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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Patrimoine/ Droit international privé

Droit international privé du couple : sursis pour un mariage bigame ?

Des juges du fond sont censurés faute d’avoir vérifié, comme il le leur incombait aux termes de la convention franco-algérienne du 27 août 1964, si les conditions exigées pour la reconnaissance de la décision algérienne ayant confirmé un mariage coutumier étaient réunies.

Cass. 1e civ. 15-3-2023 n° 21-12.493 F-D


Par Sara GODECHOT-PATRIS, professeur à l'Université Paris-Est Créteil
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©Gettyimages

Si les situations de bigamie en France sont appelées à se raréfier depuis la loi 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui est venue sur plusieurs terrains renforcer la lutte contre la polygamie, il n’est pour autant pas certain que le contentieux se tarisse de sitôt comme en témoigne un arrêt récent de la Cour de cassation.

En l’espèce, un couple d’Algériens divorce en Algérie en 2006. Quatre ans plus tard, l’ex-épouxdevenu français par décret de réintégration, se remarie avec une femme de nationalité algérienne. Il décède en 2013. En 2015, la première épouse obtient des juridictions algériennes la confirmation d’un mariage coutumier célébré entre elle et son ex-conjoint après le divorce mais avant le remariage de ce dernier. Elle saisit donc les juridictions françaises en vue d’obtenir, d’une part l’exequatur de la décision algérienne, d’autre part l’annulation du second mariage pour bigamie en application de l’article 147 du Code civil. Les juridictions du fond ont fait droit à sa demande et prononcé la nullité du second mariage, ordonnant la transcription de la décision en marge des actes d’état civil.

La seconde épouse forme un pourvoi devant la Cour de cassation et reproche aux juges du fond d’avoir méconnu les termes de la convention franco-algérienne du 27 août 1964, qui subordonne le principe de reconnaissance de plein droit au respect des conditions énumérées à l’article 1 et impose au juge, à l’article 4, de procéder à une vérification du respect de ces conditions. Elle ajoute que la décision algérienne en ce qu’elle avait « pour effet de créer une situation de bigamie impliquant un ressortissant français » était contraire à l’ordre public international français.

La Cour de cassation va casser la décision de la cour d’appel pour défaut de base légale faute pour elle d’avoir vérifié, « comme il le lui incombait, si les conditions exigées pour la reconnaissance des décisions étrangères ayant confirmé le mariage coutumier de […] étaient réunies ».

A noter :

Pour Sara Godechot-Patris, professeur à l'Université Paris-Est Créteil, la cassation était prévisible. La cour d’appel, qui s’était bornée à constater que le mariage coutumier avait été reconnu par les autorités judiciaires algériennes, avait indiscutablement méconnu les termes de l’article 4 de la convention franco-algérienne qui lui impose de procéder d’office à l’examen de la régularité de la décision.

Reste à se demander s’il ne s’agit pas en l’occurrence d’une cassation purement formelle, retardant inéluctablement et peut-être inutilement l’issue du litige. Autrement dit, quelles sont les chances que la décision rendue par les juridictions algériennes soit jugée irrégulière par la cour d’appel de renvoi ? L’article 1 énumère quatre conditions à respecter, dont le respect de l'ordre public de l'État où elle est invoquée. Or, sur ce terrain, le raisonnement du pourvoi ne manque pas de surprendre : la contrariété à l’ordre public découlerait non pas du jugement en tant que tel, mais de ce que ce jugement aurait pour effet de créer une situation de bigamie impliquant un ressortissant français. À l’appui d’une telle argumentation, il serait inexact d’affirmer que, ce faisant, le pourvoi invite les juges à se livrer à une appréciation in concreto de l’ordre public, en ce que ce n’est pas tant la norme étrangère qui doit être confrontée aux principes essentiels du for que son application au cas d’espèce. Le pourvoi va bien au-delà puisqu’il suggère de procéder à une contextualisation de l’ordre public : c’est à l’aune des conséquences de ce jugement sur la situation matrimoniale d’un français que la conformité à l’ordre public est appréciée. Il nous semble que le pourvoi suggère ainsi de donner à l’exception d’ordre public une portée excessive. Au demeurant, on ne voit pas pourquoi un ressortissant algérien devenu français mériterait d’être protégé plus particulièrement dans une situation de bigamie. Le pourvoi entendait-il tirer parti de la jurisprudence Baaziz aux termes de laquelle « la conception française de l’ordre public s’oppose à ce que le mariage polygamique contracté à l’étranger par celui qui est encore l’époux d’une française produise des effets à l’encontre de celle-ci » (Cass. 1e civ. 6-7-1988 n° 85-12.743 : Rev. crit. DIP 1989 p. 71 note Y. Lequette) ? C’est possible. Mais n’oublions pas que dans cette hypothèse, il s’était agi de protéger la première épouse française qui subissait la situation de bigamie. Il en va tout autrement dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 mars 2023. Il faut donc espérer que les juges du fond auront la sagesse de ne pas mettre en œuvre l’ordre public dans le sens préconisé par le pourvoi. Peut-être la juridiction de renvoi aurait-elle plutôt intérêt à porter son attention sur la conformité à l’ordre public d’un jugement validant un mariage coutumier. En tout état de cause, si la décision algérienne est in fine jugée régulière et si, comme nous le supposons, l’enjeu est successoral, la seconde épouse, à supposer qu’elle soit de bonne foi, pourra probablement se prévaloir du mariage putatif et venir à la succession en concurrence avec le premier conjoint.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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