur en nature admis à voter en tant que dirigeant d'une société associée

L'interdiction pour un apporteur en nature de voter pour lui-même et comme mandataire une augmentation de capital d'une SAS n'interdit pas à cet apporteur de voter en qualité de représentant légal d'une société également associée de la SAS, juge la cour d'appel de Rennes.

CA Rennes 21-3-2023 n° 21/01014


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©Gettyimages

L'associé d'une société par actions qui fait un apport en nature à l'occasion d'une augmentation de capital ne peut voter ni pour lui-même ni comme mandataire lors de l'assemblée générale extraordinaire appelée à statuer sur l'apport (C. com. art. L 225-10, al. 2 sur renvoi de l'article L 225-147, al. 2 pour les sociétés anonymes ; mêmes articles sur renvoi de l'art. L 227-1, al. 3, pour les sociétés par actions simplifiée, et de l'art. L 226-1, al. 2, pour les sociétés en commandite par actions).

L'assemblée extraordinaire d'une société par actions simplifiée (SAS) détenue à 95 % par une société holding décide d'augmenter son capital par apport en nature d'une marque commerciale et d'une plateforme internet appartenant à l'un de ses associés. Lors du vote de l'augmentation de capital, les droits de vote de la holding sont exercés par l'apporteur, qui en est le représentant légal et aussi l'associé égalitaire. L'autre associé égalitaire de la holding (dont la participation dans la SAS n’est plus que de 0, 039 % à l’issue de l’opération) demande l'annulation de l'augmentation de capital car il estime notamment que le vote de l'apporteur en qualité de représentant légal de la holding viole l'interdiction de voter en qualité de mandataire édictée par l'article L 225-10 du Code de commerce.

La Cour d'appel de Rennes rejette cette demande (CA Rennes 21-3-2023 n° 21/01014) en jugeant que l'interdiction pour un apporteur en nature de voter en qualité de mandataire ne s'étend pas à l'exercice du droit de vote d'une société associée par son représentant légal. En effet, cette interdiction constitue une exception au principe du droit de vote et doit par conséquent être interprétée de façon restrictive. Or le pouvoir de représentation de la société par son dirigeant a une origine légale et les dispositions spécifiques du Code civil régissant le mandat n'ont pas vocation à s'appliquer dans les rapports entre la société et son dirigeant. 

En l'espèce, l'apporteur avait donc participé au vote en qualité de représentant légal de la holding, qualité distincte de la sienne et de celle qu'il aurait pu avoir s'il avait reçu mandat de représenter un autre associé lors de l'assemblée extraordinaire.

La cour d'appel de Rennes ajoute que, même si l'apporteur n'avait pas participé au vote, ni en son nom ni en qualité de représentant légal de la holding, le vote n'en aurait pas moins été régulier pour avoir été adopté à la majorité des voix des autres associés minoritaires de la SAS.

A noter :

1° Il résulte de la présente décision que l'interdiction pour l'apporteur de voter en qualité de mandataire ne s'applique qu'au mandat d'origine conventionnelle par lequel un associé peut se faire représenter à une assemblée par un autre associé, son conjoint ou partenaire de Pacs (C. com. art. L 225-106, I) et non au pouvoir de représentation d'origine légale conféré par les textes à certains dirigeants de sociétés. A notre avis, cette solution peut être contestée.

Certes, les rapports entre une société et son dirigeant ne sont pas régis par les règles du Code civil relatives au contrat de mandat (Cass. com. 18-9-2019 n° 16-26.962 F-PB : RJDA 12/19 n° 754) mais cette solution ne suffit pas, à notre avis, à guider l'interprétation d'une disposition du Code de commerce dont l'objet est de prévenir les conflits d'intérêts en cas d'apport en nature. La lettre de l'article L 225-10 du Code de commerce ne distingue pas selon l'origine du pouvoir de représentation. Bien que plusieurs textes du Code de commerce emploient les termes de « mandataires sociaux » ou de « mandat social » pour désigner les dirigeants de société (C. com. art. L 22-10-8, par exemple), il est délicat d'interpréter a contrario la simple référence à un « mandataire » sans autre précision comme ne visant que le mandat d'origine conventionnelle.

