Par délibération du 20 décembre 2013, une commune crée une zone d’aménagement concerté (ZAC). Une société immobilière propriétaire de plusieurs parcelles situées dans la ZAC, usant de son droit de délaissement, met en demeure la collectivité publique de procéder à leur acquisition (C. urb. art. L 311-2). Faute d’accord, la société saisit le juge de l’expropriation en juillet 2023 afin que soit prononcé le transfert de propriété et fixé le prix de cession (C. urb. art. L 230-3).
Parallèlement, le préfet des Yvelines déclare :
d’utilité publique le projet d’aménagement par arrêté du 12 avril 2023 ;
cessibles pour cause d’utilité publique les parcelles nécessaires à la réalisation du projet par arrêté du 20 octobre 2023.
Saisi de la demande d’expropriation du préfet (C. expr. art. R 221-1), le juge de l’expropriation des Yvelines, par ordonnance du 9 novembre 2023 :
refuse de prononcer le transfert de propriété des parcelles appartenant à la société ;
déclare exproprié au profit de l’établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF) les autres immeubles désignés par l’arrêté de cessibilité du 20 octobre 2023.
L’EPFIF conteste et dépose un pourvoi en cassation, estimant que le juge de l’expropriation a excédé son pouvoir en retenant que « la procédure de délaissement ayant été diligentée antérieurement à la procédure d'expropriation, elle ne peut être considérée comme étant sans objet au jour de la signature de l'ordonnance d'expropriation ».
La Cour de cassation l’approuve. Le juge doit refuser de prononcer le transfert de propriété des immeubles ou des droits réels déclarés cessibles par le préfet uniquement (C. expr. art. R 221-5) :
s'il constate que le dossier n'est pas constitué conformément aux prescriptions de l'article R 221-1 du Code de l'expropriation pour cause d’utilité publique ;
si la déclaration d'utilité publique ou les arrêtés de cessibilité sont caducs ou ont été annulés par une décision définitive du juge administratif.
À défaut de telles circonstances, le juge doit prononcer le transfert de propriété des parcelles visées dans l'arrêté de cessibilité, peu important que leur propriétaire ait préalablement notifié à la collectivité publique ou à l'établissement public son souhait d'exercer son droit de délaissement.
A noter :
Précision inédite à notre connaissance. Dans cette affaire, la société immobilière soutenait dans son mémoire en défense que l’article R 221-1 du Code de l’expropriation « ne s’oppose pas au refus de prononcer le transfert d’un bien qui a préalablement donné lieu à une demande de rachat par le propriétaire, exerçant son droit de délaissement ».
Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation pour qui le juge a une « compétence liée » : en dehors des circonstances prévues par l’article R 221-5 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le juge doit prononcer par ordonnance l'expropriation des immeubles ou des droits réels déclarés cessibles dans un délai de 15 jours à compter de la réception du dossier complet (C. expr. art. R 221-2). Notons que sur ce point le Conseil constitutionnel a déjà précisé que « le juge de l'expropriation se borne à vérifier que le dossier que lui a transmis l'autorité expropriante est constitué conformément aux prescriptions du Code de l'expropriation » (Cons. const. 16-5-2012 n° 2012-247 QPC : AJDI 2012 p. 767).
Comme le souligne l’avocat général référendaire, les procédures de délaissement et d’expropriation aboutissent finalement « au même résultat » : le juge de l’expropriation doit, si les conditions sont réunies, « prononcer le transfert de propriété et, en cas de désaccord sur le prix, fixer la somme que recevra le propriétaire en échange de l’abandon de son bien ». Permettre au juge de s’opposer au transfert de propriété en raison d’une procédure de délaissement antérieure pourrait par ailleurs avoir « un effet pervers », ajoute-t-il, « celui d’inciter le préfet à renoncer de déposer une requête en expropriation pour l’ensemble du projet de création de zone d’aménagement concerté ». Il apparaît donc de l’intérêt de toutes les parties de « voir prononcer le transfert de tous les terrains visés par la procédure d’expropriation dans une même décision ».