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Jugement de divorce marocain : le défaut de compétence indirecte du juge le prive d’effet en France

Le jugement de divorce prononcé au Maroc ne peut pas produire ses effets en France en l’absence de lien suffisamment dense entre le juge marocain et le litige : mariage célébré au Maroc où le mari, franco-marocain, est propriétaire d’une résidence personnelle.

Cass. 1e civ. 5-4-2023 n° 21-15.081 F-D


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©Gettyimages

Un couple franco-marocain, marié au Maroc le 30 mai 1986, se sépare. Le juge marocain est saisi d’une demande en divorce par le mari le 5 mars 2019, tandis que l’épouse saisit le juge aux affaires familiales d’une requête en divorce le 19 mars 2019. L’époux oppose à la demande de son épouse l’autorité de la chose jugée attachée au jugement de divorce prononcé le 3 mars 2020 par une juridiction marocaine.

La cour d’appel n’est pas de cet avis. Bien que le mariage des époux ait été célébré au Maroc, pays dont l’époux a la nationalité (en plus de la nationalité française) et où il est propriétaire d’une résidence, l’ensemble de ces éléments ne permet pas de rattacher le litige au Maroc. Au contraire, la nationalité française commune aux époux, la localisation de leur domicile commun en France ainsi que celle de leur activité professionnelle, la naissance de leurs enfants et leur scolarisation en France ainsi que la résidence française du mari lors des actes introductifs d’instance en divorce en France comme au Maroc, rattachent le litige à la France. Par ailleurs, bien que la saisine du juge marocain ait été antérieure à celle du juge français, le choix de cette juridiction par l’époux est artificiel, ce dernier ayant invoqué devant le juge marocain l’existence d’un domicile commun aux époux situé au Maroc.

La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond. Elle rappelle que toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridictions n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache d’une manière caractérisée à l’État dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux (Conv. franco-marocaine du 5-10-1957 art. 16, a). En l’absence de lien caractérisé entre le litige et la juridiction marocaine constaté par les juges du fond, le jugement de divorce marocain, qui n’avait pas été rendu par une juridiction internationalement compétente, ne pouvait pas se voir reconnaître en France l’autorité de la chose jugée et n’était pas opposable à l’épouse dans l’instance en divorce pendante devant les juridictions françaises.

A noter :

La convention franco-marocaine d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 1957 [complétée par un protocole additionnel du 10 août 1981] prévoit qu’: « en matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France et au Maroc ont de plein droit l’autorité de la chose jugée sur le territoire de l’autre pays si elles réunissent les conditions suivantes : a. La décision émane d’une juridiction compétente selon les règles de droit international privé admises dans le pays où la décision est exécutée, sauf renonciation certaine de l’intéressé […] » (art. 16). Autrement dit, en présence d’un jugement de divorce marocain, les règles du droit international privé interne doivent être appliquées par le juge français pour apprécier ses effets en France. Si l’on s’en tient à la jurisprudence moderne, trois conditions pour la régularité d’un jugement étranger doivent être réunies (Rép. droit international Dalloz, v. Divorce et séparation de corps par P. Hammje, nos 241 s.) : la compétence indirecte du juge étranger, la conformité à l’ordre public et l’absence de fraude. En l’espèce, les discussions portaient sur la première de ces conditions, à savoir la compétence indirecte du juge marocain ayant prononcé le divorce. Au visa de la convention franco-marocaine, le juge français rappelle un principe de droit international privé bien établi : « toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridictions n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent si le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi, et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux » (Cass. 1e civ. 6-2-1985 n° 83-11.241 : Bull. civ. I n° 55, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz 5e éd. 2006, n° 70 p. 624 s.). L’on déduit de cette affaire que le divorce n’entre pas dans le domaine de la compétence exclusive. Par ailleurs, la mise en balance des divers points de contact avec le juge marocain et le juge français a tranché en faveur des juridictions françaises, le rattachement du litige né du divorce au Maroc ayant été jugé, au surplus, artificiel.

Quel réflexe pour le notaire dont le client justifierait de son état par la production d’un jugement de divorce étranger ? La jurisprudence civile et administrative s’accorde sur le principe selon lequel la décision de divorce étrangère est reconnue de plein droit en France (Cass. civ. 28-2-1860, Bulkley c/ Defresne : Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz 5e éd. 2006, n° 4 ; CE 24-11-2006 n° 275527). Le notaire ne saurait en réclamer, au préalable, la transcription ou l’exequatur pour tenir compte de l’état d’époux divorcé qui en résulte. Il est seulement tenu d’en vérifier la régularité apparente sauf, le cas échéant, violation flagrante de l’ordre public (voir comm. D. Lambert à propos de Rép. Bansard : Sén. 24-3-2022 n° 26638 : BPAT 3/22 inf. 172-13). Un tel jugement pourra toutefois faire l’objet d’un contrôle de sa régularité internationale, par définition judiciaire (Dalloz action Droit de famille 2023/2024, voir Divorce prononcé à l’étranger, n°s 525.171 s. par A. Devers, I. Rein-Lescastereyres et R. Nato-Kalfane). C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans l’affaire rapportée, où la reconnaissance relevait de la convention bilatérale franco-marocaine, le juge français étant conduit à contrôler la régularité du jugement de divorce étranger en raison de l’exception de chose jugée soulevée par l’époux dans l’instance française.

Le principe de reconnaissance de plein droit du jugement étranger de divorce vaut également en droit européen, en application du règlement Bruxelles II bis (Règl. 2201/2003 du 27-11-2003 art. 21) ou, depuis le 1er août 2022, du règlement Bruxelles II ter (Règl. 2019/1111 du 25-6-2019 art. 30), lorsque le jugement a été rendu dans un État membre de l’Union européenne (hors Danemark).

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