En faveur d'une interprétation stricte des exclusions au droit de vote, on peut relever que l'interdiction de voter n'a pas été étendue par les juridictions à d'autres personnes que l'apporteur telles que les administrateurs ou les filiales d'une société apporteuse qui sont en même temps actionnaires de la société bénéficiaire de l'apport (Cass. req. 5-11-1895 : Journ. sociétés 1896 p. 65 note Houpin ; CA Paris 19-5-1972 : Bull. Joly 1972 p. 399). Dans la présente décision, la situation est cependant différente puisqu'il ne s'agit pas d'étendre la privation du droit de vote de l'apporteur à la société associée mais d'empêcher que le vote de cette dernière puisse être exercé par son représentant légal qui cumulait cette qualité avec celle d'apporteur. En effet, la société associée peut toujours voter par l'intermédiaire d'un autre représentant lors de l'assemblée appelée à statuer sur l'apport.

L'article L 225-10 du Code de commerce ayant pour but de prévenir les conflits d'intérêts, d'autres décisions ont pu retenir une position inverse de celle de la cour d'appel de Rennes. Ainsi un arrêt ancien de la cour d'appel de Paris a interprété l'interdiction de voter comme mandataire prévue à l'article L 225-10 du Code de Code de commerce comme s'appliquant au vote du gérant d'une société civile actionnaire (CA Paris 25-1-1972 : Rev. sociétés 1972 p. 688 note D. Schmidt). Plus récemment, l'Ansa a estimé que les dispositions de ce texte visaient aussi bien le mandataire qui tire son pouvoir d'un contrat que celui qui le tient de la loi pour écarter le vote de l'apporteur en qualité d'administrateur légal d'un associé mineur (Communication Ansa, comité juridique n° 23-011 du 1-2-2023 : BRDA 8/23 inf. 5).

Il appartiendra à la Cour de cassation de trancher cette question. En attendant, et compte tenu du risque de nullité de l'augmentation de capital en cas de violation de l'interdiction du vote de l'apporteur en nature (C. com. art. L 225-149-3, al. 3), la prudence recommande aux sociétés de mandater une autre personne que leur représentant légal pour les représenter lors du vote d'une augmentation de capital lorsque ce dernier est apporteur en nature.

Si la position retenue par la cour d'appel de Rennes venait à être confirmée par la Cour de cassation, elle serait alors transposable aux apports en nature réalisés à l'occasion de la constitution d'une société par actions (C. com. art. L 225-10). Elle serait aussi applicable à l'actionnaire d'une SA ou à l'associé d'une SCA qui vend à la société dans les deux ans de son immatriculation un bien dont la valeur est au moins égale à 10 % de son capital et qui est privé du droit de voter pour lui-même et comme mandataire lors de la résolution de l'assemblée générale de la société appelée à statuer sur l'évaluation du bien avant son acquisition (C. com. art. L 225-101, pour les SA, et sur renvoi de l'art. L 226-1 al. 2, pour les SCA).

2° La cour d'appel de Rennes fait application de la théorie « du vote utile » selon laquelle la nullité d'une délibération peut être écartée si le nombre de voix détenues par les personnes ayant valablement voté permet d'atteindre la majorité. 

La réception de cette théorie par la Cour de cassation demeure incertaine. La chambre commerciale de la Haute Juridiction a écarté la nullité d'une délibération prise par un conseil d'administration dont le président était réputé démissionnaire d'office, dès lors que cette décision avait été adoptée aux conditions de quorum et de majorité, abstraction faite du président (Cass. com. 12-10-2022 n° 19-18.945 FS-B : BRDA 22/22 inf. 2). De même, elle a refusé d'annuler l'adoption d'un plan de sauvegarde d'une société par une assemblée d'obligataires en dépit d'une minoration erronée des droits de vote de certains obligataires opposés au plan, dès lors que cette erreur n'avait eu aucune influence sur le résultat du vote, qui serait demeuré favorable même en l'absence de cette minoration (Cass. com. 21-2-2012 n° 11-11.693 F-PB : RJDA 5/12 n° 520). A l'inverse, la troisième chambre civile a refusé qu'une société puisse s'opposer à l'annulation d'une décision à laquelle avaient participé les héritiers d'un associé, non agréés et donc dépourvus du droit de vote, au motif que, abstraction faite des voix des héritiers, la majorité requise pour l'adoption de la décision avait été atteinte (Cass. 3e civ. 8-7-2015 n° 13-27.248 FS-PB : RJDA 4/16 n° 291).

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